La croix de Migné
La croix de Migné est un phénomène apparu le 17 décembre 1826, réputé miraculeux à l'époque, et aujourd'hui récupéré par les ufologues à titre de phénomène inexplicable par la science. Nous allons voir qu'il n'en est rien.
Le contexte
Nous sommes sous la restauration, plus exactement sous le règne de Charles X. L'église de France a beaucoup souffert sous la révolution, où ses biens ont été confisqués, avant que le concordat, signé en 1801, ne lui rende certaines de ses prérogatives. Mais ce concordat consacre un nouveau schisme, celui de La Petite église, ensemble de fidèles et d'écclésiastiques, tentés par le gallicanisme et désorientés par les nombreuses mutations des relations entre l'église et l'état. Ceux là refusent le concordat et se séparent de l'Église. Parallèlement, les héritiers du siècle des lumières vont travailler de plus en plus activement à lutter contre les vieilles croyances. L'apparition d'une croix prétendument miraculeuse à Migné, près de Poitiers, va permettre à tout ce petit monde de s'affronter.
L'observation
En cette année 1826, le pape Léon XII avait décrété une année jubilaire, une sorte d'année sainte, dans le but de raffermir la foi. Début novembre, des exercices religieux eurent lieu trois fois par semaine à Migné, qui devaient se terminer le 17 décembre. Pour cloturer cette mission on décida d'ériger une croix commémorative. Cette croix, fabriquée au chateau d'Auzance, fut transportée ce 17 décembre au cimetière de Migné par des jeunes gens, vétus de blouse, et installée en un quart d'heure sur le piédestal de maçonnerie qui l'attendait. Le soleil était déjà couché, aussi avait-on du entourer la croix de flambeaux. De nombreux fidèles, de Migné et des communes voisines étaient venus assister à l'évènement. Il était environ 16H 45, lorsque l'abbé Marsault monta sur la calvaire et commença de précher à propos de la grandeur de la croix. Il parlait depuis un quart d'heure et venait de mentionner le vision de Constantin lorsqu'un murmure s'éleva de la foule. Continuant de précher pendant une dizaine de minutes, il vit bientôt l'abbé Pasquier tenter de le prévenir par trois fois. Levant les yeux il découvrit dans le ciel une croix de couleur argentine, s'étendant du pignon de l'église jusqu'au moulin. Après d'être tu deux ou trois minutes, il entonna le cantique Vive Jésus, vive sa croix, que les fidèles reprirent comme ils purent, ayant souvent oublié les paroles. Ne pouvant plus continuer de précher, l'abbé Marsault fit rentrer les fidèles dans l'église. La croix qui avait du paraitre un peu avant 17 heures, resta visible une demi-heure, et disparut progressivement en commençant par son pied, près du pignon de l'église, en sorte que les derniers à la voir y virent quatre branches égales.
Les illustrations
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Il ne manque pas d'illustrations du phénomène de la Croix de Migné. Malheureusement, en 1826, la photographie n'était pas encore inventée. L'eut-elle été qu'elle aurait été bien incapable de fixer la faible luminosité de la croix, que les illustrateurs montrent bien plus lumineuse qu'elle n'était. Il faut bien comprendre que, comme pour la plupart des phénomènes prodigieux ayant eu une certaine publicité, les illustrateurs n'étaient pas présents lors de l'évènement et n'en ont rien vu. Tout au plus, les plus consciencieux sont allés sur place pour pouvoir représenter les lieux, après quoi les autres ont recopié les premiers.
les témoins
3000 témoins selon les organisateurs, 300 selon la police l'abbé de la Neufville
C'est un peu comme dans les manifestations: les organisateurs surestiment allègrement le nombre de participants. Nous avons pu le vérifier personnellement, en comptant 300 personnes dans une manifestation où les organisateurs en avaient annoncés 700. Ici, presque toutes les sources parlent de 3000 témoins, histoire de gonfler la crédibilité de l'observation, mais aucune ne semble s'être donné la peine de vérifier.
Déjà, l'examen des lieux fait tiquer: Si nous examinons le plan des lieux dressé par l'abbé Vrindts, dans La Croix de Migné vengée de l'incrédulité, Il parait impossible de réunir 3000 personnes dans un si petit espace, d'autant qu'il s'agissait d'un cimetière planté de noyers.
En suite la population locale n'est pas en rapport. Les sources d'époque parlent vaguement de 2000 âmes à Migné. Mais en réalité, selon le Dictionnaire universel, géographique et statistique de la France, Migné comptait 1612 habitants en 1804, dont certains n'étaient pas là à temps plein, car ils résidaient aussi à Poitiers.
De plus, l'année suivante, lors de la commémoration de l'évènement, on ne trouva quère que 700 ou 800 personnes, alors que certains participants avouèrent qu'ils étaient nettement moins nombreux lors de l'évènement de 1826. Ceci est logique, car en 1826, il s'agissait simplement de l'érection d'une croix, et non de la commémoration d'un miracle, annoncée dans tous le diocèse. On mentionne aussi qu'un témoin se tenait à l'écart de la foule, ce qui n'aurait pas été possible si la foule avait entièrement rempli le cimetière.
Enfin, vers la fin de l'apparition, les fidèles rentrèrent dans l'église, dont la nef faisait environ 150 m². Un projet d'agrandissement de l'église mentionnait d'ailleurs que cette église ne pouvait contenir que 500 ou 600 personnes.
L'abbé de La Neufville, dans sa réfutation, soulève toutes ces difficultés. Il faut bien reconnaitre qu'il a raison: Il ne pouvait pas y avoir 3000 personnes.
Un dernier point est que lors d'une commémoration, 50 ans plus tard, il se serait trouvé encore 130 personnes qui avaient été présentes lors de l'apparition de 1826, mais une autre source dit 80 seulement.
En tenant compte de tous ces éléments, il est probable que le nombre de témoins potentiels le 17 décembre 1826, était de l'ordre de 400.
La polémique.
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Sitôt observé, le phénomène fut publié par les ecclésiastiques qui l'avaient observé, et dès lors, trois systèmes d'idées allaient s'affronter:
Les catholiques royalistes, pour qui ce phénomène était un miracle, encourageant les français à retrouver la foi.
Les membres de la "Petite Église", pour qui Dieu ne pouvaient avoir fait un miracle pour une Église qui n'en méritait plus le nom.
Et les "libéraux", héritiers des philosophes du siècle précédent, pour qui cette histoire de croix n'était qu'une sotte superstition.
Les tentatives d'explications
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Le phénomène suscitant une polémique qui divisait l'opinion, surtout celle des ecclésiastiques, mais aussi parfois des savants, il était logique de voir apparaitre des prétendues explications, qui, le plus souvent, ne tenaient même pas compte des données du problème. Il était absurde d'imaginer un cerf volant, même pas lumineux, alors qu'il n'y avait pas de vent. Il était inapproprié d'imaginer une colonne parhélique à l'horizon quand le phénomène s'étendait horizontalement au dessus du cimetière.
Et bien sur, il également bizarre d'imaginer un miracle aussi minable qu'une croix maigrichonne, horizontale et à peine visible.
Les témoignages
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3000 témoins, sûrement tous plus dignes-de-foi les uns que les autres, à en croire les pieux zélateurs du miracle de la croix de Migné, mais à l'analyse, quelques centaines de témoins potentiels, dont 40 prèts à jurer qu'ils avaient bien vu la croix.
Finalement, on trouve seulement 23 témoignages consignés par écrit, un mois après l'évènement, lors de l'enquète prescrite par l'évêque de Poitiers.
Pour un peu tardifs qu'ils soient, ces témoignages sont tout de même les éléments les plus fiables que nous ayons sur l'observation du 17 décembre. Mais il y a un biais: on n'a pas interrogé ceux qui n'avaient rien vu.
Les données de l'observations
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En analysant les témoignages précédents, nous avons une idée bien plus fiable de l'observation réelle. Nous pouvons nous rendre compte que la plupart des récits, qui se recopient les uns les autres, n'ont pas grand chose à voir avec ce que les témoins ont réellement vu, et de plus que les illustrations sont tout à fait fantaisistes. Elles nous montrent la scène quasiment en plein jour, avec une croix bien trop large, et surtout, bien trop lumineuse. Du coup, elles nous empèchent d'imaginer que la croix pouvait n'ètre qu'une simple projection de la lumière de la lampe de l'église.
Analyse
Arrivé ici nous savons:
- Que la croix a été vue par des centaines de témoins, dont les témoignages ont été consignés pour 23 d'entre eux, et qu'on avait largement surestimé leur nombre.
- Que la croix était beaucoup plus mince que ce qu'en montre les illustrations. Elle ne faisait qu'un pied et demi d'épaisseur, et semblait coupée net, sauf pour deux témoins qui l'ont vu arrondie, en la voyant de biais.
- Surtout, que la croix était peu lumineuse, à peine visible. Sa luminance de quelques dix-millièmes de cd/m², et sa couleur étaient compatibles avec l'aspect d'une surface blanche éclairée par la flamme d'une lampe
- Qu'elle est apparue à la tombée de la nuit, est restée immobile, et a disparu progressivement, au bout d'une bonne demi-heure, en commençant par le pied, comme si la surface ou elle se projetait se dissolvait.
- Que les étoiles était bien visibles quand la croix a disparu, alors qu'on ne les signale pas avant.
Ce soir là, le 17 décembre, l'office devint nocturne. Il y a souvent des offices nocturnes, comme les vèpres, quand elles ont lieu en hiver. Il devait donc y avoir une lampe dans l'église, pour ces offices nocturnes.
A l'époque, les lampes utilisées étaient des quinquets, des lampes à huile (souvent de l'huile de colza), ayant une intensité de 6 à 8 candélas. Il existait aussi des lampes Carcel, perfectionnement du quinquet, mais plus fragiles et plus chères.
Nous savons aussi qu'il y avait une ouverture au dessus du porche, et il est logique que cette ouverture ait donné sur la nef. A la tombée de la nuit, on a donc du allumer la lampe, et il est probable que sa lumière traversait l'ouverture. Jusqu'ici, rien que de banal.
Mais supposez qu'en raison du calme plat, et de la proximité de la rivière, une nappe de brume se soit formée au dessus du cimetière, à une hauteur d'environ 90 pieds: elle aurait alors été éclairée à travers l'ouverture par la lampe de l'église, pour présenter la même couleur et la même luminosité que la croix.
On objectera qu'on n'a pas vu de brouillard. Cela n'a rien à voir: le brouillard est diffus et gène la vision à proportion de son épaisseur. Une nappe de brume est au contraire compacte, comme la fumée blanche imaginée par certains détracteurs. Mais elle n'est pas turbulente et reste horizontale, formant un support idéal pour une projection, mais masquant les étoiles. Cette nappe serait restée invisible, tant qu'on n'a pas allumé la lampe de l'église. Elle a ensuite servi de support à la projection de la lumière, puis s'est dissoute progressivement à partir de l'église en remontant vers l'Auxance. S'expliquent ainsi l'apparition brusque, la faible luminosité, la couleur et la disparition progressive.
On aurait ainsi une sorte de spectacle d'ombres chinoises, sauf que si c'est un masque qui projetait une ombre, ce masque n'était pas plein, mais creux. Cette projection explique la parfaite netteté des bords de la croix, sauf pour ceux qui la voyaient de biais, qui devaient les voir un peu plus flous, d'où l'impression d'arrondi. On a ainsi une explication qui s'accorde avec toutes les données de l'observation de la croix de Migné.
Il reste cependant une question non résolue: quel est cet objet cruciforme qui a projété l'image d'une croix?
On aurait tendance à imaginer une ouverture en forme de croix. Mais non seulement l'ouverture du pignon de l'église de Migné n'était pas en forme de croix, mais encore une telle ouverture produirait une croix dont la tête serait près du pignon, et non à l'opposé, comme il est montré à droite.
Il y a deux possibilités: Un masque avec une croix creuse, ou au contraire, un objet réfléchissant avec une croix pleine. On n'a malheureusement aucun détail sur l'éclairage de l'église. On peut seulement remarquer que, puisque la croix se formait à partir du porche, il n'est pas possible d'imaginer un masque, si la lampe était un tant soit peu vers l'intérieur de l'église. Une croix réfléchissante ferait alors mieux l'affaire.
Mais il faut bien reconnaitre que, dans l'ignorance ou nous sommes de la géométrie exacte de l'église et de son éclairage, nous ne pouvons rien prouver pour l'une ou l'autre solution. Nous savons seulement que les éléments de l'observation s'accordent bien avec l'hypothèse d'une projection lumineuse depuis l'église sur une nappe de brume, et c'est tout.
principe de la formation de la croix de Migné.
Ainsi, le vrai responsable du miracle était tout simplement le sacristain, qui dut être à cent lieux de se douter qu'en allumant la lampe, c'était lui qui avait fait apparaitre la croix. Ce qui est curieux, c'est que le pseudo miracle aurait pu se reproduire à chaque apparition nocturne d'une nappe de brume, phénomène tout de même assez rare. Mais on a démoli l'église pour la reconstuire dans l'autre sens, à l'imitation de la croix. On aurait voulu cacher la cause du pseudo miracle qu'on ne s'y serait pas pris autrement, mais comme dans le principe de Hanlon, il n'y a pas lieu de chercher la malice, quand l'ignorance suffit.
Les développements ultérieurs
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L'évêque de Poitiers ayant conclu au miracle, les pieux croyants, du moins poitevins, étaient tenus de s'en tenir là. Mais des sceptiques contestant le fait, on va encore voir quelques joutes, pour et contre, au XIXe siècle.
Au XXe siècle on verra aussi apparaitre des auteurs, qui ne croient pas au miracle, mais admettent le caractère inexplicable du fait, parce qu'il montre qu'il existait déjà des phénomènes aussi inexplicables que les OVNIS, à une époque ou l'origine humaine n'aurait pas du pouvoir être soupçonnée.
Conclusions
En un sens, ceux qui pensaient que l'apparition de la croix de Migné relevait de l'ufologie avaient raison: on y retrouve les mêmes altérations dans la propagation de l'information que dans l'ufologie classique:
Le biais de confirmation, qui est, au fond, le moteur de l'ufologie apparait pleinement, quelque soit l'hypothèse affirmée. Cette hypothèse étant forcément la bonne, puisqu'elle explique l'observation. On observe alors la navrante récupération de canulars ou de rumeurs.
- Le canular: C'est l'histoire du cerf-volant gigantesque, lancé à Mons (le canular, pas le cerf-volant) par le journal Le Dragon. Puisque cette histoire expliquait l'observation, pour l'abbé de la Neufville, c'était forcément la bonne explication.
- La rumeur: On a prétendu que l'apparition avait été annoncée 7 ans auparavant par l'abbé Souffrant, bien qu'il aurait vaguement parlé de l'apparition d'une croix, et n'aurait pas donné de date. Mais on ne retrouve pas cette histoire dans les prophéties publiées de l'abbé Souffrant. Par contre on y trouve des phophéties délirantes, comme celle de Paris tellement détruit qu'on y passerait la charrue.
Le paralogisme de Michel Monnerie: On put examiner toutes les hypothèses, sauf la bonne. Et en effet, de nombreuses hypothèses ont été envisagées, sauf la projection de lumière sur une nappe de brume, qui, pourtant, "cochait toutes les cases". Avec ce résultat que le pape Léon XII jugea ce phénomène inexplicable (pour lui), ce qui entraina l'évêque de Poitiers à l'ériger en miracle.
On y trouve même le syndrome de Raminagrobis (un ufologue retombe toujours sur ses pattes). En effet, l'abbé de la Neufville, devant l'argument de l'absence de vent, en déduisit immédiatement que cela expliquait l'immobilité du certf-volant.
Et voila. L'ufologie n'est pas que l'études des soucoupes volantes, ni même des OVNIs. Elle s'occupe, au minimum, de toutes les observations de phénomènes aérospatiaux non identifiés quels qu'ils soient.
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