Mai 1761. Montaigne croit voir quatre fois le satellite.

Montaigne, l'astronome est malheureusement plus connu pour ses observations du satellite de Vénus, que pour ses découvertes ultérieures de comètes. En fait, il s'appelait Jacques Laibats, parfois orthographié Leibax ou Leibar, et naquit le 6 septembre 1716, à Narbonne. Il était le fils de Joseph Laibats et de Claire Montaigne, dont il emprunta ensuite le nom.


acte de baptême de Jacques Laibats, du 8/9/1716, dans la paroisse St Paul, à Narbonne

Il fit ses études chez les pères de la Doctrine chrétienne, où il aurait acquis une tendance au jansénisme. On ne sait quand il vint se fixer à Limoges, mais il fut membre de la société d'Agriculture du Limousin, et y fut, sous le nom de Montaigne, un astronome amateur dont la valeur était localement reconnue

Au mois d'avril 1761, Armand-Henri Baudouin de Guémadeuc, Maître des Requêtes et Conseiller au Grand Conseil, intéressé par le problème du satellite de Vénus, dont il avait eu connaissances dans les mémoires de l'académie, projeta de faire une recherche du satellite, et se fit installer une lunette de 25 pieds. Connaissant la société de Limoges, qui avait été fondé deux ans plus tôt par son oncle, Pajot de Marcheval, il contacta le 25 avril M. de L'Épine, secrétaire de la société, qui détermina aussitôt Montaigne à l'y aider.

Alors que Baudouin de Guémadeuc, malgré sa lunette plus puissante, n'avait encore rien vu, Montaigne observa, dès le 3 mai, un petit astre près de Vénus, puis le revit le 4, et enfin le 7. Baudouin de Guémadeuc se dépécha d'en faire un mémoire, qu'il lut à l'académie avant de le publier:

incrédule d'abord, il eut peine à s'appliquer sérieusement à des recherches où tant d'autres sembloient avoir échoué. Cependant quelle fut sa surprise lorsque le 3 Mai à 9 h. 1/2 du soir, il apperçut avec une Lunette de 9 pieds à 20m de distance de Vénus , un petit croissant foible & situé de la même manière que celui de Vénus, son diamétre ayant le 1/4 de celui de la Planette principale ! La ligne menee de Vénus à ce Satellite , faisoit, au-dessous de Vénus, avec son vertical ; un angle d'environ 20d vers le Midi. Cette première Observation , répétée plusieurs fois , laissoit encore M. Montaigne dans le doute si ce n'étoit point une petite Etoile. Le lendemain 4 Mai à 9h. 1/2 du soir, comme le jour précédent , M. Montaigne apperçut le méme Astre éloigné de Vénus un peu plus d'environ 30sec ou 1m, & faisant avec le vertical un angle de 10d au-dessous, mais du côté du Septentrion ; en sorte que le Satellite paroissoit avoir décrit comme un arc de 30d dont Vénus étoit le centre, & dont le rayon étoit de 20m.
Note: Le fait que Montaigne hésite entre 30" et 1' est révélateur d'une mesure à l'estime et non au micromètre. Le fait qu'il se soit demandé si c'était une petite étoile est incompatible avec celui qu'il ait vu un croissant de même phase que Vénus. Enfin il est absurde qu'il ait pu voir avec une lunette de 9 pieds, et de faible ouverture, car non achromatique, un satellite que Short n'avait pu voir avec un télescope de 12 pieds, d'ouverture bien plus grande. Il s'agirait bien plutôt d'une étoile, et justement, le 3 mai, à environ 20° vers le sud, et à 23' de Vénus, il y avait une étoile de magnitude 8.75. Le 4 mai, à environ 10° vers le nord et à 24' 1/3, il y avait l'étoile HIP 26291, de magnitude 6.25, que l'observateur avait forcément vu la veille à 13' 1/2 de Vénus et à environ 45° vers le sud, sans la prendre pour le satellite.
  Ce changement de position ne pouvoit pas s'attribuer à Vénus ; car, dans ces 24 h. son mouvement en Longitude avoit été d’environ 20m.
Note: Le mouvement en longitude était de 23.57'
Si donc l'Astre dont il s'agit eût été une Etoile fixe, on ne l’auroit pas retrouvé le lendemain à la même distance de Vénus, mais éloigné environ du double.
Note: oui, mais on aurait pu retrouver une autre étoile à une distance voisine.
  L'Observateur attendoit le lendemain 5 Mai pour être bien convaincu que c'étoit véritablement un Satellite ; il se remit en Observation à pareille heure ; mais un brouillard léger , qui tenoit l’horison jusqu'à la hauteur de Vénus, formoit autour de la Planette une espéce d’Atmosphère dont l'éclat ne laissoit voir que Vénus. On eut encore le 6 un pareil contre-tems.
  L'impatience de notre Observateur avoit eu le tems de s’accroitre, lorsqu'enfin le 7 Mai à 9 h. 1/2 du soir, comme les jours précédens : il revit le Satellite mais au-dessus de Vénus & du côté du Nord, éloigné de 25 à 26m, sur une ligne qui faisoit un angle d'environ 45d avec le vertical sur la droite.
Note: Il est curieux que ce soir là, Montaigne n'ait pas vu l'étoile HIP 26852, de magnitude 8.25, située en dessous à gauche, à 45°, et surtout à 1 diamètre de Vénus. C'eut été un satellite très vraisemblable, mais nous allons voir que Montaigne voulait un satellite à une distance similaire à celle de la lune. Dans la direction indiquée, il y a une étoile de magnitude 8.05, mais elle est à 40' de Vénus, par contre, à 27', il y a une étoile de magnitude 9.15.
  La lumière de ce Satellite parut toujours très-foible ; sa forme fut toujours celle d’un Croissant dans la même Phase que Vénus ; il se voyoit également , soit que Vénus fût en même-tems dans la Lunette , soit qu'elle n'y fût pas. Cette Lunette avoit 9 pieds & grossisoit quarante à cinquante fois.
Note: Ces indications nous permettent d'estimer le pouvoir de résolution de sa lunette. Sachant que sa lunette n'était pas achromatique, et qu'une lunette de 6 pieds a une résolution d'environ 8", la sienne devait avoir une résolution d'environ 5". Comme le diamètre apparent de Vénus a varié de 39" à 41" entre le 3 et le 7 mai, nous pouvons compter que le diamètre apparent prétendu du satellite était de 10", mais aussi que la largeur de son croissant était de moins de 2", ce qui jette un gros doute sur le fait que Montaigne ait pu lui voir nettement une forme de croissant, d'autant qu'il dit bien que la lumière était faible.
(MÉMOIRE SUR LA DÉCOUVERTE DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.5)

Après quoi Baudouin de Guémadeuc tente d'expliquer pourquoi Montaigne a réussi là où d'autres astronomes, munis d'instruments plus puissants, ont échoué

  Il me paroit probable qu'il y a dans ce Satellite des accidens ou des périodes de lumière qui le rendent visible dans certains tems ; & invisible dans d'autres. Nous avons un exemple de pareilles vicissitudes dans le cinquiéme Satellite de Saturne , qui paroit souvent plus gros que le troisiéme , mais qui dans certains tems diminue de clarté , de grandeur , & se perd entièrement ; ce qui arrive surtout , lorsqu'il est dans la partie orientale de son orbe par rapport à Saturne. Cette perte de lumière a donné lieu à M. Cassini de dire qu'il y avoit peut-être dans ce Satellite des taches d'une grandeur considérable ; que lorsque ces taches se rencontrent dans l'Hémisphère du Satellite exposé à nos yeux, la partie de son disque , qui reste éclairée, n'étant pas fuffisante pour être apperçue de si loin , il disparoit entièrement; & qu'enfuite on le distingue , soit que ces taches diminuent , soit que par la révolution du satellite autour de son Axe, elles passent dans l'hémisphère qui nous eft opposé. Quoiqu'il en soit, deux témoignages aussi formels que ceux que je viens de citer , m'avoient paru suffisans pour joindre mes efforts à ceux de ces hommes célébres ; je cherchai quelques jours inutilement ce Satellite avec ma Lunette de 25 pieds; il étoit réservé à l'observateur de Limoges, d'être assez heureux pour le chercher dans une de ces circonstances favorables , où non-feulement il eft visible , mais où il n'exige mème qu'une lunette médiocre ; celle de M. Montaigne n’avoit que 9 pieds , & ne grossisoit que 40 à 50 fois , lorsque , le 3 Mai, il apperçut pour la première fois cet Astre rare & singulier.
  Cette Lunette étoit dépourvue de Micrométre & de Réticule, en sorte que les Observations de M. Montaigne ne sont fondées que sur une estime aidée de la connoissance qu'il avoit du champ de sa Lunette : en conséquence on ne doit pas attendre une extrême exactitude des résultats, & je n’en parlerai qu'avec beaucoup de précaution. Par exemple, quoique l'Orbite me paroisse excentrique, je la supposerai circulaire , ne pouvant être assuré du petit nombre de minutes , qui fait toute la différence des deux Axes.

Note: Le satellite Japet a effectivement une face sombre, ce qui cause sa disparition temporaire dans les instruments trop faible, mais une face sombre sur le satellite de Vénus expliquerait qu'on ne le voit plus pendant plusieurs jours, dans des instruments trop faibles, et non pendant des dizaines d'années dans les meilleurs instruments. La chance qu'a eu Montaigne c'est donc plutôt d'observer Vénus à coté d'astres de faible éclat, qui pouvaient passer pour un satellite.
(MÉMOIRE SUR LA DÉCOUVERTE DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.11)

Mais voila qu'entretemps, le 11 mai, Montaigne avait fait une quatrième observation, et Baudouin de Guémadeuc se dépécha d'en faire un second mémoire:

JE N'AI jämais cru qu'un Observateur pût s’abuser trois jours de suite sur un même Phénoméne, en voyant le Satellite de Vénus avec une Phase semblable à celle de cette Planette, du même diamétre qu'on lui a vu autrefois, avec un mouvement progressif d'un jour à l’autre. Tant de circonstances déterminantes ne pouvoient me laisser même soupçonner que M. Montaigne eût pris une Etoile pour un Satellite de Vénus, & moins encore qu'il eût été abusé par une fausse lumière formée dans le verre de sa Lunette ; ces deux soupçons étoient presque les seuls à former contre son Observation. Mais, malgré mon avis, je respectois, avec trop de raison, les doutes que les Astronômes de cette illustre Compagnie paroissoient élever à ce sujet, & toute mon ambition se bornoit à pouvoir les lever. J'avois été dévancé de trop loin par M. Montaigne , & le 11 de ce mois , à 9 heures du soir , il avoit sçu profiter du seul jour que la lumière de la Lune, celle du Crépuscule & les nuages aient laissé à notre impatience ; il retrouva le petit Astre à la même distance qu'il l'avoit vu le 7 ; c'est-à-dire d'environ 25m, faisant avec le vertical de Vénus un angle de 45d vers le Midi, & au-dessus de la Planette principale.
(REMARQUES SUR UNE QUATRIEME OBSERVATION DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.1)

Puis il essaye de calculer une orbite.

  Cette Observation confirme ce que j'ai eu l'honneur d'exposer à l'Académie, dans mon premier Mémoire, sur l'inclinaifon , les nœuds & la distance du Satellite. En effet il a paru à la même diftance que le 7 , quoique plus avancé de 90d ou environ ; son orbite est donc a-peu-près perpendiculaire à notre œil dans çe mois-ci ; & cette orbite coupe l'Echptique sur une ligne qui traverse à angles droits celle par laquelle nous voyons Vénus, c'est-à-dire à 11sig. 22d & dans le point opposé , ou au 22d de la Vierge & des Poissons.
  Vénus étant presque stationaire ce mois-ci , il n’est pas étonnant que l'orbite ait paru constamment dans la même pofition ; & , quand même les Observations auroient un degré de précision plus grand qu'elles ne peuvent l'avoir, étant faites sans micrométre, il est certain, par la position de la terre ,& en vertu du parallélisme des lignes par lesquelles nous appercevons Vénus depuis le commencement du mois, que nous verrions toujours l'orbite du Satellite se présenter à nous de la même manière, toujours perpendiculaire à notre rayon vifuel , toujours disposée circulairement autour de Vénus.
Note: Donc, par un merveilleux hasard, non seulement l'orbite est circulaire, mais elle est vu frontalement lors de chaque élongation orientale de Vénus. Mais ceci est en contradiction avec le fait que deux astronomes seulement étaient censés avoir vu le satellite, qu'ils l'avaient vu tout près de Vénus, et que Short ne le revit jamais, quoiqu'il y eut employé le plus puissant télescope qu'il avait, et qui était aussi le plus puissant de son temps..
  Il suit encore de cette quatriéme observation comme des précédentes, que l'orbite du Satellite est perpendiculaire à l'Ecliptique ; car, si elle lui étoit inclinée, notre œil, toujours situé dans le plan de ce grand cercle, ne pourroit, dans aucun tems, voir l'orbite du Satellite fous la forme d'un cercle ; il le verroit toujours comme une Ellipse dont le grand Axe seroit au petit en raison du sinus total au sinus de l'obliquité de l'orbite sur l'Ecliptique, & diminueroit encore comme le sinus de la distance du Soleil ou de la Terre au nœud de cette orbite.
  Pour avoir plus exactement , s'il est possible, la distance du Satellite à Vénus en diamétres de sa planette, je n'ai pu mieux faire que de supposer avec M. le Monnier dans fes Institutions Astronomiques pag. 554, que le diamétre de Vénus, vu de la Terre, est de 1m & 1/3 dans sa plus proche distance.
Note: LeMonnier donne 85", en réalité le 6 juin 1761, ce diamètre était de 57.7".
Ayant calculé la distance de Vénus à la Terre dans l’observation du 7 & du 11, c'est-à-dire le 9, pour avoir un milieu, je trouve qu'il faut diminuer le diamétre de Vénus dans le rapport de 100 à 66, qui est celui de sa distance à la Terre pour ce jour-là, à sa distance pour le 6 Juin, ce qui donne 53sec pour le diamétre de Vénus, vu à la distance où elle s'eet trouvée entre le 7 & le 11;
Note: En réalité le 9 mai, ce diamètre était de 43". Il est curieux que l'auteur n'ait pas fait une mesure directe au micromètre, avec sa lunette de 25 pieds.
en divisant donc 22m, qui paroît être sa distance moyenne, par 53sec, le Quotient 25 donne la distance du Satellite en diamétre de Vénus , & paroit être environ de 50 rayons de la planette , si, d'observations faites à l'estime, il est permis de tirer des conséquences par un calcul rigoureux. La révolution du Satellite se trouve plus lente , que par les observations précédentes: lorsque je les considérois séparément ; mais ce qui prouve que la différence ne vient que de l'erreur qu'on ne peut guères éviter en estimant des distances à la vue, c'est que le mouvement diurne du Satellite se retrouve le même , lorsqu'on compare l'observation du 4 avec celle du 7, ou celle du 3 avec celle du 11; ces deux comparaisons faites séparément donnent presque 12 jours pour la durée de cette révolution.

(REMARQUES SUR UNE QUATRIEME OBSERVATION DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.6-9)

Il croit prouver que Montaigne n'a pas pu confondre avec des étoiles.

Dans l'observation du 11, M. Montaigne rencontra une circonstance bien favorable à la découverte qu'il vouloit constater ; il se trouva une Étoile à côté du Satellite, sur la même ligne que celle du Satellite à Vénus ; ce dût être pour l'Observateur un moyen de comparer la figure que prennent dans sa lunette les Etoiles fixes , avec celle du Satellite ; & ; s'il eût été capable de se tromper les jours précédens , il se seroit réformé à coup sûr cette fois-là. Je n'ai pas eu de peine à reconnoître que l'Etoile près de laquelle se trouvoit Vénus ce jour-là , est la plus boréale des quatre informes sous les pieds du Cocher , de la 5e grandeur.
Note: Il semble s'agir de l'étoile 136 Tau, de magnitude 4.55. Mais si Montaigne à confondu avec des étoiles, elles étaient de 8e magnitude, donc trop faibles et d'éclat trop différent pour que la comparaison soit instructive.
Dans l'alignement de 36 Tau à Vénus, il y avait à mi-chemin une étoile de magnitude 7, mais à 48' et non à 25. A 24' de Vénus, il y avait une étoile de magnitude 8.15, moins bien alignée, mais dont la distance correspondait à celle attendue par Montaigne.

(REMARQUES SUR UNE QUATRIEME OBSERVATION DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.11-12)

Il croit même pouvoir en déduire la masse de Vénus.

On sçait, par la Théorie de l'attraction , que les masses de deux Planettes qui ont des Satellites , sont nécessairement en raison composée de la directe des cubes des distances & de l'inverse des quarrés des temps périodiques de chaque Satellite respectivement; multipliant donc la fraction 1075/1558, qui est le rapport des Diamétres de Vénus & de la terre, par 50/60, qui est le rapport des distances du Satellite à Vénus , & de la Lune à la terre , prenant le cube du produit, & le divisant ensuite par le quarré de la fraction 120/273 , qui est le rapport des tems périodiques du Satellite & de la Lune, j'ai trouvé 0,98 qui approche beaucoup de l'unité , & qui prouve que la masse de Vénus est presque égale à celle de la terre, la différence de 1/50 étant insensible dans des calculs de cette espéce.
Note: Ce calcul est complètement faux. Non seulement il utilise des mesures faites à l'estime, mais il est basé sur un diamètre de Vénus erroné, impliquant que le volume de Vénus soit le tiers de celui de la Terre, ce qui implique que la densité de Vénus soit le triple, ce qui est suspect.
  Je ne dois pas dissimuler au reste qu'on trouveroit la masse de Vénus trois fois plus grande que celle de la terre, si l'on employoit le Diamétre de Vénus, tel que l'ont supposé MM. Cassini , Huygens, Hévélius , Keil, M. l'Abbé de la Caille, & même M. le Monnier, page 556 ; c'est-à-dire, presqu'égale à la terre; Car la masse augmentera précisément comme le cube du Diamétre; mais, s'il y a de l'incertitude à cet égard, l'Observation de la semaine prochaine qui doit résoudre tant de difficultés, éclaircira de même celle-ci.
Note: Il y a là une incohérence, car tantôt l'auteur se base sur les chiffres de LeMonnier et tantôt il les ignore.
(REMARQUES SUR UNE QUATRIEME OBSERVATION DU SATELLITE DE VÉNUS, Paris, MDCCLXI, p.12-13)

Et voila! Sonnez cloches, résonnez trompettes: M. Baudouin de Guémadeuc vient d'entrer dans l'histoire. Galilée avait découvert les satellites de Jupiter, Huygens et Cassini, les satellites de Saturne. Baudouin de Guémadeuc, lui, a trouvé l'orbite du satellite de Vénus et la masse de sa planète.

Malheureusement, les manuels d'astronomie ne se souviennent pas de lui. Il a disparu piteusement dans les oubliettes. Il faut dire qu'aucun astronome n'a vu le satellite, lors du passage suivant de Vénus devant le soleil, et que les observations de Montaigne se révélèrent plus tard n'être que des observations d'étoiles.
Quant à Armand-Henri Baudouin de Guémadeuc lui même, à la suite d'un différend familial, sur fond de succession, où il fut accusé d'escroquerie, il fut, en 1779, enfermé par lettre de cachet au Donjon de Vincennes, puis relégué par M. Amelot chez les Cordeliers de Tanlay. Triste fin pour un découvreur. Il est vrai que son exploitation de données boiteuses pour se hisser sur un piédestal n'était pas très honnète non plus...

Il faut bien reconnaitre que tout cela n'était qu'un chateau en Espagne. Baudouin de Guémadeuc avait révé d'être un découvreur, et utilisé les services d'un autre. La société d'Agriculture du Limousin était loin d'ètre l'académie des sciences. Jacques Laibats, n'était qu'un astronome amateur, avec une lunette comme pouvait en avoir un amateur de son temps. Ses observations faites à l'estime, sans même mentionner l'éclat, ne permettait pas une reconstitution d'orbite, et le dessin qui en a été publié était faux!

A gauche, le dessin publié par Baudouin de Guémadeuc, à droite la planète Vénus d'après Stellarium.
Bien que mal dessinée, la phase de Vénus est à peu près correcte, mais nous allons voir que les dimensions angulaires et l'aspect du satellite ne le sont pas du tout.

1/3 distance d'observation pour voir l'image de droite à l'échelle

A gauche, le dessin publié, avec Vénus à la même échelle qu'à droite.
A droite, reconstitution de l'observation du 3 mai, avec les valeurs indiquées par Montaigne, en tenant compte de la résolution de sa lunette, et d'un grossissement de 50.
On voit que non seulement les distances sur le dessin sont fantaisistes, mais que Montaigne ne pouvait pas voir un croissant dans la petite lueur informe, supposée être le satellite. Le dessin montré plus haut est donc faux, et le rapport d'observation avec. On peut alors se demander si les croissants sortent de l'imagination de Montaigne ou de celle de Baudouin.
De plus, les mesures étant faites à l'estime et non au micromètre, la position du satellite évoque assez bien celle d'une étoile de magnitude 8.75. Et la position du satellite le 4 mai est presque exactement celle de l'étoile HIP 26291, de magnitude 6.25, que l'observateur ne pouvait pas ne pas avoir vu, et qu'il avait forcément vu la veille aussi, puisqu'elle était encore plus près de Vénus. Les observations des 3 et 4 mai ne concernaient donc que des étoiles.

Mais ce n'est pas tout. Le 3 mai, l'observateur a négligé HIP 26291 mieux visible et près de Vénus, pour lui préférer l'étoile BD+27 802, de magnitude 8.75 à 23' de Vénus, à laquelle il attribua un diamètre du 1/4 de celui de Vénus. Or il était censé tout ignorer de la distance du satellite et de sa taille, et ne pouvait pas distinguer la phase, ni la taille du supposé satellite. Ceci ne peut s'expliquer que s'il était parti d'avance sur l'hypothèse que le satellite de Vénus est similaire à la lune, tant en taille qu'en distance. Dans ces conditions, vu la distance de Vénus à la Terre le 3 mai, la distance apparente du satellite à Vénus, supposée mesurée dans un plan frontal, eut du être d'environ 21'. Voila pourquoi Montaigne préféra le 3 mai un astre faible mais à une distance compatible avec celle attendue, et que le 4 mai, il accepta HIP 26291, rejetée la veille, parce que ce jour là, elle était à la distance attendue. Mais ce faisant, il ne s'est même pas rendu compte que l'éclat de son satellite avait été multiplié par 10, entre le 3 et le 4 mai.
Il y a plus: si l'on se place au point de vue photométrique, la lune de Vénus aurait du être 100 fois moins lumineuse que sa planète. Mais ceci en fait encore une étoile de première magnitude. Aucun observateur du satellite de Vénus ne l'a vu comme une étoile de première magnitude. Et Montaigne a choisi une étoile 1000 fois moins lumineuse que le satellite attendu. Montaigne, comme tous les autres observateurs a donc négligé le point de vue photométrique, qui, il faut bien le dire réfute totalement l'hypothèse d'une lune autour de Vénus.
On peut ême penser que si Baudouin de Guémadeuc n'avait pas trouvé de satellite, alors qu'il devait observer à la même époque que Montaigne, c'est parce qu'il s'attendait à en trouver un brillant comme la lune à la même distance, et qu'il n'a pas reconnu de satellite dans les étoiles qu'il voyait autour de Vénus.

De même le 7 mai, Montaigne a négligé l'étoile HIP 26852, de magnitude 8.25 à 1 diamètre de Vénus, pour lui préférer l'étoile HD 246366, de magnitude 9.15 à 27 ' de Vénus, ce qui était plus compatible avec la distance attendue. Même jeu le 11, avec l'étoile BD+27 866, de magnitude 8.15 à une distance de 24', qui de plus respectait l'idée que le satellite ait effectué une partie de sa révolution autour de Vénus.

Montaigne avait donc délibérément triché. Au lieu de chercher systématiquement de petits astres proches de Vénus, il a supposé arbitrairement que le satellite devait ètre gros comme la lune, à la même distance de Vénus que la lune l'est de la Terre, et qu'il devait être vu dans un plan frontal. Et ceci sans même réfléchir que dans ce cas le satellite serait de première magnitude, et donc visible à l'oeil nu, lors des élongations de Vénus. Il a alors sélectionné les petits astres qui validait son hypothèse. Est il besoin d'ajouter que c'est stupide et honteux?

Ensemble des observations d'étoiles de Montaigne, y compris celles alléguées par Stroobant, avec les positions par rapport à Vénus.

Cependant les observations de Montaigne, présentées dans un ostensoir par Baudouin, furent prises au sérieux pendant plus d'un siècle, puisqu'elles sont mentionnées dans l'Encyclopédie de Diderot, dans l'Astronomie poulaire d'Arago, servirent à Lambert pour calculer l'orbite de ce satellite, et furent encore admises par Houzeau en 1884, qui remplaça le satellite par une planète qu'il baptisa Neith.

Pourtant, même pour l'époque, et sans vérifier la position des étoiles, ces observations, faites avec une lunette d'amateur, étaient bien médiocres. Elles étaient faites à l'estime, alléguaient un aspect en croissant que l'observateur ne pouvait pas voir, vu la faiblesse de la lumière et la résolution de sa lunette, et n'indiquaient même pas la magnitude estimée. Elles furent descendues en flammes avec le satellite par Paul Stroobant qui montra qu'elles ne concernaient jamais que des étoiles faibles (encore qu'il se soit trompé sur l'identification des étoiles).

Jacques Laibats, alias Montaigne, n'a donc jamais observé de satellite à Vénus. Il n'a présenté que des observations biaisées, montées en épingle par un escroc. Heureusement, il se racheta plus tard en découvrant trois comètes, dont la comète dite de Biéla

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Dernière mise à jour: 10/11/2020