Gassendi dessine Saturne

Pierre Gassendi dessiné en 1636 par Claude Mellan
Pierre Gassendi
Pierre Gassend, dit Gassendi, nait à Champtercier, près de Digne , le 22 janvier 1592 . Il suit des études de philosophie à Digne puis aux universités d'Aix-en-Provence et d'Avignon où il obtient, en 1614, un doctorat en théologie. Après un premier voyage à Paris en 1615, il est ordonné prêtre en 1616, puis enseigne la philosophie à Aix de 1617 à 1623. A partir de 1624, il partage son temps entre Paris et la Provence. Prévôt de la cathédrale de Digne en 1626, il fait un voyage aux Pays bas en 1628.
Initié à l'observation astronomique par Joseph Gaultier, prieur de la Valette, il est le premier, en 1631, à observer le passage de Mercure prédit par Kepler (il faut dire que Mercure avait de l'avance sur l'horaire).
Partisan de la prudence dans l'élaboration du savoir et de la primauté de l'observation sur la théorie, il s'oppose aux certitudes de Descartes, notamment en faisant des objections à ses méditations, et laissera 400 pages de notes d'observation.
En 1645, il est nommé professeur de mathématiques au Collège royal à Paris, mais devra "prendra sa retraite" trois ans plus tard. En mai 1653, Gassendi se loge définitivement à Paris, dans l'hotel d'Henri Louis Albert de Montmort, mécéne et homme d'esprit, qui avait d'ailleurs proposé un service similaire à Descartes, qui refusa ( pour sa perte, hélas ). Gassendi fut alors le noyau d'une assemblée où l'on vit des esprits aussi brillants que Carcavi, Pascal ou Roberval, pour ne citer que les plus connus.
Malade, il s'en remet au corps médical. Hélas la médecine de l'époque, dont s'était tant moqué Molière, n'était ni Gassendienne ni Cartésienne, mais bètement Scholastique, et Gassendi parti vérifier les théories sur l'autre monde le 24 octobre 1655, après avoir subi une dizaine de saignées.
Après sa mort, le cénacle de savants qui l'entourait s'érigea en "académie Montmorienne", qui fut rien moins que l'embryon de la future académie des sciences.

Nous connaissons, grace une recherche de l'astronome Guillaume Bigourdan, les instruments dont s'était servi Gassendi. Les premières lui vinrent de Joseph Gaultier. En 1636 il en reçut une de Galilée lui même, qui ,le pauvre, devenant aveugle, n'en avait plus l'usage. cette lunette, qu'il appelait "tubum maximum", fut la plus puissante qu'il eut alors. En 1648, il en reçut une d'Hévélius, de 4 1/2 pieds. On est hélas loin des lunettes qu'auront Huygens, Hooke, Hévélius ou Cassini, dont les longueurs s'échelonneront de 12 à 250 pieds. On peut dire que Gassendi disposa d'instruments de même puissance que Galilée.


Nous avons reproduit, tel que nous l'avons lu, le texte latin correspondant à la description de ce qu'avait vu Gassendi, mais, malgré toute la science de Félix Gaffiot, nous avons renoncé à traduire au dela de l'observation de 1642. La faute en est aux scans médiocres de Gallica, à la typographie désuète et incertaine de l'édition de Lyon, et au style de Gassendi, qui au lieu d'employer le latin tout simple des registres paroissiaux, emploie plutôt celui des salons littéraires.
Bref, latin compliqué + typographie archaïque + coquilles + scan médiocre = ????
On remarque que ce qu'on peut comprendre du texte, ne correspond pas toujours bien au dessin. Pour mieux juger nous avons reconstitué, à droite, l'aspect de Saturne, tel que Gassendi pouvait le voir avec la lunette qui lui venait de Galilée. Nous connaissons les grossissements et les diaphragmes qu'employaient Galilée, d'ou nous pouvons déduire que cette lunette devait avec une résolution de 5 secondes d'arc environ. Nous avons reconstitué l'image de Saturne avec le logiciel Celestia, puis appliqué un flou correspondant à la résolution de la lunette

Les dessins de Gassendi

1633, 19 juin, soir, environ 10 H, à Digne
Saturne dessiné par Gassendi le 19 juin 1633
Après plusieurs jours de météo défavorable, Gassendi peut enfin observer et faire son premier dessin de Saturne. Il note:
Postea circiter decimam cum per varios nubios hiatus Saturnum tubo respicerem, is quasi ovum sericum, seu quo bombyx filo deducto concluditur. Diameter longior (existens fere secundum longitudinem Zodiaci) vix apparuit minor Diametro Venerea, utraque nempe visa est repetita octies aut decies adaequatum proxime Diametrum foraminis Tubi. Et aparre quidem anteriore ansa, seu appendicula ostensa est confusior; sed a posteriore exhibita est omnino distincte
Ensuite, aux environs de la dixième heure, à travers quelques éclaircies, avec ma lunette j'observai Saturne, comme le cocon qui referme le ver à soie quand il a fait son fil. Le plus grand diamètre ( à peu près selon la direction du zodiaque) parut à peine inférieur à celui de Vénus. Chacun des deux en effet, était vu dans approximativement le huitième ou le dixième du champ de ma lunette. Et je découvris la précédant nettement, une anse, c'est à dire un appendice distinct, mais la suivant, s'en montrait nettement une autre

1634, 13 avril, matin, à Aix
Saturne dessiné par Gassendi le 13 avril 1634
Diable! Gassendi aurait il vu un OVNI? Ou sa "plus grande lunette" est elle un peu faible:
Telescopio maximo visus est oblongus, & qualis semper alias.
Saturne, Avec ma plus grande lunette, est vu allongé, et toujours comme l'autre fois
Comme l'autre fois? heu...

1636, 20 novembre, soir, à Aix
Saturne dessiné par Gassendi le 20 novembre 1636
Saturne vu par Gassendi le 20 novembre 1636
Attendere placuit ad formam eaque exhibita fuit, non quasi adiunctis orbi medio duobus aliis orbiculis, sed quasi adnatis duabus ansulis interceptis maculis, quasi foraminibus effictae
Il me plut de rechercher la forme de Saturne, et elle m'apparut, non comme deux petits globes adjoints au globe central, mais comme deux anses détachées limitées par des taches, comme percés de trous
Il est probable qu'il utilisait la lunette fournie par Galilée, car il s'en était servi précédemment pour observer Vénus

1638, 13 décembre, soir, à Digne
Saturne dessiné par Gassendi le 13 décembre 1638
Saturne vu par Gassendi le 13 décembre 1638
Spectatus postea est Galileano télescopip, visus est autem exilissimus ac huiusmodi proxime figura
Ensuite Saturne fut observée avec la lunette de Galilée, mais il paru très mince, comme sur cette figure approchée
Ici "lunette de Galilée" veut dire, lunette que lui avait fourni Galilée deux ans auparavant. Curieusement la description de 1636 ( percées de trous ) s'accorde mieux avec ce dessin ci

1642, 10 août, soir, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 10 août 1642
Saturne vu par Gassendi le 10 août 1642
Cum direxissem consequenter Telescopium ad , rem insperatam observavi, nempe sine ansis, quod nondum videre contigerat
Alors que j'avais dirigé conséquemment la lunette sur Saturne, je vis une chose inattendue, Saturne vraiment sans anses, ce qu'il n'était pas encore arrivé de voir
La lunette est celle avec laquelle il venait d'observer Jupiter, et qui était celle de Galilée, lunette qui avait peut-être "vu" la disparition de 1612

1643, 30 mai, matin 3 H, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 30 mai 1643
Saturne vu par Gassendi le 30 mai 1643
Matutina elevatus fatis , supra tenuia nubila, quae horizontemp obsidebant exhibitus est perspicue tricorpor, et qualis ante decennium, ut superius, &c non autem qualis posterioribus annis, scilicet oblungus, et cum maculis versus angulos interceptis.

1643, 12 juillet, matin 3 H, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 12 juillet 1643
Saturne vu par Gassendi le 12 juillet 1643
Cum detulisset secum Agarratus meum Telescopium, ut Saturni speciem qualem observaret, exhiberet tum occe depictam modo attulit...

1643, 29 décembre, soir 5 H, à Pars
Saturne dessiné par Gassendi le 29 décembre 1643
Saturne vu par Gassendi le 29 décembre 1643
Autem tamem se, qualem prius exhibuit, nisi quod globuli visi sunt aliquanto distinctius seiuncti, & hac quidem circiter forma

1644, 22 juin, matin 2 H 1/2, à Pars
Saturne dessiné par Gassendi le 22 juin 1644
Saturne vu par Gassendi le 22 juin 1644
Asseclae etiam visi sunt, quam superiore anno maiores, proportione scilicer corporis

1644, 24 août, soir 10 H 1/2, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 24 août 1644
Saturne vu par Gassendi le 24 août 1644
Emerserat supra vapores. Globulus occiduus sensibiliter orientali maior; forma adhuc eadem et quoniam Radium apparam,

1644, 12 octobre, soir 9 H, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 12 octobre 1644
Saturne vu par Gassendi le 12 octobre 1644
Vespertina visus adhuc eadem specie; sed globus occiduus visus est distinctius quadam obscurationis linea discerni a médio, distinctinsque formam veluti cuculli referre, ut in schemate; orientalis vero nec tantum, nec ita discretus, nec adeo alienus a rotunditate: unde & cum ipsius diameter videretur tantum quadrans, aut summum triens diametri intermedii; diameter tamen occidui videretur esse dimidium. Apparuit itaque huiusmodi.

1644, 9 novembre, soir, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 9 novembre 1644
Saturne vu par Gassendi le 9 novembre 1644
adhuc idem visus, nisiquod etiam orientalis globus visus est nonnihil cucullaceus tametsi semper minor, arque indistantior, quam occidentalis. Unde et fuit Exhibita species propemodum talis,

1645, 12 janvier, soir, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 12 janvier 1645
Saturne vu par Gassendi le 12 janvier 1645
visi sunt adhuc distinctius Satellites quasi duo cuculli hac propemodum

1645, 11 février, soir,à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 11 février 1645
Saturne vu par Gassendi le 11 février 1645
visus fuit hac forma

1645, 26 décembre, soir 5 H, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 26 décembre 1645
Saturne vu par Gassendi le 26 décembre 1645
ad quod attinet, is iam satis exquisite Ellipticus, ovalisve apparuit videlicet hac quasi forma

1646, 18 mars, soir, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 18 mars 1646
Saturne vu par Gassendi le 18 mars 1646
cum ad Saturnum Telescopio attendissem, medius ille circulus albus non est mihi visus plane exquisitus, speciesque fuit prope huiusmodi

1649, avril, en Provence
Saturne dessiné par Gassendi en avril 1649
perseverabat deinceps sub insequentis aprilis fuerat eadem pene format. Quippe memoratus Galterius cum ipse non satis valerem, idem usurpavit Telescopium; et forma attente spectata talem mihi illius effigiem a se delineatam exhibuit.
Il semble que Gassendi utilise ici un autre télescope dont nous ignorons la résolution

1650, 8 décembre, à Toulon
Saturne dessiné par Gassendi le 8 décembre 1650
Saturne vu par Gassendi le 8 décembre 1650
Saturnus huiusmidi fere fuit

1651, 21 novembre, à Digne
Saturne dessiné par Gassendi le 21 novembre 1651
Saturne vu par Gassendi le 21 novembre 1651
Saturnus sic se prope habuit

1652, 14 septembre, matin, à Digne
Saturne dessiné par Gassendi le 14 septembre 1652
Saturne vu par Gassendi le 14 septembre 1652
Saturni species huiusmodi propemodum fuit

1653, 6 avril, soir, à Digne (?)
Saturne dessiné par Gassendi le 6 avril 1653
Saturne vu par Gassendi le 6 avril 1653
Saturnus eiusmodi fere apparuit, cuiusmodi sub finem anni 1645

1653, 29 septembre, matin, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 29 septembre 1653
Tubo Galileano, neque adhuc fulcrum idoneum ad sustentandum alium Eustachii Divini, quia mense Maio solum huc adveneram paratum fuerat, visa est species Saturni huiuscemodi, nisi quod ansae non omnino tantumdem seiunctae
D'après le texte, Gassendi utiliserait ici un télescope d'Eustachio Divini dont nous ignorons la résolution

1655, 27 juin, soir, à Paris
Saturne dessiné par Gassendi le 27 juin 1655
Saturne le 27 juin 1655
Telescopio Galileano Saturnus visus propemodum rest huiuscemodi nisi quod ansulae minores erant
C'est le dernier dessin de Gassendi. On remarque qu'il est quasiment identique à son tout premier.
A droite, Saturne telle qu'il l'aurait vu s'il avait eu un puissant télescope.
Il mourra quatre mois plus tard, avant d'avoir revu Saturne ronde, ni d'avoir compris son mystère


références:

G. Bigourdan, Sur la découverte de la visibilité des astres en plein jour et sur les travaux de Gassendi, C.R.A.S. 1916, tome 162, p 893

Paul Blanc, Observations de Saturne par Gassendi, Bulletin de la S.A.F., octobre 1903 , p 438

Petri Gassendi, Opera omnia, F. Frommann, Stuttgart, 1964, réédition en fac-similé de l'édition de Lyon de 1658, tome IV

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Dernière mise à jour: 14/05/2005