Les développements ultérieurs de l'apparition de Migné
Nous avons vu qu'à l'époque de l'apparition de la croix de Migné, trois factions s'affrontaient dans sa discussion: Les catholiques concordataire, la "Petite Église", et les libéraux. la "Petite Église" ayant disparu de la scène, il ne resta plus que les points de vue opposés des catholiques et des libéraux. Aujourd'hui le point de vue des catholiques royalistes est encore défendu, alors que celui des libéraux tend a ètre remplacé par celui du réalisme fantastique et des ufologues, qui ne s'y intéressent qu'à cause du mystère..
Les partisans du miracle
Les partisans du miracle étant de pieux croyants, ne risquaient pas d'abjurer leur croyance. Bien au contraire, ils la préchaient, et c'est ainsi que la croyance au miracle de la croix de Migné a perduré jusqu'à aujourd'hui.
Voyons comment Louis-Philibert Machet défend le miracle face à la meute des ses ennemis, qu'ils confond dans une entité diabolique qu'il appelle "le philosophisme".
Ici au contraire une cause invisible et mystérieuse retient durant une demi-heure la matière lumineuse dans les limites d'une figure extraordinaire. Elle empêche pendant tout ce temps les
lignes de se courber, les angles de s'arrondir , les proportions de varier, les dimensions de grandir et de décroitre, la couleur de se foncer et de pâlir. Elle arrête longtemps toutes les parties du phénomène aux mêmes points de l'espace. Elle conserve fixes tant de choses si variables.
Ce n’est pas tout encore. L'invisible cause amène la croix juste au lieu où se célébrait l'élévation d’un signe semblable. Elle la pose juste en face de l'église devant laquelle on était assemblé.
Elle l'étend juste au-dessus de l'auditoire, qu’on entretenait d’un crucifiment mémorable. Elle la fait briller juste dans le temps qu'un ministre de la religion exhortait à révérer l'image de l'immolation du Christ. Elte commence l'apparition juste au moment où le prêtre venait d'en décrire une semblable. Elle la conserve régulière et brillante juste le temps qu'il fallait pour accomplir la solennité sainte. Puis elle l’efface, comme à la main, juste quand se termine la cérémonie sacrée.
Manifestement il y a là autre chose qu’un météore fortuit, autre chose qu’un accident et des hasards. 11 y a intelligence, il y a dessein. Et par conséquent le phénomène ne peut être attribué à la matière brute, aux substances inanimées.
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Toutes les hypothèses imaginables, pour attribuer le phénomène à la puissance des hommes, sont maintenant connues, développées, épuisées. Vous venez de les voir fondre comme de la cire, au feu de l'examen.
Ainsi non seulement nul indice d'intervention humaine n’a été découvert par les enquêtes ; mais il y a certitude que le fait, avec ses circonstances, est impossible à tous les arts qui s’exercent
dans le monde.
Ce grand et mémorable évènement surpasse donc les forces des hommes, comme celles des animaux et de la matière.
Il est par conséquent l’œuvre d’une puissance surnaturelle.
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Ainsi la merveilleuse croix fut une œuvre des génies du bien, ministres puissants de la Providence divine. Ils formèrent de substance lumineuse cette croix aérienne, la placèrent avec précautions et avec bonté, la firent paraitre et disparaitre à-propos, de manière à autoriser les vérités religieuses, prêchées alors à une grande multitude.
C'est donc une sanction solennelle et céleste du christianisme, que ce signe miraculeux, symbole de la foi chrétienne, arboré dans les airs devant un peuple qui célébrait la mémoire de l'holocauste sacré du Calvaire. La religion, telle que l'enseigna le Christ mort sur la croix, est ainsi ratifiée encore une fois par le ciel. -
Louis-Philibert Machet, La Religion constatée universellement, Hivert, 1843, tome 2, pages 133 à 144
Note: la merveilleuse naïveté de l'auteur lui fait ignorer les propriétés des projections, et la non-exhaustivité de ses connaissances, ce qui lui permet de pourfendre les arguments des philosophistes, qui, il est vrai, ne valent pas mieux que les siens. Quant au brave sacristain, il aurait été tout étonné d'apprendre qu'il avait des pouvoirs surnaturels.
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Le marquis Jules Eudes de Mirville, érudit et médium, écrivit divers ouvrages sur le spiritisme, ce qui lui donna l'occasion d'affronter les sceptiques. Leurs arguments inappropriés à propos de la croix de Migné lui permettent de les ridiculiser.
En France, le vieux Constitutionnel adopta la burlesque supposition d’un immense cerf-volant lumineux, enlevé, et immobilisé tout à coup dans les airs. En belgique on connaissait, disait-on, l’espiègle auteur qui, du fond de son collége, avait envoyé l’aveu de sa faute à ses parents de Bruxelles; enfin les journaux italiens eux-mêmes, donnaient le récit des expériences répétées par les
chimistes de Rome jusque dans les appartements du saint Père, qu'ils avaient ainsi convaincu, disait-on, de la supercherie de la chose. Et qu’on le sache bien, nous nous rappelons encore la faveur avec laquelle ces différents bruits avaient été accueillis, même dans le clergé, car on ne sait ce qu'on dit, lorsqu'on parle de la séduction du merveilleux, du penchant inné à tout croire : nous penserions tout l'inverse, et si nous avions à établir la vanité de la grande conspiration ultramontaine, nous n’en voudrions d'autre preuve, que l'insouciante incroyance de la plus grande partie des laïques et même des lévites, au miracle de Migné.
En adoptant de ridicules versions, l'incrédulité se montra donc comme toujours excessivement crédule.
J.E.de Mirville, Question des esprits, Paris, Delaroque, 1855, page 15.
Note: Il est vrai que les sceptiques ne furent guère brillants comme nous allons le voir plus loin.
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L'abbé J-M Curicque, archéologue amateur, veut nous apprendre à écouter les prophéties et autres signes miraculeux.
VII. — Voici, pour terminer ce chapitre, comment l'illustre successeur de saint Hilaire répond à la question que tout lecteur est en droit de nous faire, en nous demandant ce que Dieu pouvait se proposer par ce prodige et pourquoi il avait choisi l'humble paroisse de Migné pour l'y faire éclater.
Ce que je puis dire, c'est que cette apparition de la croix, n'eût-elle servi qu'à déterminer la conversion de tous les habitants de cette paroisse, ce seul résultat justifierait le miracle.
Or, aujourd'hui encore, il est de notoriété que ce résultat a été complètement obtenu.
Mais par ce prodige le Seigneur à donné d'autres leçons, d'autres avertissements au monde entier. Nul ne doutera désormais de la part que prend le Ciel à ces saints exercices de la prédication évangélique, à ces missions catholiques qui ont pour but de ranimer la foi à la divinité de la Religion et de ramener les ämes à la pratique du devoir chrétien. Les missions alors tant attaquées, tant calomniées, Dieu a voulu les venger authentiquement.
Enfin le Très-Haut à fait briller la croix dans les airs, afin de nous apprendre qu’au milieu de nos luttes, de nos divisions, de nos calamités et de nos revers, il nous resterait une espérance, une ressource, à savoir :
la protection de ce signe qui a sauvé le monde et qui ne cessera de sauver notre patrie.
J-M.Curicque, Voix prophétiques ou signes, apparitions et prédictions modernes, Paris, Victor Palmé, 1872, page 15.
Note: L'apparition a servi à raffermir la foi, donc, c'est un miracle envoyé par Dieu pour sauver notre patrie. Quelle gloire pour le brave sacristain qui a allumé la lampe de l'église!
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Vers la fin du siècle, Arthur Loth, historioraphe catholique, entreprend de réhabiliter le miracle:
Aucun genre de preuves, aucune certitude ne manquait. Au bout d'un an, l'autorité ecclésiastique, toujours patiente, toujours circonspecte dans ses jugements, prononça. L'évéque, Mgr de Bouillé, déclara, dans un mandement au clergé et aux fidèles de son diocèse, le caractère surnaturel de l'apparition. Une fête commémorative fut établie le troisième dimanche de l'Avent. Le Saint-Siège aussi se prononça en faveur du miracle. Le Pape Léon XII daigna consacrer la date annuelle du prodige par la concession d'une indulgence plénière, en même temps qu'il enrichissait l'humble paroisse de Migné d'une croix d'or renfermant une portion de la vraie croix du Sauveur.
C'était, en effet, un grand miracle, digne d'étre célébré à jamais dans la chrétienté.
Arthur Loth, Le miracle en France au XIXe siècle, Desclée de Brouwer, 1895, page 36.
Note: Le saint siège ne se prononça que sur le caractère inexplicable de l'apparition sans en faire un miracle.
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En 2008, le blog de la charte de Fontevrault et du royalisme providentialiste commémore encore le miracle
17 décembre 1826. Un événement extraordinaire met en émoi la petite commune de Migné. La population du village et des environs s’est réunie pour la plantation d’une croix de mission. Alors que l’assemblée écoute le discours du prédicateur, une croix mystérieuse apparait dans le ciel. Contrairement à la croix qu’on vient de dresser, celle-ci est très grande, régulière, lumineuse et couchée. Elle reste ainsi une bonne demi-heure, orientée d’est en ouest, étendue par-dessus la foule, rassemblée devant l’église.
Les autorités civiles et religieuses sont alertées. Une commission d’enquête chargée de vérifier les faits est mise en place. La publication des conclusions de cette commission, qui confirment le fait, et la diffusion de lithographies représentant le miracle déclenchent une polémique nationale diffusée par les médias de l’époque: presse, brochures et livres. Les tenants de l’Eglise et du Concordat y voient une approbation divine, les anti-Concordataires dénoncent le coup monté et les libres-penseurs tournent en dérision les gens de Migné qu’ils traitent de paysans arriérés et crédules. Mais peu à peu d’autres préoccupations font la une de l’actualité et les médias abandonnent l’affaire de Migné.
L’apparition n’en est pas oubliée pour autant. Dans un mandement officiel l’évêque de Poitiers, monseigneur de Bouillé la déclare miraculeuse. Il fait agrandir l’église en forme de croix et la réoriente vers l’ouest, dans le sens de la croix de l’apparition. Sur la stèle de Mgr de Bouillé dans la cathédrale de Poitiers, un bas-relief illustre tout à la fois l’apparition et la reconstruction de l’église. Cette église reste le mémorial essentiel de l’événement. A l’intérieur, une grande croix recouverte de cuivre est fixée à la voûte du transept, à l’endroit exact de l’apparition. Un tableau dans la nef et le vitrail du transept de gauche représentent l’événement. Une inscription gravée au-dessus de l’entrée de l’église et une autre dans le transept, rappellent aussi ce fait exceptionnel.
https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2017/12/17/17-decembre-1826-lapparition-dans-le-ciel-de-la-croix-a-migne-auxances/.
Note: Tout ceci est quasiment exact, sauf que ce fait exceptionnel n'était pas un miracle.
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Les sceptiques
Les sceptiques, vont bien entendu, chercher des explications "scientifiques" au prétendu miracle. En réalité leurs explications n'ont rien de scientifique, car elles ne font que citer des phénomènes connus, mais sans vérifier que leurs paramètres s'accordent avec ceux de l'observation.
En 1854, Jacques Babinet se contente d'une explication de croix céleste qu'il connait:
Beaucoup de théologiens sérieux et parfaitement orthodoxes ont tâché, on l'ignore peut-être, d’assigner des causes naturelles aux miracles reconnus authentiques. L'étoile même qui conduisit les rois mages au berceau du Christ au moment où commence notre ère a été identifiée tantôt avec une comète, tantôt avec une de ces étoiles temporaires qui, comme la fameuse pélerine (peregrina) de 1572, brilla d’un éclat sans rival pendant quelques mois pour s’éteindre sur place et sans doute pour reparaltre plus tard. Ces théologiens ne voient le miracle que dans la circonstance, suivant eux non fortuite, qui amène le phénomène naturel juste au moment où arrive l’événement historique qu'il est destiné à marquer du sceau du merveilleux.
croix parhélique | C'est ainsi que dans un village des environs de Poitiers, au moment d’une plantation de croix, sur la tête d’une nombreuse procession en plein air, au soleil couchant et au moment où on entonnait les chants de la consécration du pieux monument, la croix aérienne d'un bel anthélie météorologique apparut au-dessus de toutes les têtes et fut un vrai miracle pour les nombreux assistans. M. Bravais nous a donné depuis peu d'années la théorie, longtemps inutilement cherchée, de ce curieux et rare météore. On voit dans la relation du miracle de Migné, publiée par le clergé pastoral de Poitiers, l'indication expresse que le merveilleux consistait dans l'apparition du phénomène au moment précis de la consécration de la croix de mission.
Babinet, Les sciences occultes au XIXe siècle, Revue des deux mondes 1854, page 510
Note: L'étoile des mages n'était ni une comète, ni une nova, mais une conjonction de 4 planètes, et la croix de Migné n'était pas une croix anthélique, puiqu'elle paraissait au zénith depuis le porche de l'église.
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En 1860, Louis Figuier se borne à rapporter une rumeur, ce qui ne lui fait pas honneur:
Si les mystiques ne brillaient pas en France par leur nombre, les miracles qu'ils opéraient avaient encore moins d'éclat. On ne peut mettre sur leur compte, si même il leur appartient, que celui de la fameuse croix de Migné, en 1826, fantasmagorie effrontée, honnie par toutes les voix contemporaines, et que Rome même a dû condamner dans les termes les plus flétrissants.
Louis Figuier, Histoire du merveilleux dans les temps modernes, tome 4, Hachette, 1860, page 144
Note: La source de Figuier est probablement l'article du Constitutionnel du 17 décembre 1828
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En 1872, Wilfrid de Fonvielle, aéronaute et vulgarisateur, né l'année de l'apparition, s'étend davantage, sur le problème, et tourne autour du pot sans trouver vraiment la bonne solution:
Le célèbre aéronaute Robertson a indiqué une solution qui est incontestablement de nature à avoir été employée pendant une cérémonie où les instincts superstitieux de la foule se trouvaient incontestablement surexcités.
Le savant et intrépide physicien prétend que les prêtres de l'antiquité avaient trouvé le moyen d'envoyer un faisceau de lumière sur la fumée des sacrifices et d’y peindre une silhouette représentant le dieu que l’on adorait dans le temple. Les imposteurs sacrés parvenaient facilement de la sorte à persuader à leurs dupes que la divinité venait respirer l’odeur des viandes qui figuraient sur la table sacerdotale dressée dans la sacristie, quand les prêtres avaient brûlé sur l'autel quelques rogatons dont ils ne voulaient pas pour leurs chiens.
Pour prouver que ce truc pouvait réussir, Robertson lançait un rayon de lumière sur la fumée de l'encens qu’il brûlait au milieu de son salon fantasmagorique de Tivoli. L'apparition d'une figure humaine que l'on aurait pu dire divine, ne manquait jamais son effet, et plongeait toujours les apectateurs dans un invincible effroi !
Les bons pères de la mission de Migné, qui connaissaient les merveilles de la lanterne magique, n'auraient donc été que des plagiaires de l’aéronaute, répétant devant des paysans abrutis une expérience avec laquelle l’impie Robertson avait fait courir vingt ans plus tôt l'élite de la société parisienne dans ses salons de Tivoli.
Loin de nous la pensée de nous porter. garant de la loyauté des bons pères; mais nous ne croyons point que l'explication de notre prédécesseur Robertson soit la plus naturelle, ou au moins la seule à laquelle nous devions nous arrêter!
En effet, il est clair que l'apparition de la croix de Migné a pu étre produite naturellement par un phénomène d'optique très-simple, analogue aux fata morgana de Reggio, aux mirages du Pas-de-Calais et même aux phénomènes de suspension aérienne , qui ont été bien des fois observés dans les rues de Paris. Que de villes fantastiques ne se sont pas montrées dans les nuages,
que d’armées s’y sont livré des batailles acharnées sans que les gens raisonnables aient crié au miracle!
Wilfrid de Fonvielle, La physique des miracles, E.Dentu, 1872, pages 216-217
Note: Fonvielle approche de la solution avec la projection d'images de Robertson, puis s'en écarte avec les phénomènes d'optique.
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Finalement, avec leurs explications inappropriées, ces sceptiques n'ont réussi qu'à donner des arguments aux croyants, qui ont eu beau jeu de démontrer que les savants n'avaient aucunes explications valables.
En 2015, Marc Hallet publie une édition définitive de son ouvrage Les apparitions de la Vierge. Dans son annexe sur les staurophanies (apparitions de croix de supplice) il traite de l'apparition de Migné.
Contrairement à ces phénomènes bien compris des scientifiques, il existe une
staurophanie fort connue et qui passe pour mystérieuse, quand bien même elle semble s'appuyer sur une documentation extrêmement solide : il s'agit de l'apparition d'une croix couchée à Migné-Auxances, près de Poitier, le 17 décembre 1826.
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L'affaire fit beaucoup de bruit compte tenu du nombre de témoins et de la durée du phénomène. Beaucoup d'articles, de brochures puis de livres s'en firent l'écho. Une polémique naquit et une enquête officielle fut diligentée par l'évêque de Poitiers. Au terme de celle-ci, le caractère authentique et miraculeux du prodige fut reconnu par l'évêque. Les années passant, les "pour" et les "contre" campèrent sur leurs positions et l'écho de l'événement diminua peu à peu. L'abondance de la littérature le concernant permet néanmoins, aujourd'hui encore, d'en rechercher une explication...
Le 16 janvier, l'évêque de Poitiers forma une Commission d'enquête à la tête de laquelle il plaça son vicaire général et un professeur de théologie du séminaire. Ces derniers s'adjoignirent ensuite le concours de quatre autres personnes dont le maire de Migné et un professeur de physique du collège royal de Poitiers.
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Les conclusions déposées par les membres de la Commission constituèrent ce que l'on appela désormais le "second rapport." Il était assez court mais fournissait des précisions indispensables. La foule s'élevait, disait-il, à 3000 âmes (soit l'estimation la plus élevée du premier rapport) et la croix était apparue sans aucun bruit ou éclat lumineux particulier qui auraient pu signaler d'emblée sa présence.
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Le rapport contenait encore quelques précisions géométriques utiles : l'église occupait un espace de 86 pieds sur 29 (moins de 30 x 9 mètres - NDA) et ses deux pignons s'élevaient à 40 pieds alors que le clocher, lui, atteignait une hauteur de 65 pieds.
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Arrêtons-nous là, car on touche ici à la partie la plus étrange et la plus incroyable de ce rapport. Il est dit que l'église était contenue dans un carré de 86 pieds sur 29, ce qui fait quelque chose comme 270 m² d'espace extérieur maximum et donc, bien moins d'espace intérieur puisqu'il faut décompter l'épaisseur des murs et toute une série d'endroits où le public n'avait pas sa place. Cette église n'aurait donc pu contenir plus de quatre à cinq cents personnes, serrées comme des sardines dans leur boîte. Pourtant, le rapport précise que la foule estimée au minimum à 2000 individus entra dans cette église et qu'il ne resta que "quelques personnes au dehors."
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Très vite, plusieurs contradicteurs prirent la plume ; les uns pour affirmer, par principe, une hallucination et les autres pour dénoncer une supercherie cléricale. Quelquesuns tentèrent une démarche plus sérieuse qui visait à expliquer l'apparition au moyen des phénomènes empruntés à la météorologie et à la physique atmosphérique dont nous avons dit quelques mots plus haut.
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Note: Ici l'auteur consacre plusieurs pages à décrire la polémique, en particulier entre l'abbé Vrindts et l'abbé de La Neufville.
Après cela, quelques brochures, anonymes ou non, parurent encore ; mais plus rien de neuf n'en sortit vraiment. Chacun avait choisi son camp et il était inutile d'encore remuer cette affaire.
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Le moment est venu d'examiner et de discuter la lithographie qui ouvrait l'ouvrage de l'abbé Vrindts...
La croix telle qu'elle fut représentée par l'artiste, dépassait de loin, en élévation, la hauteur du clocher et elle était bien plus longue que l'église elle-même qui avait une trentaine de mètres de long. Dans une zone grise plus foncée, nous avons représenté la croix telle qu'elle apparut sans doute réellement, c'est-à-dire à la hauteur du sommet du clocher et avec une longueur nettement moindre que celle de l'église. Si, à gauche de la lithographie, la croix plantée au milieu du cimetière paraît beaucoup plus grande, c'est simplement parce qu'elle était censée plus proche de la position occupée par l'artiste que l'église flanquée de sa croix lumineuse.
Cette lithographie montre à quel point la représentation de la croix céleste telle quelle fut diffusée à l'époque pouvait être trompeuse.
Note: C'est vrai, mais la représentation de l'auteur est encore plus trompeuse. En étudiant bien les données de l'observation, on voit que la croix était encore un peu plus grande, mais plus mince et moins lumineuse, que celle de la lithographie.
Tout cela étant dit, comment l'apparition de la croix de Migné peut-elle donc s'expliquer ?
En 1872, le célèbre vulgarisateur scientifique Wilfrid de Fonvielle écrivit que la croix de Migné ne fut sans doute pas autre chose qu'une sorte de mirage un peu semblable à celui, très célèbre, qui est connu sous le nom de Fata Morgana.
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Le Comte Agénor de Gasparin, qui semble avoir examiné cette affaire de plus près, signala à quel point elle avait été embrouillée à plaisir par des déclarations contradictoire...
Néanmoins, avec une certaine légèreté, il finit par conclure, de manière péremptoire, que le miracle était expliqué dès lors qu'on voulait bien considérer qu'il n'avait été qu'un phénomène optique semblable à celui des spectres du Brocken, c'est-à-dire une projection dans les airs de l'ombre d'un objet (ici la croix plantée dans le cimetière).
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Dès lors, que peut-on encore envisager comme explication ? Eh bien il ne reste que deux possibilités : soit le miracle, si l'on y croit, soit une supercherie fort bien conçue.
Note: Il y a une autre hypothèse auquel l'auteur n'a pas pensé: c'est celle de la projection de lumière sur un support fugitif (nappe de brume).
Marc Hallet, Les apparitions de la Vierge et la critique historique, édition électronique, 2015, pages 365-379
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Les partisans du phénomène inexplicable.
Inexplicable, mais plus divin. Le phénomène apparu à Migné reste un mystère. Ce qu'il a de commun avec le miracle, c'est qu'il met la science en échec. Diférents auteurs de différentes motivations vont donc continuer à citer la croix de Migné.
En 1938, César de Vesme, écrivain spiritualiste, après avoir rappelé l'affaire, nous livre quelques conclusions à méditer
L'à-propos de l'apparition de la croix à Migné, au moment où l'on rappelait la croix de Constantin, est assez déconcertant. Ceux qui nous ont suivi jusqu'ici dans celle Histoire ne s'étonneront point de ce que, tout en admettant la grande probabilité que la croix de Migné n'ait pas été le résultat, ni d'une hallucination, ni d'une fraude, nous ne pensions guère pour cela à un « miracle », ni à un phénoméne « surnormal ». Si, d'un côté, l'on est assez porté à admettre avec MM, Boigiraud et Cassini l'invraisemblance d'une sorte de mirage danx les conditions atmosphériques qui ont été indiquées, on n'ose cependant pas en contester absolunent la
possibilité, les connassances scientifiques actuelles dans ce domaine étant loin d'étre très avancées.
Dés Le XVIe siécle, Jérôme Cardan rapportait le fait suivant. Le bruit ayant couru à Milan que lon apercevait un ange planant en l'air, Cardan accourut dans la grande place, où une foule de peut-être deux mille curieux contemplait cette merveille. Il l'aperçut fort bien lui-même comme tous les autres A un certain moment, un savant homme de loi arriva sur la place: il fit remarquer aux groupes dont il était entouré, que l'apparition n'était point autre chose qu'un ange en pierre surmontant Le clocher de l'église de Saint Gothard, et dont l'image. « empreinte sur un gros nuage, se réfléchissait aux yeux des spectaleurs ».
le Pére Deschalles relate dans sa Dioptrique un phénomène analogue, dont il fut lui-même témoin oculaire. A Vézelai Yonne, l'on vit en plein jour, dans l'air, un géant qui semblait menacer la ville d'un long glaive, qu'il brandissail sur sa tête. Devant ce spectacle, beaucoup de paysans s'enfuirent épouvantés. Mais quelques observateurs plus froids, aprés un examen attentif. reconnurent la statue de Saint Michel, placée sur une tour de l'église el réfléchie par un nuage dense.
En somme, dans les cas de cette sorte, il vaut mieux réserver son jugement. Le miracle est patent et incontestable quand on lit sur la surface du soleil : in hoc signo vinces, ou que Josué arrête le soleil, où que celui-ci s'assombrit au moment de la mort d'un Messie, ou que la lune réduit assez ses proportions pour s'introduire dans la manche de Mahomet, Mais alors il se trouve que l'événement, indubitable pour les croyants, mérite une confirmation - comme disent Les journalistes - aux yeux des simples historiens.
C. de Vesme, visions grandioses de croix d'armées et de combats dans les airs, Revue métapsychique, novembre décembre 1938, pages 350-351
Note: L'auteur a bien raison de rappeler que la non-exhaustivité de nos connaissances empèche de déclarer uu phénomène absolument inexplicable, mais les ecclésiastiques du siècle précédent n'eurent pas cette prudence.
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En 1969, Maurice Collinon se contente de donner un résumé des faits et de l'enquête:
Le 22 décembre 1826, Mgr l'évêque de Poitiers recevait la lettre suivante :
« Le dimanche, 17 du présent mois, nous avons terminé les exercices du jubilé par la plantation d'une croix, cérémonie à laquelle assistaient deux à trois mille personnes de Migné et de paroisses voisines. La croix étant plantée, au moment où l’un de nous adressait aux fidèles une exhortation où il leur rappelait celle que virent autrefois Constantin et son armée en marchant contre Maxence, parut dans la région inférieure de l'air, au-dessus de la petite place qui se trouve devant la porte principale de l'église. une croix lumineuse, élevée au-dessus du niveau de la terre d'environ
cent pieds ; ce qui nous a donné la facilité d'en évaluer à peu près la longueur, qui nous a paru être de quatre-vingts pieds. Ses proportions étaient très régulières; et ses contours, déterminés avec la plus grande netteté, se dessinaient parfaitement sur un ciel sans nuage, qui commençait cependant à s'obscurcir, car il était près de 5 h du soir.
« Cette croix, de couleur argentine, était placée horizontalement dans la direction de l'église, le pied au levant et la tête au couchant. Sa couleur était la même dans toute son étendue, et elle s'est maintenue sans altération pendant près d'une demi-heure. Enfin, la procession étant rentrée dans l'église, cette croix a disparu!. »
Sagement, l'évêque de Poitiers nomma une commission d'enquête. Il poussa le scrupule jusqu'à y inclure M. Boisgiraud, professeur de physique au collège royal de Poitiers, protestant connu pour son scepticisme en matière de miracle. Plus de deux cents témoins furent interrogés, avant que les enquêteurs concluent solennellement à la réalité de l'apparition.
L'autorité ecclésiastique retint donc l'étonnant miracle, qu'une procession solennelle commémore chaque année, le 17 décembre, date anniversaire de l'apparition de la « croix de Migné ».
Maurice Collinon, Guide de la France religieuse et mystique, Tchou, 1969, pages 450-451
Note: Il ne s'agissait pas d'une lettre mais du premier rapport des trois prètres impliqués. L'auteur ne dit rien de la polémique, car il s'agit d'une sorte de guide touristique.
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En 1973, l'ufologue Fernand Lagarde est encore plus bref:
Migné-Auxances (près de Poitiers; Guide p. 450 )
Une croix lumineuse de 80 pieds a été vue en 1826 par 3000 personnes; 200 témoins ont fourni leur témoignage.
Fernand Lagarde, Mystérieuses soucoupes volantes, Albatros, 1973, page 283
Note: La croix faisait 140 à 160 pieds, il n'y avait que quelques centaines de personnes, et nous n'avons que 23 témoignages. La source est le guide mentionné précédemment.
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En 2021, Christian Doumergue et David Galley consacrent 20 pages à la croix de Migné. Voici leurs conclusions:
Miracle divin ou ovni ?
Ayant éliminé les unes après les autres les « possibilités » naturelles susceptibles d’expliquer l’apparition de la croix de Migné, l’enquête va conclure au phénomène inexplicable, l’Église au miracle.
Note: Le diocèse de Poitiers va conclure au miracle. Pas le Saint Siège.
Une interprétation liée à son histoire même : la vision d’une-croix dans le ciel rappelle en effet l’apparition de la croix à l’empereur romain Constantin I‘ (272-337), un épisode miraculeux fondateur de l’histoire du christianisme.
La forme de croix de l’« apparition » de Migné, et le parallélisme que ce phénomène offrait avec l’apparition de la croix à Constantin, ainsi que le moment et le lieu où se passent les faits, ne pouvaient que conduire à une interprétation religieuse de ceux-ci.
Dans une lettre au préfet datée du 20 décembre 1826, le maire de Migné, M. de Curzon, après avoir décrit le phénomène, dira qu’il ne se permet « aucune réflexion » sur sa nature, mais constate l’effet qu’il a eu sur sa population. Déchirée idéologiquement, celle-ci s’est rassemblée autour d’une lecture commune de l’événement. La foule qui a assisté au phénomène a naturellement été prise d’une ferveur religieuse. Plusieurs témoins qui s'étaient, au moins intérieurement, éloignés de la religion, y reviennent.
Le contexte religieux de l’époque ne pouvait donner lieu qu’à une lecture religieuse. Mais quel était vraiment la nature du phénomène observé ? Quasiment deux siècles plus tard, on peut s’interroger sur ce qu’était en réalité cette « croix » argentée apparue dans le ciel à une distance assez basse.
Peut-on qualifier le phénomène d’ovni ? Impossible bien sûr d’être affirmatif. Mais quelque chose semble bien s’être passée ce jour-là dans le ciel de Migné, quelque chose qui échappe à toute explication « rationnelle » et pourrait donc, à nouveau, avérer l'existence de phénomènes aériens inexpliqués bien avant que l'homme ne puisse être suspecté d'en être l'origine.
Christian Doumergue et David Galley, La fabuleuse histoire des OVNIs, les éditions de l'opportun, 2021, pages 243-262
Note: Bien sûr qu'on peut qualifier le phénomène d'OVNI, puisque ça ne signifie pas Objet volant inconnu, mais objet volant non identifié (par les témoins). Ici l'objet n'a effectivement pas été identifié par les témoins. Mais nous savons maintenant pourquoi les auteurs ont retenu la croix de Migné: parce qu'on ne pouvait pas invoquer une origine humaine. Ben si, on peut invoquer une origine humaine: le brave sacristain qui a allumé la lampe de l'église.
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