1756. Voltaire dénie la compétence d'Eusèbe de Césarée.
L'évêque Eusèbe de César, historien, exégète et apologiste, jouit d'une grande réputation au point d'être considéré comme le père de l'histoire ecclésiastique. Pour l'abbé Vrindts, c'était le Pic de la Mirandole de son temps, car il aurait tout lu. Mais Voltaire, qui inaugurait une nouvelle façon d'écrire l'histoire, avait un avis bien différent.
Pour développer l'histoire de l'esprit humain chez les peuples chrétiens, il fallait remonter jusqu'à Constantin, et même au-delà. C'est une nuit dans laquelle il faut allumer soi-même le flambeau dont on a besoin. On devrait attendre des lumières d’un homme tel qu'Eusèbe, évéque de Césarée, confideut de Constantin, ennemi d'Athanase, homme d'état, homme de lettres, qui le premier fit l'histoire de l'Eglise.
Mais qu'on est étonné quand on veut s'instruire dans les écrits de cet homme d'état, père de l'histoire ecclésiastique!
On y trouve, à propos de l'empereur Constantin, que « Dieu a mis les nombres dans son unité, qu'il a embelli le monde par le nombre de deux, et que par le nombre de trois il le composa de matière et de forme; qu'ensuitc avant doublé le nombre de deux, il inventa les quatre éléments; que c'est uue chose merveilleuse qu'en fesant l'addition d'un, de deux, de trnis et de quatre, on trouve le nombre de dix qui est la fin, le terme et la perfection de l'unité, et que ce nombre dix » si parfait, multiplié par Le nombre plus parfait de trois, qui est l'image sensible de la Divinité, il en résulte le nombre des trente jours du mois. (1)
C'est ce même Ensèbe qui rapporte la lettre dont nous avons déjà parlé, d'un Abgare, roi d'Édesse, à Jésus-Christ, dans Inquelle il lui offre sa propre ville qui est assez propre, et la réponse de Jésus-Christ au roi Abgare.
Il rapporte, d'après Tertullien, que sitôt que l'empereur Tibère eut appris par Pilate la mort de Jésus-Christ, Tibère, qui chassait les Juifs de Rome ne manqua pas de proposer au sénat d'admettre au nombre des dieux de l’empire celui qu'il ne pouvait connaitre encore que comme un homme de Judée; que le sénat n'en voulut rien faire, et que Tibère en fut extrêmement courroucé.
Il rapporte, d'après Justin, la prétendue statue élevée à Simon le magicien il prend les Juifs thérapeutes pour des chrétiens.
C'est lui qui, sur la foi d'Hégésippe, prétend que les petits neveux de Jésus-Christ par son frère Jude furent déférés à l'empereur Domitien comme des personnages très dangereux qui avaient un droit tout naturel au trône de David, que cet empereur prit lui-même la peine de les interroger; qu'ils répondirent qu'ils étaient de bons paysans, qu'ils labouraient de leurs mains un champ de trente neuf arpents, le seul bien qu’ils possédassent.
Il calomnie les Romains autant qu'il le peut, parce qu'il était Asiatique. Il ose dire que, de son temps, le sénat de Rome sacrifiait tous les ans un homme à Jupiter. Est-il donc permis d’imputer aux Titus, aux Trajan, aux divins Antonins, des abominations dont aucun peuple ne se souillait alors dans le monde connu ?
(1) Eusèbe , panégyriqne de Constantin, ch. IV et V.
Voltaire, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations, ch. X, 1756
Note: ces divagations numérologiques d'Eusèbe figurent bien dans son panégyrique et rappellent la naïve cosmologie de Platon.
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C'est clair, en dépit de sa réputation, Eusèbe de Césarée n'est pas un auteur fiable quand il s'agit de raconter une histoire extraordinaire. Ce n'est pas qu'on puisse le taxer de malhonnèteté, mais il est trop crédule pour qu'on puisse lui faire confiance dans ce cas. Et justement, la vision de Constantin était une histoire extraordinaire.
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