1963. Jean Meeus réfute l'explication par Uranus.
Jean Meeus |
Jean Meeus (né en 1928) est un astronome belge spécialiste de la mécanique céleste. Il étudia les mathématiques à l'Université de Louvain, obtint sa licence en 1953, et fut jusqu'en 1993, météorologiste à l'aéroport de Bruxelles.
Il est bien connu dans le monde des astronomes amateurs, en ayant punlié plus de 100 articles dans la revue L'Astronomie, et pour ses différents ouvrages de vulgarisation du calcul astronomique, publiés à la suite de l'apparition des calculatrices électroniques programmables et des microordinateurs. Il a aussi publié avec Fred Espenak un canon des éclipses étalé sur 5 millénaires, très utile pour l'histoire de l'astronomie. Dans ce domaine, il utilise ses connaissances pour réfuter l'hypothèse malheureuse de Pierre Humbert.
En marge d’un soi-disant satellite de Vénus.
LA CONJONCTION VENUS-URANUS DU 4 MARS 1764
par Jean MEEUS
Au cours des 17e et 18e siècles, quelques astronomes ont cru apercevoir un satellite de la planète Vénus. Dans une étude remarquable [5], l'astronome belge Paul Stroobant à expliqué la plupart de ces observations. Il s'agissait, en général, d'une étoile que l'observateur a prise pour un satellite de la planète.
Toutefois, les observations effectuées à Copenhague en mars 1764 restent inexpliquées. Résumons ces observations [5].
Le fameux « satellite » a été observé le soir du 3 mars 1764 par Rœdkiær; il se trouvait à gauche de Vénus dans la lunette, à une distance de 3/4 du diamètre de cette planète (Distabat in tubo ad sinistram Veneris 3/4 diametri Veneris); le diamètre de l'astre était environ le quart de celui de Vénus (magnitudino fere 1/4 diametri Veneris), Le lendemain, 4 mars, à 6 heures du soir, le même astronome vit l’astre à gauche et au-dessus de Vénus, à une distance de 1/2 du diamètre de la planète seulement.
Le mystérieux satellite fut revu le 9 mars par Peter Horrebow, Boserup et Rœdkiær; le 10 mars par C. et P. Horrebow et Rœdkiær; et le 11 mars pendant plus d'une heure par tous les astronomes de l'Observatoire. Le 12 mars, quoique le ciel fût serein, le satellite ne fut pas aperçu (12 Marti, Hac vespera Satelles Veneris non visus est, licet iisdem tubis usi simus ac antea. Aër tamen serenus erat; ita ut minima stellas in tubo cum Venere videremus).
J. Bernouilli croyait, en 1781, que c'était Uranus, nouvellement découverte, qui s'était trouvée près de Vénus au moment des observations.
Note: En fait, c'est Euler qui le pensait et qui l'écrivit à Bernoulli, qui communiqua le contenu de la lettre en 1802.
Cependant, P. Stroobant a montré que, pour une seule des apparitions, celle du 4 mars 1764, les deux planètes n'étaient pas fort éloignées l'une de l'autre.
Toutefois, certains auteurs continuent à admettre que c'était Uranus qui fut observé par les astronomes danois :
« Vénus n'a point de satellite, bien que de nombreux observateurs, au dix-septième et au dix-huitième siècle, aient cru en apercevoir autour d'elle. Il s'agissait en général d'illusions d'optique, dues à des défectuosités dans les verres des lunettes; mais, dans certains cas, l'erreur est plus intéressante : ainsi, en 1764, Roediker (sic), à Copenhague, a vu un astre assez brillant, et non marqué sur les cartes célestes, au voisinage immédiat de Vénus : il crut à un satellite; en réalité il s'agissait de la planète Uranus, non encore découverte par Herschel, et qui, ce soir-là, était en effet tout près de Vénus [3] ».
Nous avons repris le calcul détaillé de cette conjonction, en nous basant : pour les coordonnées de Vénus, sur les tables de Bhatt [1]: pour Uranus, sur l'ouvrage Coordinates of the Five Outer Planets [2]; pour le Soleil, sur nos propres tables [4]. Notre résultat, qui est en parfait accord avec celui de Stroobant, est résumé dans le tableau suivant :
Note: Nous ne donnons pas ce tableau bourré de valeurs numériques précises dont nous n'avons aucune raison de doutert.
La conjonction en longitude écliptique a eu lieu le 4 mars 1764, à 13h T.E. (La différence entre le Temps des Ephémérides et le Temps Universel était de 4 secondes seulement en 1764). La plus courte distance entre les deux planètes fut de 10',0, Vénus passant au nord d'Uranus. Cette séparation était devenue 16',3 à 17h T.E., et 18'6 à 18h.
Il en résulte que, vers 6 heures du soir, temps moyen de Copenhague, la séparation des deux planètes à dù être de 17'. Comme la distance indiquée par l'observateur est tout au plus de 0’,5, l’objet mystérieux n'a pu être Uranus. Telle fut également la conclusion de Stroobant.
D'ailleurs, comment autrement expliquer les observations ultérieures, où Uranus se trouvait à plusieurs degrés de Vénus? Il faut en effet remarquer qu'à l'époque des observations Vénus parcourait plus d'un degré par jour sur la sphère céleste, et Uranus 3' seulement.
Coïncidence remarquable : les 3 et 4 mars, le diamètre apparent d'Uranus valait le quart de celui de Vénus, soit précisément le rapport indiqué par l'observateur. Il est vraisemblable que, le soir du 4 mars 1764, Rœdkiær ait vu Uranus dans le champ de la lunette; mais sans doute n'y fixat-il pas son attention, prenant la planète (encore inconnue à cette époque) pour une étoile. Par contre, Le « satellite » observé n'a pu être Uranus, pour la raison indiquée plus haut.
Stroobant écrit encore [5] :
« Le 4 mars 1764, les observateurs firent usage de deux instruments, et les 9, 10 et 11 mars, l’astre fut aperçu par trois observateurs qui n'auraient pas été trompés par une illusion
dont il est si facile de s'apercevoir, d'autant plus que le 11, les observateurs ajoutent qu'ils se sont assurés qu'ils n'étaient pas en présence d’une illusion d'optique. » (Multis modis tentalum est, an lumen fictitium esset, quod in tubo apparuit, sed contrarium deprehensum est.)
À notre avis, l'illusion d'optique reste toutefois la seule explication valable : les astronomes de Copenhague ont observé une fausse image, due à une double réflexion de la lumière de
Vénus sur les surfaces des lentilles de l'objectif ou de l’oculaire de leur instrument.
Une telle réflexion instrumentale peut d'ailleurs aussi bien fausser les observations photographiques que les observations visuelles. C'est ainsi que, le 12 mars 1948, l’astronome français R. Rigollet avait cru découvrir photographiquement un satellite de Vénus; le cliché avait été obtenu à l'Observatoire de Paris, à l’aide d’un astrographe de 17 cm d’ouverture et de 120 cm de longueur focale, On s’aperçut bientôt que le « satellite » révélait une complète fixité par rapport à la planète, ce qui ne laissait aucun doute sur sa nature.
Le satellite fantôme observé par Rœdkiær n'a pu, non plus, être l’une des petites planètes situées entre les orbites de Mars et de Jupiter. Aucune d’entre elles, du moins parmi les plus brillantes, ne peut avoir un mouvement géocentrique aussi élevé que celui de Vénus les 3-4 mars 1764 (1°13' par jour).
Note: Ce n'est un argument que si l'on suppose que c'est le même astéroïde qui fut observé plusieurs jours de suite. Rien n'empêche que plusieurs phénomène distincts, ou plusieurs astres distincts, dont un astéroïde, aient provoqué l'illusion
Il convient donc de regarder Vénus comme dépourvue de satellite de quelque importance, à l'égal de Mercure et de Pluton.
Note: Le gag, c'est que nous savons aujourd'hui que Pluton a un satellite, mais en 1963, son image était encore confondue avec celle de Pluton dans les observations au télescope.
BIBLIOGRAPHIE
(1} HP. BHATT, Tables of Venus (Gujarat Vidya Sabha, Ahmedabad, 1957).
[2] W.J. ECKERT, D. BROUWER, G.M. CLEMENCE, Coordinaies of the Five Outer Planets, 1653-2060, Astron. Papers Amer. Ephem. and Naut. Alm, Vol. XII (Washington, 1951).
[3} Pierre HUMBERT, De Mercure à Pluton (Paris, 1939), page 29.
[4] Jean MEEUS, Tables of Moon and Sun (Kessel-Lo, 1962).
[5} Paul STROOBANT, Efude sur le satellite énigmatique de Vénus (Bruxelles, 1887).
Jean Meeus,En marge d’un soi-disant satellite de Vénus. LA CONJONCTION VENUS-URANUS DU 4 MARS 1764, Ciel et Terre, N° 79, 1963, p. 36-39
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Donc, c'est entendu, Pierre Humbert s'est trompé, le satellite de Vénus n'était pas Uranus, bien que Vénus soit passé à 10' de cette planète le 4 mars 1764. On peut remarquer qu'on aurait pu soupçonner aussi Uranus, pour les observations du père Lagrange, puisque Vénus venait d'en passer à 25'.
Mais l'élimination des astéroïdes est moins sûre. La photométrie fournit un meilleur argument.
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