Antoniadi contre les Saturnomanes
Le nom d'Eugène Antoniadi évoque, pour tous ceux qui ont des rudiments d'Astronomie, le grand démystificateur des canaux de Mars. Il doit cette réputation à ses magistrales observations de Mars lors de l'opposition périhélique de 1909, mais il n'a pas observé que Mars, ni démystifié que ses canaux.
E.M. Antoniadi |
Eugenios Mihail Antoniadi est né le le 1er mars 1870, à Constantinople, c'est à dire aujourd'hui Istambul, en Turquie. Tout en suivant des études d'architecte, il s'intéressa vivement à l'astronomie et fit ses premiers dessins célestes en 1888 avec une lunette de 75 mm. Membre de la Société Astronomique de France en 1891, il commence à travailler en 1893 à l'observatoire de Juvisy, fondé par Camille Flammarion, avant d'en devenir directeur adjoint en 1895.
Il observe, dessine, photographie les astres. Il étudie les anneaux de Saturne où il décèle des structures radiales qu'on n'appelle pas encore des "spokes"
En 1896, il accompagne une expédition de la British astronomical Association, qui lui donnera bientôt la responsabilité de sa section d' études de Mars. il publie en 1898 son premier mémoire sur cette planète. A cette époque, il n'est question pour Mars que de ses canaux, mais Antoniadi est sceptique sur leur réalité, alors que Flammarion penche pour leur existence: Les canaux s'accorderaient bien avec l'existence des martiens, à laquelle Flammarion tient beaucoup.
La brouille est consommée en 1902: Antoniadi quitte la S.A.F. et finit par rentrer en Turquie
Il revient en France en 1909, mais, malgré sa réconciliation avec Flammarion, c'est à l'observatoire de Meudon qu'il va travailler. On le comprend quand on sait qu'à Meudon le directeur, Henri Deslandres met à sa disposition la grande lunette de 83 cm d'ouverture, alors que celle de Juvisy ne fait que 24 cm. Il va s'en servir lors de l'opposition périhélique de Mars, pour faire des dessins de Mars d'une précision sans précédent, ou les "canaux" se résolvent, au mieux, en un chapelet de taches. Il démontre ainsi ce qu'il pressentait depuis plus de 10 ans: les " canaux " de Mars ne sont que des illusions d’optique.
l'article d'Antoniadi |
En 1930, Il met sa science de démystificateur d'illusions d'optique, pour envoyer aux oubliettes, quelques vieilles lunes concernant les anneaux de Saturne. Non les anneaux n'ont pas changé de taille, non les anneaux n'ont pas d'atmosphère.
S'il ne va pas jusqu'à expliquer qu'il n'y a pas d'habitants sur l'anneau, c'est sans doute qu'il juge cette hypothèse trop stupide pour mériter une réfutation.
Pourtant certains l'ont affirmé. Si, si! En 1838 le révérend Thomas Dick en a même compté les habitants: ils sont au nombre de 8 141 963 826 000.
Et attention: les 3 derniers chiffres sont exacts!
Mais par contre, il va faire remarquer la subjectivité des observations, à propos des couleurs, s'attaquer aux ombres concaves et polygonales, et nettoyer l'anneau de toutes ses divisions qui lui donnent un aspect démantibulé. Il n'y a pas vraiment de divisions, il n'y a que des "zones de raréfaction corpusculaire". Non mais sans blague! |
Pas d'ombres concaves!
Fig. 83 |
Ni ombres concaves, ni ombres polygonales, car:
Ombre du globe sur les anneaux -
... La limite de cette ombre a paru souvent convexe vers Saturne sous une ouverture moyenne de l'anneau (fig. 83), et elle donne lieu à une entaille dans la division de Cassini (fig.84).
Fig. 84 |
Or ces apparences ne sont pas dues à des épaisseurs différentes du système annulaire, ainsi qu'on la longuement soutenu, mais aux mêmes phénomènes optiques qui produisent l'aspect protubérant de la calotte neigeuse de Mars, ou la fameuse goutte noire de Mercure et de Vénus sur le bord du soleil : agitation de l'air, irradiation et diffraction, agissant toutes dans le même sens et faisant empiéter les parties lumineuses des astres sur les noires, ou sur le fond sombre du ciel. Ainsi la partie la plus brillante de l'anneau, celle qui longe intérieurement la division de Cassini, envahit l'ombre, comme on sait, plus que les autres. Puis, le flou introduit dans les images par ces phénomènes optiques, qui émoussent les angles de l'anneau à la rencontre de la division de Cassini avec l'ombre portée du globe, donne lieu inévitablement à l'entaille de la division
Curieusement Antoniadi, ne sépare pas les roles spécifiques de chaque phénomène: l'aspect protubérant de la calotte neigeuse de Mars n'est du qu'au contraste simultané, alors que la "goutte noire" qui se manifeste lors des 2ème et 3ème contact des transits de Mercure et Vénus n'est due qu'à l'irradiation et n'apparait qu'avec une forte luminance du disque solaire, due à un filtrage insuffisant.
Mais si l'explication d'Antoniadi semble expliquer correctement les ombres concaves et polygonales, elle est impuissante à expliquer l'ombre déchiquetée observée par Trouvelot. Pour cella là, il faudra trouver autre chose.
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Pas de tache blanche dans l'ombre!
En 1889, Terby observa une tache blanche bordant l'ombre du globe sur l'anneau, que Common et d'autres ont expliqué par le contraste.
Nous avons vu que Maggini en avait vu une aussi, et l'explication parait correcte.
Pas de divisions!
Non, pas de divisions, c'est astronomiquement incorrect, seulement des "zones de raréfaction corpusculaire"...
La zone de raréfaction corpusculaire, dite division d'Encke
Short disait à de La Lande avoir observé plusieurs divisions sur la partie extérieure de l'anneau; mais c'étaient là des illusions. En 1823, Quételet, essayant à Paris une lunette Cauchoix, « crut apercevoir que l'anneau extérieur était double », ce qui est une constatation satisfaisante et qui fait honneur au savant astronome belge; car on peut y reconnaitre la première observation de la division dite d'Encke. Kater voyait six divisions illusoires en 1825-1826.
Fig. 87 "véritable aspect" des divisions de Cassini et d'Encke |
Puis, en 1830, J. Herschel en notait ici une; et, en 1837, Encke observait la fameuse division qui porte son nom, aussitôt confirmée par Maedler; Galle, de Vico, Schwabe et de très nombreux observateurs. En 1843, Lassell et Dawes voyaient cette division plus près du bord extérieur que de la division de Cassini. Pour Dawes, c'était une division noire.
Mais il était réservé à Lassell de déchiffrer l'énigme: « L'on ne pouvait distinguer ou imaginer aucune division proprement dite sur l'anneau A », écrivait cet éminent observateur en 1852 ; mais il y avait « une grisaille évidente au milieu de sa largeur, dont elle occupait près d'un tiers". Bond et Hippisley ont corroboré cet aspect de bande grisaillée, et Secchi notait plus tard qu'il n'y avait ici « pas de division, mais seulement une ligne au crayon, cendrée ». C'est ce que Trouvelot, HaII, Pratt, EIger, Gaudibert et Barnard ont observé, entre autres, et ce que MM. Baldet et Lyot et nous-même avons constaté plus d'une fois avec le 0m,83 de Meudon (fig. 87).
Donc, d'après Antoniadi, la prétendue division d'Encle ne serait qu'une bande sombre. Il continue:
...
Bien d'autres divisions, plus ou moins illusoires, ont été signalées ici à diverses reprises.
En 1888, Keeler et Holden apercevaient une ligne très mince au cinquième de la largeur de cette partie du système, à partir du bord extérieur, que Barnard confirmait l'année suivante.
Et c'est tout. On a bien l'impression qu'Antoniadi, après avoir affirmé que le division d'Encke n'est qu'une bande sombre correspondant à une "zone de raréfaction", classe l'observation de Keeler avec les illusions. Probablement n'a t-il pas lu le compte rendu de son observation, car il n'en cite pas la référence
...
La division de Cassini et les corpuscules qu'elle contient. -
...
Lassell nota en 1852 que la division était pâle là où elle se projetait sur le globe, comme si on voyait celui-ci à travers elle, et C.-À.. Young et Asaph Hall, en 1883, Whitmell et Gledhill, en 1902, répétaient cetie curieuse constatation.
En 1920, notre laborieux collègue, M. Raymond, d'Antibes, fit la très intéressante observation de la visibilité de l'étoile 20654 de La Lande dans la division de Cassini.
Mais nous avons vu que Ainslie avait fait la même observation en 1917, mais lui publiait dans une revue britannique
Herschel croyait voir la division aussi noire que le fond du ciel, son aspect sombre étant naturellement relevé par les parties lumineuses limitrophes; mais Bond, le premier, la jugeait en 1850 moins foncée que la partie du ciel comprise entre les anses et le corps de Saturne, ayant été suivi ici par Jacob, Secchi, Lassell, Trouvelot, Hall, Klein, Pratt, Elger et nous-même. « La division de Cassini, dit le P. Secchi, fut trouvée contenir une nébulosité transparente.» , et elle « parait un peu moins foncée que le fond du ciel », selon Trouvelot. Jacob y croyait discerner une teinte brune, illusoire. Il s'ensuit que la division de Cassini n'est point vide de matière, ainsi que cela ressort du reste de ses nodosités lumineuses, décrites dans notre deuxième article:
elle contient des pierres météoriques au point de paraître aussi nébuleuse que la partie intérîeure du système, bien que l'écartement des météores y soit incomparablement plus grand que dans la zone de raréfaction dite divisiqn d'Encke.
Donc d'après Antoniadi, la division de Cassini n'est rien qu'une "zone de raréfaction" plus raréfiée que la division d'Encke.
Comparaison |
Aujourd'hui les sondes spatiales nous ont apporté des images d'une précision étonnante, permettant de comparer le point de vue d'Antoniadi et la réalité.
La "division de Cassini", qui d'ailleurs n'a pas vraiment été découverte par Cassini, n'est effectivement pas une vraie division, car elle n'est pas vide de matière, et qu'il eut été très imprudent de la faire traverser par une sonde spatiale comme on l'avait envisagé. On peut bien parler d'une "zone de raréfaction", mais complexe, puisqu'elle contient aussi de petites divisions.
Mais pour la division dite d'Encke (qui n'a pas été découverte par Encke), c'est Keeler qui avait raison, il y a bien là une division.
Et les "spokes"?
Hé bien, pour les "spokes", Antoniadi n'est pas très bavard...
Les ombres plus ou moins radiales, émanant de la division de Cassini et observées par Trouvelot, d'autres, et nous-même, peuvent gagner en visibilité par une legère agitation des images
Diable, Antoniadi laisserait-il entendre qu'on voit d'autant plus de "spokes" que les conditions d'observations sont plus mauvaises, tout comme on voit d'autant plus de divisions que l'instrument est plus faible?
On se demande si Antoniadi, qui a alors 60 ans, n'est pas en train de reléguer ses observations de spokes au rayon des erreurs de jeunesse
référence:
E.-M. ANTONIADI, LA PLANETE SATURNE, Bulletin de la Société Astronomique de France, janvier 1930 p 1, février 1930 p 49, avril 1930 p 158
Dick, Thomas. Celestial scenery: the wonders of the planetary system displayed illustrating the perfections of deity and a plurality of worlds. New York, Harper & Brothers, 1838
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