L'anneau de Pierre Guérin


C'était au temps où le Pic du midi était un haut lieu de la photographie céleste. L'ombre de Bernard Lyot planait sous les coupoles. La pellicule Kodak Tri-X régnait sur les émulsions photographiques, du fait de son excellent rapport résolution/sensibilité, après avoir détroné les plaques superfulgur.
La photographie à haute résolution était un combat toujours perdu contre la turbulence, qui jamais ne permettait d'approcher la résolution théorique des grands instruments. Le fameux "seeing" descendait rarement en dessous de .5 ", sauf au Pic du midi justement , où avec un savant compositage et beaucoup de patience on descendait à .3 ", et parfois .25 "
L'exemple suivant, montre la différence stupéfiante entre la résolution obtenu autrefois avec un télescope de 120 pouces d'ouverture ( résolution théorique 0.044 " ) et la technologie argentique, et celle obtenu aujourdhui avec un télescope 10 fois plus petit et la technologie numérique (avec beaucoup de savoir faire)

Saturne, observatoire Lick
cliché Herbig, observatoire Lick
in Pierre Guérin, Planètes et satellites
Saturne, cliché Thierry Legault
cliché de Thierry Legault, du 5 janvier 2003
( Source )

C'est dans ces conditions que les 16, 26, 27 et 28 octobre, Pierre Guérin prit une historique série de 200 photographies au foyer cassegrain du télescope de 105 cm du Pic du midi. Avec une lentille de barlow, il amena la distance focale à 60 m, et utilisa une pellicule Tri-X, un filtre Wratten jaune clair, et une pose de 1 s

Saturne, cliché Pierre Guérin (colorisé) Les meilleurs clichés une fois composités donnèrent cette image (colorisée ici pour rappeler le filtre utilisé).
L'image devait faire 11 mm sur les négatifs
L'image montre un net assombrissement aux bords (qui n'existe pas en lumière violette), mais ne montre rien de particulier pour les anneaux (la division d'Encke n'apparait même pas, mais c'est normal)

A la loupe, les négatifs semblaient montrer deux petites zones légèrement plus denses que le voile de fond, près du bord du disque. Pour les faire faire ressortir, ainsi que les parties les plus faibles de l'anneau intérieur, l'anneau C, ou anneau de crèpe, Pierre Guérin opéra, à partir de son cliché composité, un contretypage savamment surexposé
La surexposition, qui a fait disparaitre la division de Cassini, et assombrit le voile de fond est censé faire apparaitre des détails, que Guérin interprète comme suit

contretypage de l'image de Saturne

Le résultat n'étant peut-être pas très convaincant, nous avons traité l'image en fausses couleurs (l'image originale est celle du livre de Pierre Guérin)

echelle de fausses couleurs cliché du contretypage de Saturne, en fausses couleurs

Malheureusement, le résultat est encore moins convaincant, car il montre que ces supposés détails se confondent avec la bruit de fond du voile. L'anneau C n'a pas la même densité à gauche et à droite
Pire, à gauche, la "division de Guérin" est plus claire que le voile de fond!

On objectera que c'est la reproduction de l'image qui est en cause, mais l'enregistrement photométrique du négatif, présenté par Guérin à l'académie des Sciences n'est pas plus convaincant

enregistrement photométrique de l'anneau de Saturne

On voit que la supposée différence de densité de l'anneau D avec le voile de fond ne représente que le quart du bruit crète à crète...

Il ne nous reste plus qu'à demander le verdict de la sonde Cassini, qui nous a fourni des images des anneaux des images, qui nont seulement ont une résolution à couper le souffle, mais encore une excellente dynamique, qui permet de faire apparaitre les détails sombres de l'anneau C, en modifiant le gamma. Voici l'anneau C, et l'espace qui le sépare de Saturne avec un gamma modifié d'un facteur 4. On voit qu'au voisinage du globe de Saturne, on ne voit que l'irradiation qui entoure le globe, sans qu'on puisse deviner la trace d'un nouvel anneau

Alors Quid de l'anneau D et de la "division de Guérin?"
Il semble que Pierre Guérin ait trop demandé à la technologie argentique, en la poussant dans ses derniers retranchements. L'anneau D n'a pas plus de réalité que les canaux de Mars ou les rayons N. Les véritables découvertes d'anneaux vont venir par les sondes spatiales et les caméras numériques.

Il est d'ailleurs curieux de remarquer que le travail de Guérin fut présenté à l'académie par André Lallemand, inventeur de la caméra électronique, ancètre analogique de nos CCD


Notes et références

1) C.R.A.S. tome 270 série A et B n°1 (5 janvier 1970), p 125 à 128 - Physique planétaire

2) SCIENCES & AVENIR n° 277 mars 1970, p 190 à 195 LE QUATRIEME ANNEAU DE SATURNE

3) Pierre Guérin - Planètes et Satellites - Larousse, 2ème édition (C) 1967

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