vers 580. Grégoire de Tours décrit Arcturus.

Le livre de Grégoire de Tours, De cursu Stellarum ratio, ne prétend pas - heureusement - être un livre d'astronomie. Il s'agit seulement d'aider les moines à déterminer l'heure des prières et litanies en observant la position des étoiles.
Le traité commence par une courte liste de groupes d'étoiles, puis continue par un petit calendrier indiquant, mois par mois, le lever des étoiles et l'heure qui s'en déduit.

Les étoiles indiquées sont malheureusement difficiles à identifier, par les dessins qui nous en restent, car non seulement l'auteur n'était pas astronome, mais ses copistes non plus, et les éclats respectifs sont assez mal représentés.
L'astronome Galle (celui qui découvrit Neptune) s'y est essayé, mais le résultat n'est pas toujours convaincant. Pour lui quinio (le quintet) est la constellation du Grand Chien, et falx (la faux), la constellation d'Orion. Mais la disposition des étoiles ne correspond pas du tout. Si le quintet était le Grand Chien, il y aurait deux étoiles en haut, et trois en bas, et Sirius, l'étoile la plus brillante du ciel, y serait certainement figurée bien plus grande que les autres étoiles. De fait, il ne semble pas que Grégoire de Tours ait parlé de Sirius, il avait plutôt besoin d'étoiles visibles une grande partie de l'année, mais qui soient capables de se lever et de se coucher.
On verrait bien plutôt le quintet comme les étoiles Bétélgeuse, Rigel, et les trois étoiles de la ceinture d'Orion.
En nous souvenant que ni les écarts, ni les éclats ne sont bien respectés, nous pouvons tenter de rectifier l'image du quintet, qui ressemble alors passablement bien à la constellation d'Orion, à ce détail près, que Bellatrix et Saïph n'ont pas été représentées.


dessin original

dessin rectifié

La faux, elle, ressemble plutôt à la constellation des gémeaux.

Il n'y a guère que deux groupes d'étoiles dont l'identification est certaine. D'abord les Pléiades:

has stellas quidam massam vocant, nonnulli pliades, et pleri vero butrionem.
Certains appellent ces étoiles l'amas, quelques uns les Pléiades, et beaucoup la grappe.
Le nombre n'y est pas, mais l'aspect ramassé, et surtout l'appellation Pléiades ne font aucun doute.

Ensuite la Grande Ourse:

De his stellis, quas rustici plaustrum vocant, quid dicere possumus, cum non ut reliquae stellae oriuntur aut occidunt.
De ces étoiles, que les paysans appellent le chariot, que pouvons nous dire, alors qu'elles ne se lèvent ni ne se couchent comme les autres étoiles.
Le nombre n'y est toujours pas (à moins d'admettre que Grégoire de Tours ait représenté Alcor), mais le caractère circumpolaire, l'appellation "Chariot", et l'aspect (bien que l'image soit inversée) ne laissent encore aucun doute.

Une étoile, cependant, est clairement identifiable par sa couleur et ses dates et heures d'apparition:


Haec stella in septembre oritur et matutino apparet, quae a quibusdam rubeola vocatur, tamen prius [in] initio apparet noctis et sic iterum oritur mane; ergo lucet in septembre hora I. in octobre hora II. in novembre III. in decembre et in ianuario VIII. in februario VIII. in martio VII, in aprile VI. in iunio IIII. in iulio III. in augusto II. set primum ut diximus, oritur; habet tamen aliam minorem, quae praecedit.
Cette étoile se lève en Septembre, et apparaît le matin, que certains appelent "la rougeaude", elle apparait cependant d'abord au début de la nuit, et ainsi derechef le matin; elle luit donc en septembre à l'heure I, en octobre à l'heure II, en novembre à la III, en décembre et en janvier à la VIII, en février à la VIII, en mars à la VII, en avril à la VI, en juin à la IV, en juillet à la III, en aout à la II. Mais avant, comme nous l'avons dit, qu'elle ne se lève, il y en a cependant une autre plus petite qui la précéde.
Note: Cette étoile rougeaude, visible presque toute l'année, ne peut évidemment pas être Sirius, qui, à Tours, n'est plus visible de fin avril à début août. La chronologie de sa visibilité montre qu'il s'agit d'Arcturus, étoile effectivement rougeatre, et qui, lors de son lever, est précédé d'η Bootis, alias Muphrid.
...
SEPTEMBRE

In mense septembre oritur ergo stella splendida, quam supra rubeolam diximus, aliam prope se habens minorem praecedentem; ergo quando in septembre oritur, si signum moveatur ad matutinos, quinque psalmos in dei laude concinere in antiphonis potes; jam vero si ad medium noctis vis signum caeleste requirere, falcem observa, et cum in hora diei quinta advenerit, surge; certe si vigiliam perpetim celebrare volueris, si consurgas, cum stellae apparent, quas butrionem superius vocitamus, explicias nocturnos cum galli cantu, octoginta psalmos in antiphonis, priusquam matutinos incipias, explicabis.

Au mois de Septembre se lève donc cette splendide étoile, que nous disions rougeaude ci dessus, précédée d'une autre plus petite près d'elle, donc quand elle se lève en septembre, si le signe est déplacé vers les matines, tu peux chanter cinq psaumes à la louange de Dieu dans les antiennes, mais maintenant, si au milieu de la nuit, tu veux chercher le signe céleste, observe la faux, et quand viendra la cinquième heure du jour, lève-toi; sans doute si tu voulus veiller continuellement, si tu te lèves quand apparaissent les étoiles, que nous appelions plus haut, la grappe, tu t'acquittes des offices nocturnes au chant du coq, tu chanteras 80 psaumes dans leurs refrains, avant que n'arrivent les matines.
Note: La grappe, c'est tout simplement les pléiades. Quant à la faux, nous avons vu que c'est probablement la constellation des gémeaux.


Reconstitution par Stellarium de la visibilité d'Arcturus pour le 30 septembre:
elle apparait cependant d'abord au début de la nuit, et ainsi derechef le matin;
Arcturus peut apparaitre au début de la nuit, disparaitre sous l'horizon et réapparaitre à la fin de la même nuit, parce que c'est une étoile boréale, qui, à Tours, ne reste que 9 heures sous l'horizon. Sirius, qui y reste 14 heures 35 minutes, ne peut produire le même résultat.

On peut quand même se demander si les moines de cette époque ont réussi à identifier toutes les étoiles mentionnées. Un moyen plus simple, et plus sûr, de connaitre l'heure d'après les étoiles est d'observer l'orientation du chariot de la Grande Ourse, en imaginant les étoiles Mérak et Dubhé, comme l'aiguille d'une horloge, dont le centre est le pole céleste. Cette aiguille donne alors l'heure sidérale, que, connaissant le rang du jour, dans le cours de l'année, on retransforme en heure civile au moyen d'une règle de trois.
Grégoire de Tours a bien remarqué que pour une même heure, l'orientation changeait selon l'époque de l'année, mais n'a pas pensé à en faire une horloge.

Notons que quatorze siècles plus tard, de prétendus astronomes, qui auraient mieux fait de fréquenter un club d'astronomes amateurs, ont affirmé dans une revue pourtant prestigieuse, que l'étoile rubeola de Grégoire de Tours, n'était autre que Sirius, alors que les dates et heures de visibilité ne correspondent absolument pas. Il y a des bonnets d'âne qui se perdent!
(Gregorii Turonensis Episcopi liber ineditus De Cursu Stellarium Ratio )

Dernière mise à jour: 03/10/2018

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