1789. De Lalande doute du satellite de Vénus.
De Lalande | |
Pendant que la révolution couve, l'éditeur Charles-Joseph Panckoucke fait sa propre révolution dans le domaine de l'encyclopédie en créant l'Encyclopédie méthodique annoncée en 1782, et qui, après sa mort, fut terminée en 1832, comptant 40 dictionnaires thématiques répartis en 159 volumes de texte, et 47 de planches. C'était une oeuvre colossale à laquelle participèrent plusieurs centaines d'auteurs, comprenant de grands scientifiques de l'époque.
L'astronomie se trouvait incluse dans le dictionnaire de mathématiques, et son principal responsable était l'astronome Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande, spécialiste des planètes, et déjà rédacteur de plus de 250 articles pour le supplément de l'encyclopédie. Il rédigea bien sûr des articles sur les planètes mais aussi sur leurs satellites, ce qui lui permit de faire une mise au point sur le satellite de Vénus, auquel le dernier volume de l'Encyclopédie avait imprudemment accordé trop de crédit.
SATELLITE DE VÉNUS, on trouve dan; l'Encyclopédie, tome XVII à la fin, au mot Vénus, un grand articie sur le prétendu satellite de Vénus, j'ai cru devoir en conserver encore ici une partie, quoique l’objet ne me parût pas mériter une si grande étendue ; M. Lambert ayant adopté ce sentiment, l'autorité d'un aussi habile astronome m'a empèché de supprimer totalement cet article.
Après la découverte des satellites de Jupiter & de Saturne, (dit l'auteur de cer article) qui ne sont que des lunes semblables à celle qui tourne autour de la planète que nous habitons, l’analogie a dû faire soupconner l'existence de pareils astres autour des autres corps. Pourquoi ce présent n'auroit-il été fait qu'à certaines planetes, tandis qu'il s’en trouve d'intermédiaires, qui, par leur éloignement sembloient devoir jouir des mêmes avantages, & qui ne sont pas moins importantes dans le système des corps assujettis à notre soleil : tels sont Mercure, Venus & Mars ?
Mercure est toujours si près du soleil, & nous le voyons si peu, qu'il pourroit avoir un satellite sans qu'on l'eût observé ; mais toutes les observations faites sur Mars, nous mettent en droit de conclure qu'il est dépourvu de sateilite. Cerre planete est trop voisine de la nôtre, pour que nous ayons pu tarder si long-temps à le découvrir, les circonstances dans lesquelles il se présente à nos yeux, sont d’ailleurs trop favorables pour qu'il ait pu échapper depuis la perfection des lunettes.
Note: Aujourd'hui, nous savons que c'est faux, mais à l'époque, on n'imaginait pas un satellite qui n'aurait pas eu une taille du même ordre que celle de la lune. En admettant que les corps gravitant autour de Mars soient trop petits pour avoir droit au titre de satellite, l'affirmation reste exacte.
Il n'en étoit pas ainsi de Vénus : placée entre le soleil & nous, les observations faites sur cette planete ont été plus délicates, plus rares, plus sujettes à des variations , aussi a-t-on cru avoir découvert un satellite de Venus.
Le premier qui crut avoir observé un satellite de Venus , fut Dominique Cassini : il s'exprime en ces termes dans sa decouverte de la lumière zodiacale , in-fol. 1685. Paris. Seb. Cramoisi, p.45. " À 4 heures 15 minutes, 28 Août 1686, en regardant Venus par la lunette de 34 piés, je vis à 3/5 de son diamètre vers l'orient une lumière informe, qui sembloît imiter la phase de Vénus, dont la rondeur étoit diminuée du côté de l'occident. Le diamètre de ce phénomène étoit à-peu-près égal à la quatrième partie du diamètre de Venus, je l'observai attentivementc pendant un quart d'heure, & après avoir interrompu l'observarion l'espace de 4 ou 5' je ne la vis plus, mais le jour étoit grand."
M. Cassini avoit vu une lumiere semblable, qui imitoit la phase de Venus, le 25 Janvier 1672, pendant 10' depuis 6 h. 52' du matin, jusqu'à 7 heures 2 minutes du matin, que la clarté du crépuscule fit disparoître cette lumière. On crut que c'étoit un satellite. La plupart des astronomes chercherent inutilement ce satellite , aucun ne l'apperçut jufqu'a Short, qui 44 ans après, crut le revoir pendant qu'il observoit Venus avec un télescope de 16 pouces.
Cette observation étant une de celles qui à fait le plus de sensation, à cause de la difficulté de supposer que l'observateur eût été trompé par des illusions optiques, je la rapporterai telle qu’elle se trouve dans les transactions philofophiques & dans l’histoire de l'académie de 1741.
"M. Short, à Londres , le 3 Novembre 1741, au matin avec un télescope de 16 pouces 1/2 qui augmentoit 50 à 60 fois le diamètre de l'objet , apperçut d’abord comme une petite étoile fort proche de Venus, sur quoi ayant adapté à son télescope un oculaire plus fort & un micrometre, il trouva la distance de la petite étoile à Vénus, de 10' 20"; Vénus paroissant alors très-distinctement, & le ciel fort serein ; il prit des oculaires trois ou quatre fois plus forts, & vit avec une agréable surprise que la petite étoile avoit une phase, & la mème
phase que Vénus, son diamèrre étoit un peu moins que le tiers de celui de Venus, sa lumiere moins vive, mais bien terminée ; le grand cercle qui passoit par le centre de Venus & de ce satellite (qu'il seroit difficile de qualifier autrement, faisoit un angle d'environ 18 à 20 degrés avec l'équateur ; le satellite étant un peu vers le nord, & précédant Vénus en ascension droite. M. Short le considéra à différentes reprises, & avec différens télescopes pendant une heure jusqu'à ce que la lumière du jour le lui ravit entièrement."
Note: En fait, l'observation eut lieu le 23 octobre 1740 (3 novembre si on croit que cette date est en calendrier Julien).
Ce fut en vain que M. Short chercha, par la suite, à faire de nouvelles observations de ce satellite. Il ne put découvrir, avec son fameux télescope de 12 pieds (le plus grand qui eût été fait jusqu'alors ), ce que le hazard lui avoit offert dans un télefcope de 16 po. 1/2; Il paroissoit donc qu'on devoit encore être incertain de l'existence du sarellite. Cependant Short crut devoir consacrer sa découverte en la prenant pour type, & fit graver la phase du satellite , telle qu’il l'apperçut en 1740. On assure qu'il s’en est servi en forme de cachet depuis cette époque , & l'on en trouve l'empreinte dans l'Encyclopédie, à l’article cité. Mais lorsque je lui en parlai en 1763, il me parut ne pas croire au fatellite de Vénus.
Note: détail important mais peu connu. Short avait bien observé quelque chose (nous hésitons entre une étoile et un artefact optique), mais il finit par ne plus croire que c'était le satellite de Vénus.
Le fameux passage de Vénus sur le soleil, qu’on attendoit en 1761, vit renaitre le zèle de tous les savans: ce passage étoit une occasion plus intéressante que toute autre, de constater l'existence du fatellite de Vénus , & de l’observer au cas qu’on pût le découvrir. On commençoit à en parler parmi les Astronomes , & M. Baudoin, maître des requêtes ;zèlé pour toutes les sciences , engagea M. Montaigne de la Société de Limoges, à s'occuper de la recherche de ce satellite; celui-ci crut en effet l'avoir apperçu au mois de mai 1761. Ses observations furent communiquées à M. Baudouin, qui lut à ce sujet deux Mémoires à l'académie des Sciences, dans lesquels il essayoit d’en déduire les élémens de l'orbite de ce satellite. M. de Montbaron , à Auxerre
crut le voir aussi en 1765.
On trouve dans le Journal étranger, août 1761 , une autre observation tirée du London evening post, & qui fut communiquée à l’auteur de cette feuille périodique , par une lettre du 6 juin, de Saint—Neost, dans le comté d'Hutingdon. Cette observation avoit été faite, disoit-on; pendant le passage de Vénus sur le soleil.
Au mois de mars 1764, deux Astronomes de Copenhague annoncèrent aussi le satellite de Venus. Enfin, d’après ces différentes observations M. Lambert a cru pouvoir donner une théorie de cet astre, dans un grand Mémoire, où l'on trouve même des tables du mouvement de ce satellite, Memoires de Berlin 1773.
Malgré le travail de M. Lambert, personne ne croit à l'existence du satellite de Venus : les tentatives inutiles que j'ai faites pour l'appercevoir, de méme que plusieurs autres observateurs, me persuadent absolument que c’est une illusion optique, formée par les verres des télescopes & des lunettes ; c'est ce que pensent le P. Hell, à la fin de ses Ephemerides pour 1766, & le P. Boscovich, dans sa cinquième Dissertation d'optique.
On peut se former une idée de ce phénomène d'optique, en considérant l’image secondaire qui paroit par une double réflexion, lorsqu’on regarde au travers d’une seule lentille de verre un objet lumineux placé sur un fond obscur, & qui ait un fort petit diamètre; pour voir alors une image secondaire semblable à l’objet principal, mais plus petite, il suffit de placer la lentille de manière que l’objet tombe hors de l'axe du verre; cette image secondaire, qu'on a prise pour un satellite de Vénus, paroit du même côté que l’objet; ou du côté opposé, & elle est droite ou renversée, suivant les diverses situations de la lentille, de l'œil & de l’objet. Si l'on joint deux lenritles, on a plusieurs doubles réflexions de la même espèce, du moins dans certaines positions, elles sont insensibles la plupart du tems, parce que leur lumière est éparse, & que leur foyer est trop près de l’œil, ou qu’elles tombent hors du champ de la lunette; mais il y a bien des cas où ces rayons se réunissent & forment une fausse image, M. Wargentin en cite un exemple dans le troifième tome de l'académie d’Upsal, page 224. Il avoit une lunette achromatique assez bonne, qui donnoit toujours à Vénus un satellite d'une lumière foible; mais, en tournant la lunette, on le voit tourner dans toutes les parties du champ de la lunette; ce qui prouve assez que c'est une illusion, & non pas un satellite de Venus. (D. L.)
ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE - MATHÉMATIQUES, Paris, 1789, tome troisième, Article SATELLITE, p. 11-13
|
|