1841. Antoine Péricaud traduit le livre d'Agobard Antoine Péricaud, bibliothécaire de la ville de Lyon de 1827 à 1847, avait donné en 1837, une traduction partielle de deux chapitres du livre d'Agobard (les plus importants pour notre sujet), en dénonçant au passage les altérations du récit (et c'est un euphémisme). Il récidive en 1841, en donnant cette fois une traduction complète, soigneusement revue, signée de l'anagramme "SECULA NUDO PRISTINA" (Antonius Pericaldus). Dans cette édition, il donne simultanémént le texte latin sur la page de gauche, et sa traduction sur la page de droite. Nous ne donnons ici que la traduction, puisque le texte latin est le même que celui de l'édition d'Etienne Baluze. AVERTISSEMENT Agobard est sans contredit une des plus grandes célébrités de l'église de Lyon; mais c'est principalement depuis qu'on se livre avec tant d'ardeur à l'étude du moyen age qu'il a été mieux connu et mieux apprécié. Tout récemment, M. Frantin de Dijon, et M. J.-J. Ampère, le premier dans son Louis-le-pieux, le second dans son Histoire littéraire de la France, ont cité et traduit un assez grand nombre de fragments des divers traités de l'illustre évêque, qui nous montrent la part active qu'il eut dans les événements accomplis sous son épiscopat. Tous ses écrits, dont le style est en général correct et parfois élégant, mériteraient les honneurs d'une traduction, car ils nous font connaître, mieux qu'aucun autre auteur de cette époque, les moeurs, les usages et les coutumes de la première moitié du neuvième siècle. On est surtout forcé de reconnaître que nul ne combattit avec plus de fermeté et une plus grande élévation de raison les préjugés et les superstitions de son temps. C'est contre un de ces préjugés qu'il composa son livre de la Grêle et du Tonnerre, et c'est de ce livre que nous publions aujourd'hui une traduction, faite il y a bien des années, et dont nous avons fait insérer deux chapitres dans l'Annuaire de Lyon pour 1837 ( p. XXXIII). Après l'avoir retouché avec soin, nous l'avons soumise à l'auteur des Matanasiennes qui a bien voulu la revoir à son tour. La voici donc telle qu'elle est sorti du creuset de notre docte hypercritique. Toutefois, tiré à petit nombre d'exemplaires, cet essai n'est destiné qu'à des amis et à des collègues qui le recevront avec indulgence, et qui, malgré l'absence de notre nom, nous reconnaîtrons aisément à cette devise anagrammatique:SECULA NUDO PRISTINA DE LA GRÊLE I. Presque tous les habitants des villes et des campagnes de cette contrée, nobles et roturiers, jeunes et vieux, pensent que la grêle et le tonnerre peuvent tomber au gré des hommes. Ils disent, en effet, dès qu'ils entendent le tonnerre et aperçoivent les éclairs: C'est un vent levatice. Et si vous leur demandez ce que c'est qu'un vent levatice, ils affirmeront, les uns avec une sorte de retenue, et la conscience un peu troublée, les autres avec la confiance que montrent ordinairemcnt les ignorants, que ce vent a été soulevé par les enchantements d'hommes appelés tempestaires, d'où lui est venu le nom de vent levatice. Il est donc de toute nécessité de s'assurer par l'autorité des divines écritures, si cette opinion est fondée sur la vérité, comme le croit le vulgaire. Mais si, au contraire, elle est fausse, comme nous en sommes profondément convaincus, il nous faut démontrer par une invincible accumulation de preuves de quel mensonge se rend coupable celui qui attribue à l'homme l'oeuvre de Dieu. Car il se trouve pressé entre deux mensonges très graves et très condamnables, lorsqu'il affirme que l'homme peut faire ce qui est au pouvoir de Dieu seul, et que Dieu ne fait pas ce qu'il fait réellement. Et si, à l'égard des mensonges sur les choses légères, on doit s'en tenir exactement à ce qui est écrit: « Que la parole secrète ne se perdra pas dans le vide, et que la bouche qui ment tue l'ame; » et ailleurs: « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge; » « Le témoin menteur périra; Le faux témoin ne restera pas impuni; » ou encore se rappeler ce qu'on lit dans l'Apocalypse de l'apôtre Jean: « Heureux ceux qui lavent leurs vêtements (dans le sang de l'Agneau), afin qu'ils aient droit à l'arbre de vie, et qu'ils entrent dans la ville par les portes... Dehors les chiens, les empoisonneurs, les impudiques, les homicides, les idolâtres et quiconque aime et fait le mensonge; » c'est surtout à l'égard d'un aussi grave mensonge qu'est celui dont nous parlons ici, et qui peut se comparer à ceux de plusieurs hérétiques. Le bienheureux apôtre Paul dit: « Nous serions même convaincus d'être de faux témoins à l'égard de Dieu, comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu'il a ressuscité Jésus-Christ, qu'il n'aurait pas néanmoins ressuscité, s'il était vrai que les morts ne ressuscitent pas: car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n'est pas non plus ressuscité. Ainsi donc, de même que ceux qui annoncent que le Christ, Notre-Seigneur, est ressuscité, seraient de faux témoins, si les morts ne ressuscitaient pas, de même ausssi celui qui enlève à Dieu l'œuvre admirable, mais terrible de Dieu, pour l'attribuer à l'homme, est un faux témoin qui dépose contre Dieu même. II. Nous avons vu et entendu beaucoup de gens assez fous et assez aveugles, pour croire et pour affirmer qu'il existe une certaine région appelée Magonie d'où partent. voguant sur les nuages, des navires qui transportent, dans cette même contrée, les fruits abattus par la grêle et détruits par la tempête, après toutefois que la valeur des blés et des autres fruits a été payée par les navigateurs aériens aux tempestaires, de qui ils les ont reçus. Nous avons vu même plusieurs de ces insensés qui, croyant à la réalité de choses aussi absurdes, montrèrent à la foule assemblée quatre personnes enchainées, trois hommes et une femme, qu'ils disaient être tombés de ces navires. Depuis quelques jours ils les retenaient dans les fers, lorsqu'ils les amenèrent devant moi, suivis de la multitude, afin de les lapider; mais, après une longue discussion, la vérité ayant enfin triomphé, ceux qui les avaient montrés au peuple se trouvèrent, comme dit un prophète. aussi confus qu'un voleur lorsqu'il est surpris. III. Mais puisque cette erreur, généralement répandue dans nos contrées, doit être soumise au jugement des hommes éclairés, cherchons les textes de l'Ecriture au moyen desquels on peut la reconnaître, afin qu'après l'examen de ces textes, ce ne soit pas nous, mais la vérité elle-même, qui triomphe de la plus grossière des erreurs, et que tous ceux qui sont restés fidèles aux saines croyances confondcnt les suppôts du mensonge en disant avec l'apôtre : Nul mensonge ne vient de la vérité. En effet, ce qui ne procède pas de la vérité, ne saurait venir de Dieu, et ce qui ne vient pas de Dieu, n'entend point ses paroles, comme la Vérité le dit elle-même: « Celui qui est de Dieu entend les paroles de Dieu; ce qui fait que vous ne les entendez point, c'est que vous n'êtes point de Dieu;» ce qu'elle dit encore ailleurs en d'autres termes: « Les brebis qui sont à moi entendent ma voix; ce qui fait que vous ne l'entendez point, c'est que vous n'êtes pas de mes brebis;» et ailleurs: « Quiconque appartient à la vérité entend ma voix. » Celui qui croit au mensonge, celui qui le profère ou s'appuie sur lui en affirmant ce qui n'est pas, à quoi donc peut-il tendre, si ce n'est au néant? Or, s'il tend au néant, il s'éloigne de celui qui est, du Tout-Puissant qui a dit à Moïse: « Ainsi vous direz aux enfants d'Israël: Celui qui est m'a envoyé vers vous; » et de celui dont le bienheureux Job parle ainsi: « Lui seul est; » et pour parler plus clairement, la vérité posséde l'être, ou plutôt l'être réside dans la propriété de subsister; mais le mensonge, parce qu'il est la négation de l'être, n'est rien, ne subsiste pas. Donc, Dieu seul est, parce que seul il possède la véritable existence, lui qui n'a reçu l'être de personne. Toutes choses ont été créées par lui: et elles sont; mais elles n'ont pas l'existence vraie et absolue, parce qu'elles l'ont reçue d'un principe générateur. Or, Les mensonges, parce qu'ils n'ont pas reçu le don d'être, ne sont rien dans la nature. Dès lors celui qui adhère au mensonge, adhère à quelque chose qui n'est pas, et qui ne mérite pas le nom de chose. Celui qui adhère à ce qui n'est pas, non seulement s'éloigne de celui qui l'a créé, mais encore de sa propre condition de substance créée, parce qu'il n'y a absolument que deux êtres, l'un infini, qui n'a point reçu son être d'un autre, et l'autre grand, qui a reçu son être de Dieu; c'est-à-dire, le créateur et la créature. Donc, le mensonge, parce qu'il n'est point le créateur, n'est pas l'être souverain; parce qu'il n'est pas la créature, il n'est pas l'être grand; et parce qu'il n'a pas d'essence, il n'est pas un être. Que celui donc qui veut rester ce que le créateur l'a fait, ne s'éloigne point de celui qui lui donna l'être; et que celui qui ne veut pas s'éloigner de celui qui est véritablement, fuie ce qui n'est pas, c'est-à-dire le mensonge. IV. Or donc, puisque tout menteur est le défenseur de l'imposture, et puisque tout défenseur de l'imposture est un faux témoin agissant contre la vérilté, examinons maintenant si ceux qui prétendent que l'œuvre de Dieu peut être accomplie par l'homme, s'appuient sur quelque autorité. Dans les saintes Écritures, le premier endroit où il est parlé de la grêle, se trouve dans le chapitre relatif aux plaies dont l'Egypte a été frappée; Elle est la septième plaie; car le Seigneur a dit: « Demain, à cette même heure, je ferai pleuvoir une grêle abondante, telle qu'il n'y en a point eu en L'Egypte depuis qu'elle a été fondée jusqu'à ce jour. » Dans ces paroles, le Seigneur dit qu'il enverra la grêle le lendemain, lui-même et non un homme, non assurément Moïse ou Aaron qui étaient des hommes justes et craignant Dieu, ni Jamnès et Mambrès, enchanteurs des Egyptiens, qui, selon l'Ecriture, étaient les magiciens de Pharaon, et que l'apôtre Paul dit avoir résisté à Moïse, comme les infidèles de son temps résistaient à la vérité. Déjà, en effet, comme il est écrit, ils avaient jeté leurs verges devant Pharaon, et par leurs enchantements et les secrets de leur art, elles étaient changées en serpents, mais la verge d'Aaron dévorait les leurs. Déjà ils avaient changé les eaux en sang, déjà ils avaient tiré les grenouilles des fleuves, bien qu'ils ne pussent, comme Moïse, au nom du Seigneur, les forçer de rentrer dans les eaux. Mais lorsqu'on en fut venu aux moucherons et qu'ils n'eurent rien pu faire, ils dirent que le doigt de Dieu leur était contraire, et ne firent plus d'efforts pour accomplir rien de semblable. Certainement, si quelque homme eût pu faire tomber la grêle, Jamnès et Mambrès l'eussent fait tomber, puisqu'ils avaient changé l'eau en sang et tiré les grenouilles des eaux; ce que ne peuvent exécuter ceux à qui l'on donne aujourd'hui le nom de tempestaires. V. On trouve ensuite au même endroit de l'Ecriture: « Moïse ayant étendu sa verge vers le ciel, le Seigneur fit entendre le tonnerre et descendre la grêle; les éclairs parcoururent la terre, et le Seigneur fit pleuvoir la grêle sur la terre d'Egypte; et la grêle et le feu tombaient entre-mêlés. » Ce passage ne nous montre-t-il pas que Dieu seul est le créateur et l'auteur de la grêle, nul autre que lui? Mais probablement ceux qui attribuent à l'homme un tel pouvoir, disent que Moïse a étendu sa verge vers le ciel, et qu'ainsi la tempête a été lancée par un homme. Moïse, serviteur de Dieu, était, sans nul doute, bon et juste. Lorsqu'au contraire vous parlez des tempestaires, bien loin d'avouer qu'ils sont justes et bons, vous confessez plutôt qu'ils sont impies, iniques, et dignes de la damnation temporelle et éternelle, qu'ils ne sont point serviteurs de Dieu, si ce n'est accidentellement et par nécessité, et nullement par une servitude volontaire; car si, à l'imitation de Moïse, ces hommes étaient auteurs de la grêle, ils seraient comme lui les serviteurs de Dieu et non ceux du démon. Toutefois les passages déjà cités démontrent qu'elle est produite, non par tel ou tel être humain, mais par Dieu seul qui est tout-puissant. En effet, le Psalmiste, rappelant cette grêle, a dit de Dieu: « Il détruisit leurs vignes par la grêle, et leurs sycomores par les frimas; il livra leurs bêtes de somme à la mort , et leurs troupeaux au feu du ciel. » Et quand il dit que c'est par le ministère des mauvais anges, on doit savoir que, pour exercer la sévérité de ses vengeances ou de ses épreuves, Dieu se sert des ministres mauvais qui ont en eux, il est vrai, la volonté de nuire, mais qui en reçoivent de lui le pouvoir. Ainsi donc la volonté du mal est ce qui leur appartient en propre, tandis que la faculté d'accomplir cette volonté leur vient de Dieu seul. Une telle puissance n'est pas certainement aux hommes, ni aux bons, ni aux méchants, ni aux forces malfaisantes, mais uniquement au Seigneur qui l'accorde ou la refuse à la volonté mauvaise, en tant qu'il lui plaît. Le Psalmiste, parlant en effet de Dieu dans un autre psaume, s'exprime ainsi: « Il changea leurs pluies en grêle, fit tomber un feu qui brûlait tout, leurs vjgnes et leurs figuiers, et brisa tous les arbres de leurs contrées. » Il a véritablement frappé, véritablement brisé; ce ne fut pas l'homme, ni le mauvais ange qui frappa, mais Dieu seul, sans lequel la légion des mauvais anges n'aurait pu ni faire aucun mal aux porcs, ni les précipiter dans la mer. C'est évidemment de Dieu qu'il a été dit: « Aux éclairs de sa face les nuages se sont ouverts; ils ont vomi la grêle et le feu. Du haut des cieux le Seigneur a tonné; le Très-Haut a élevé sa voix, il a lancé la grêle et le feu. » C'est à lui que nous avons dit: « Faites luire vos éclairs et dissipez vos ennemis; lancez vos flèches, et ils seront dans l'effroi; c'est lui qui obscurcit le ciel par des nuées, et qui prépare la pluie pour la terre; il fait tomber la neige comme des flocons de laine... ; il amasse la glace sur la terre comme le pain dans les corbeilles... Il envoie sa parole et les glaces se fondent; son esprit souffle et les eaux s'écoulent.» C'est lui que d'ici bas proclament, non seulement les dragons de l'abîme, mais encore le feu, la grêle, la neige, la glace, les tourbillons et les tempêtes, qui obéissent à sa parole, et non à la parole de l'homme ou à la parole des mauvais anges. VI. Nous lisons aussi sur la grêle, dans le livre de Josué : "Les cinq rois des Amorrheens s'unirent donc ensemble, le roi de Jerusalem, le roi d'Hébron, le roi d'Hierimot, le roi de Lachis, le roi d'Eglon, et ils marchèrent avec toutes leurs troupes ; et ayant campé devant Gabaon, ils l'assiègerent;" et un peu après : "Et le Seigneur dit a Josué: Ne les craignez point; car je les ai livrés entre vos mains". et un peu après : "Et lorsqu'ils fuyaient devant les enfants d'lsrael, et qu'ils étaient dans la descente de Beth-Horon, le Seigneur fit tomber du ciel de grosses pierres sur eux jusqu'a Azeca ; et cette grêle de pierres qui tomba sur eux en tua beaucoup plus que les enfants d'Israël n'en avaient passé au fil de l'épée." Il résulte donc de ce texte que, sans aucune imprécation des hommes, le Seigneur a fait tomber la grêle sur ceux qu'il a jugés dignes d'un tel fleau. Car si les hommes mauvais, comme le sont ceux que, dans son erreur, le peuple appelle tempestaires, eussent pu accomplir un tel acte, la grêle serait vraisemblablement tombée sur les enfants d'Israël, au lieu de tomber sur leurs ennemis. Mais que ni les méchants à l'égard des bons, ni les bons a l'égard des méchants, n'aient pu le faire, en faut-il une preuve plus évidente que celle du passage que je viens de citer? Le livre de la Sagesse vient encore l'attester; le Sage dit au Seigneur: "II est impossible d'échapper a votre main, car les impies qui ont refusé de vous connaitre ont été flagellés par la force de votre bras; ils ont été tourmentés par des pluies extraordinaires, et par des grêles, et par des orages, et consumés par le feu. Et, ce qu'on ne peut assez admirer, le feu brulait encore davantage dans l'eau même qui éteint tout, parce que l'univers s'arme pour la vengeance des justes." Et un peu plus loin : "La neige et la glace soutenaient sans se fondre la violence du feu, afin que l'on sut qu'une flamme qui brûlait parmi la grêle et qui étincelait au milieu des pluies, consumait tous les fruits des ennemis." VII. Si donc Dieu Tout-puissant, déployant la force de son bras, chatie les ennemis des justes par des pluies et des grêles prodigieuses que verse une main à laquelle il est impossible de se soustraire, ils n'ont aucune connaissance de Dieu ceux qui croient que les hommes peuvent accomplir ces choses; car si les hommes pouvaient faire descendre la grêle, ils auraient aussi puissance sur la pluie; en effet, on ne vit jamais de grêle sans pluie. Ils pourraient aussi se venger de leurs ennemis, non seulement par la privation de leurs recoltes, mais encore par celle de la vie; car lorsqu'il arrive que leurs ennemis se trouvent en voyage ou dans les champs, les tempestaires pourraient faire fondre sur eux une immense quantité de grêle et les en accabler. Il en est qui avancent, en effet, qu'ils connaissent des tempestaires qui, lorsque la grêle se formait prète a couvrir, en se dispersant, une grande etendue de pays, l'ont fait descendre en masse sur une partie d'un fleuve ou sur une forêt stérile, ou même, car c'est ainsi ce qu'ils disent, sur un cuvier sous lequel se cachait un de ces mauvais génies. Souvent, il est vrai, nous avons ouï dire à nombre de gens qu'ils savaient que pareilles choses s'étaient faites en certains lieux, mais jamais nous n'avons ouï que que ce soit affirmer qu'il en avait été le témoin oculaire. On vint un jour me prévenir qu'un individu assurait l'avoir été; je mis tous mes soins a le découvrir, et j'y parvins. Lorsque, dans notre entretien, je m'aperçus qu'il se disposait a me dire que la chose s'était passée ainsi et devant ses yeux, je le pressai, employant les prieres,les supplications et même les menaces divines, de ne me dire que ce qui était vrai. Alors, il me protesta que ce qu'il disait etait vrai, designant la personne, le temps et le lieu; mais il avoua, au même instant, qu'il n'avait pas été présent. Il est écrit aussi dans le livre de l'Ecclésiastique qui porte dans son titre, Jésu, fils de Sirach : "Il est des esprits qui ont été créés pour la vengeance, et par leur fureur its redoublent les supplices des méchants ; au jour de la consommation ils répandront leur malice, et ils accompliront la justice de celui qui les a créés. Le feu, la grêle, la faim et la mort, toutes ces choses ont été créées pour la vengeance, de même que les dents des bêtes, les scorpions, les serpents, et le glaive qui aspire a l'extermination des impies." Si donc la grêle est créée comme toutes les choses dont il est parlé ici, elle est bien créée par Dieu et non pas par l'homme. On lit encore dans le meme livre : "Considerez l'arc-en-ciel, et benissez celui qui l'a fait. Il éclate avec une beauté admirable. II forme dans le ciel un cercle de gloire, et son étendue est l'ouvrage du Très-Haut. Le Seigneur fait tout d'un coup paraitre la neige. II se hâte de lancer des éclairs pour l'exécution de ses jugements. C'est pour cela qu'il ouvre ses trésors, et qu'il fait voler les nuages comme des oiseaux. Par la grandeur de son pouvoir, il épaissit les nues, et en fait sortir la grêle comme des pierres. Par un de ses regards il ébranle les montagnes, et par sa seule volonté il fait souffler le vent du midi. Il frappe la terre par le bruit de son tonnerre, par les tempêtes des aquilons, et par les tourbillons des vents. Il répand la neige comme une multitude d'oiseaux qui viennent s'asseoir sur la terre, et elle descend comme une troupe de sauterelles. L'éclat de sa blancheur ravit les yeux, et son impétueuse abondance jette l'effroi dans le coeur. Il répand sur la terre, comme du sel, les frimas et la gelée, qui, s'étant durcie sur les plantes, les hérisse en pointes comme les chardons. Lorsqu'il fait soufller le vent froid de l'aquilon, l'eau se glace aussitôt comme du cristal : la gelée se repose sur les amas des eaux, qui s'en couvrent comme d'une cuirasse. Elle dévore les montagnes, elle brûle les deserts, et elle seche tout ce qui était vert comme si le feu y avait passé. Le remède de tous ces maux est qu'une nuée se hate de paraitre : une rosée chaude venant apres le froid, le dissipera. La moindre des paroles du Seigneur fait taire les vents; sa seule pensee apaise les abimes de l'eau; et c'est la qu'il a fondé les iles." VIII. Voila comment, dans une longue et minutieuse énumération, l'auteur de l'Ecclésiastique, plein d'une juste admiration, attribue a la Toute-puissance de Dieu tout ce qui s'opère dans l'air, tout ce qui en descend sur la terre, toute l'action des vents sur les eaux, l'apparition et le cercle de l'arc lumineux, la promptitude des neiges, la lueur effrayante de l'éclair, la vitesse du brouillard, la suspension des vents, le tremblement de la lerre, le combat des airs, la congélation de l'eau, non seulement dans les nuages, comme celle de la grêle ou des frimas, mais même sur la terre, comme celle des neiges, de la pluie, des eaux stagnantes, des fleuves qui coulent, et, par l'effet de la gelée, le dessèchement de toute verdure, comme souvent nous l'avons vu, et en outre la solution de toutes ces choses qui arrive au temps des brouillards humides, et au souffie de l'Auster et du Zéphire. Il dit aussi qu'à la voix de Dieu tout rentre dans le calme. L'on ne doit donc point, en pareilles circonstances, chercher dans l'homme un aide, parce qu'on ne le trouvera pas, a moins que ce ne soit un de ces saints de Dieu qui ont obtenu et obtiendront beaucoup encore. Quelques-uns d'eux, en effet, auront eu le pouvoir de fermer les cieux, afin qu'il ne pleuve pas durant leur mission de prophètes, comme Hélie, et celui de changer les eaux en sang et de frapper la terre de toutes sortes de plaies, lorsqu'ils le voudront, comme Moïse et Aaron, en Égypte. Mais il est vrai de dire qu'aucun autre n'envoie ia grêle pendant l'été, si ce n'est celui qui fait tomber la neige pendant l'hiver. Car il n'est pour loutes deux qu'une seule et même raison de leur existence, c'est l'élévation extraordinaire des nuages dans chacune de ces saisons. IX. II est écrit aussi dans le livre du bienheureux Job: "La tempête sortira des lieux les plus cachés, et le froid, de l'Arcture. Dieu par son souffle forme la glace, et il resserre les eaux qui étaient répandues. Le froment désire les nuées, et les nuées répandent leur lumière. Elles sont portees de toutes parts sur la face de la terre, partout ou elles sont conduites par la volonté de Dieu qui les gouverne, et selon les ordres qu'elles ont recus de lui." Il faut écouler attentivement ce qui est dit : "Les nuées sont portées de toutes parts sur la face de la terre, mais toujours elles sont conduites par la volonté de Dieu qui les gouverne." Si donc Dieu gouverne les nuées, l'homme inique ne peut les faire marcher dans un autre sens, parce qu'il ne peut ni commander a Dieu, ni obtenir par des prières une cooperation dont il n'est pas digne. Ces mots : "Sur la face de la terre..." et "selon les ordres qu'elles ont reçus de lui", peuvent-ils se rapporter a autre chose, si ce n'est à tout ce que Dieu opère par le ministère des nuages, pour l'affliction ou le soulagement de l'humanité, aux neiges, aux grêles, aux pluies, aux éclairs, à la foudre ou aux tonnerres qui atteignent ordinairement les édifices les plus elevés? Ce n'est point sans doute au commandemcnt de l'homme, mais a celui de Dieu, qu'il est fait allusion, comme on peut le voir a l'endroit ou il est dit : "Savez-vous quand Dieu a commandé aux pluies de faire paraitre la lumière de ses nuées ? Connaissez vous les grandes routes des nuées et la parfaite science de celui qui les conduit ?" Dans ces paroles il nous faut remarquer que, si l'homme ne connait pas les grandes routes des nuées et la parfaite science (nécéssaire pour les conduire), il sait moins encore par leur emploi les faire servir ou nuire au monde, excepté, comme nous l'avons dit, les saints qui, selon la volonté de Dieu et l'effet immédiat de sa grace, peuvent beaucoup, non toutefois par une faculté a eux propre ou par quelque pouvoir capable de balancer le sien, mais par la volonté du créateur, comme souvent nombre de serviteurs de Dieu obtinrent aux jours de la sécheresse qu'il fut agréable au Seigneur d'accorder des pluies. X. Ainsi le bienheureux apôtre Jacques nous proposant, a titre d'exemple, l'action du prophète Élie, nous exhorte à recourir à la prière dans la tristesse, dans les maladies et pour la remission des péchés, lorsqu'il nous dit: "Priez l'un pour l'autre, afin que vous soyez guéris; car la prière persévérante du juste peut beaucoup." Élie était un homme tel que nous et sujet aux mêmes infirmités; et cependant, apres qu'il eut prié avec une grande ferveur, afin qu'il ne plut point, il cessa de pleuvoir sur la terre durant trois ans et demi. Et lorsqu'il eut prié de nouveau, le ciel donna de la pluie et la terre donna son fruit. Élie donc interceda pour qu'il ne plut pas; et trois années et demie s'écoulèrent sans pluie. Il agit ainsi pour amender et corriger sa nation, c'est-à-dire, afin de retirer d'abord les Hébreux de l'aberration d'esprit qui les aveuglait au point d'abandonner le culte du Dieu tout-puissant pour courir après d'impures idoles, et ensuite, afin que, chatiés et accablés par la privation des pluies, ils retournassent au Seigneur qu'ils avaient délaissé. XI. De même aussi, lorsque Samuel, prophète et chef d'lsraël, réprimandait le même peuple a cause de ses nombreux désordres, déroulant devant lui les bienfaits du Dieu Tout-puissant et leurs infidelités, afin que ce peuple comprit qu'il avait fait un grand mal et offensé Dieu en demandant un roi, il obtint par ses prières que, dans un temps inaccoutumé, la pluie vint a descendre sur eux avec des tonnerres et des éclairs terribles. Enfin, il est écrit qu'il parla au peuple en ces termes : "Prenez garde et considérez cette grande chose que le Seigneur va faire devant vos yeux. Ne fait-on pas aujourd'hui la moisson du froment? J'invoquerai le Seigneur, et il fera éclater les tonnerres et tomber la pluie; et vous saurez et vous verrez combien est grand le mal que vous avez fait en demandant un roi." Samuel cria donc au Seigneur, et le Seigneur en ce jour-la fit éclater le tonnerre et tomber la pluie. Et tout le peuple fut saisi de la crainte du Seigneur et de Samuel. Et ils dirent tous ensemble a Samuel : "Priez le Seigneur votre Dieu pour vos serviteurs, afin que nous ne mourions pas. Car nous avons encore ajouté ce péché a tous les autres, de demander d'avoir un roi." Épouvantés par la voix des tonnerres et l'éclat de la foudre, quoique pêcheurs, ils réclamèrent a titre de fidèles l'intercession du saint prophète, non pas comme nos demi-fidèles qui, s'ils entendent les tonnerres ou même le plus leger souffle du vent, disent que c'est un vent levatice et lancent des malédictions en disant : Qu'elle sèche cette langue maudite qui produit un pareil effet, elle qui déjà eut mérité d'être coupée! Dites-moi, je vous prie, sur qui tombent ces malédictions, sur le juste ou sur le pêcheur ? Celui-ci, d'après son infidélité pareille a la votre, n'a pu, comme vous avez coutume de le dire, soulever un vent, parce que ses facultés propres ne le lui ont pas permis et qu'il n'a pas pu commander aux mauvais anges, dont, au reste, le pouvoir ne s'étend pas jusque là. Il n'a pas supplié le Seigneur par des prières pour l'obtenir, parce que, de même que vous, ceux que vous appelez tempestaires pensent que ces choses s'opèrent par des prodiges et non par la volonté de Dieu. Car lors même qu'ils s'adresseraient pour cela au Seigneur Dieu, ils ne mériteraient pas d'obtenir ce qui n'est accordé qu'aux justes et jamais aux méchants, qui, en pareilles choses, lorsqu'ils demandent quoi que ce soit au Seigneur, le font avec un esprit d'infidélité et de duplicité, et non pas avec une foi vive et assurée. XII. Dans le temps où, par la prière d'Elie, la sècheresse était dans la terre d'Israël, les paturages manquaient aux troupeaux; car il est écrit: "Achab dit donc a Abdias: Allez par tout le pays, a toutes les fontaines et a toutes les vallées, pour voir si nous pourrons trouver de l'herbe, afin de sauver les chevaux et les mulets, et que les hôtes ne meurent pas toutes. Voila comme il semble que, desesperant d'obtenir la pluie et de trouver de l'herbe ailleurs qu'aux bords des fontaines et des ruisseaux, déja ils croyaient vrai ce qu'Elie avait dit a Achab lui-même : "Vive le Seigneur, le Dieu d'Israël, devant lequel je suis! il n'y aura pendant ces années ni rosée ni pluie, a moins que ce ne soit par une parole de ma bouche." Et, sans aucun doute, Elie avait désigné le nombre d'années. Pourquoi donc Achab, au lieu d'agir, comme je l'ai dit, me demanda-t-il pas aux tempestaires de susciter les tempêtes et, comme vous le dites ordinairement, les vents levatices, afin qu'au moyen de ceux-ci, la terre se trouvant arrosée, il put avoir de l'herbe pour ses chevaux, ses mulets et tes autres bêtes de somme qui etaient l'objet de sa sollicitude; car dans ce moment il ne craignait pas de perdre ses recoltes de blés et ses vignes qui alors étaient complêtement nulles? XIII. De nos jours aussi, lorsque les moissons et les vendanges étaient faites, on a vu les laboureurs ne pouvoir semer a cause de la sécheresse. Pourquoi donc alors n'obtenez-vous pas de vos tempestaires d'envoyer des vents levatices, afin que la terre étant arrosée, vous puissiez ensuite l'ensemencer? Mais parce que vous ne l'avez point fait, que vous ne l'avez jamais vu faire, ni entendu dire qu'on l'ait fait, ecoutez maintenant ce que le Seigneur lui-même, le créateur de toutes choses, qui les régit et les gouverne, qui en ordonne et en dispose a son gré, écoutez ce qu'il dit, sur ce sujet, entre autres paroles, a son bienheureux serviteur Job. Lorsque le diable, auteur du mal, source et principe de tout ce qu'il y a de mauvais, l'accusateur de nos freres, eut accusé le bienheureux Job devant le Seigneur, disant que ce n'était pas avec une intention droite, c'est-à-dire dans la vue de plaire a lui seul et de jouir de son Dieu, qu'il le servait, mais bien pour l'augmentation et la conservation des biens de la terre, il demanda à le tenter, afin de prouver ce qu'il avancait, méchant, orgueilleux et insensé qu'il était, comme s'il pouvait mieux connaître l'esprit de l'homme de Dieu que celui qui l'avait créé. Alors le Seigneur, juste et misericordieux, pour confondre le diable et pour glorifier son fidèle serviteur, accorde la demande de l'esprit des ténèbres; il lui permet d'éprouver le juste, en premier lieu dans ses biens, puis dans ses enfants, ensuite dans sa santé, de le livrer aux mauvais conseils de sa femme, ensuite aux reproches et aux dédains multipliés de ses serviteurs. Mais le diable se retira vaincu et confondu, et l'homme du Seigneur grandit dans la victoire et le triomphe. Le Seigneur Dieu voulant traiter Job comme il traita Paul, selon ce que dit l'Apôtre, de peur, quant à lui, que la grandeur des révélations ne l'enorgueillit, et à l'égard de Job, qu'il ne s'enflât de sa victoire, prit soin de l'humilier, non par la privation des biens qu'il avait perdus, non en frappant son corps, accablement qui deja l'avait éprouvé comme l'or dans le creuset, ni en le comparant a quelque homme puissant, parceque sur la terre nul n'était semblable à lui, tant il était grand parmi les hommes de l'Orient ; il commenca toutefois par l'humilier d'une manière sensible, en lui montrant, de la hauteur d'où il règne, l'immensité de sa puissance, afin que le serviteur fidèle, connaissant les oeuvres ineffables du Créateur suprème et infini, se meprisât lui même, comme il fit, et s'abaissât dans son néant. On en peut juger par ses paroles, quand il dit: "... Je m'accuse moi-même et je fais pénitence dans la poussière et dans la cendre." Ce que cette autre version montre plus clairement encore : " J'ai jeté un regard sur moi, j'ai reconnu que j'étais devenu comme de la boue, et que je ne suis que terre et cendre." Dans cet état d'humiliation, le Dieu tout-puissant s'enquérait de son fidèle serviteur, s'il pouvait accomplir telles ou telles choses, ou s'il connaissait qui les avait faites, même où il était quand elles furent créées. Il l'interroge sur ce qui est le fait de sa seule toute-puissance, et il dit: "Où étiez-vous quand je jetais les fondements de la terre? Qui en a réglé toutes les mesures? Sur quoi ses bases sont-elles affermies ? Qui a mis des barrières a la mer pour la tenir enfermée? Pourrez-vous rapprocher les Pleïades, ou disperser les étoiles d'Orion ? Savez vous l'ordre et les mouvements du Ciel? Commanderez-vous aux tonnerres, et partiront-ils à l'instant?" Je pourrais citer plusieurs autres traits du même genre, je me borne à celui-ci; le Seigneur continue : "Etes vous entré dans les trésors de la neige, ou avez vous vu les trésors de la grêle que j'ai préparés pour le temps de l'ennemi, pour le jour de la guerre et du combat? Savez-vous par quelle voie la lumière descend du ciel et la chaleur se répand sur la terre ? Qui a donné cours aux pluies impétueuses et un passage au bruit éclatant du tonnerre, pour faire pleuvoir sur une terre qui est sans homme, sur un désert ou ne demeure aucun mortel, pour inonder des champs affreux et inhabités, et leur faire produire des herbes verdoyantes ? Qui est le père de la pluie et qui a produit les gouttes de la rosée. Du sein de qui la glace est-elle sortie ? et qui a enfanté la gelée blanche qui tombe du ciel ? qui fait que les eaux se durcissent comme la pierre, et que la surface même de l'âbime se presse et devient solide ? " XIV. Voilà donc les grandes oeuvres de Dieu dont le bienheureux Job , avant cet entretien, n'avait pas du contempler les merveilles avec une si pénétrante inletligence et une admiration si profondement sentie. Si le Seigneur possssède les trésors de la grêle, et si lui seul il peut les voir, le bienheureux Job ne les ayant point vus, où vos tempestaires les ont-ils trouvés, lorsque lui-même n'y est pas parvenu, non plus que nous qui ignorons les lieux ou ils existent? Le Seigneur demande a son fidèle serviteur s'il sait qui a donné cours aux pluies impétueuses et un passage au bruit éclatant du tonnerre. Quant a ceux que je combats dans ce discours, ils nous montrent des hommes sans vertu, dépourvus de sainteté et de justice, étrangers a la sagesse, sans foi et sans vérité, odieux même à leurs proches , et c'est à ces hommes qu'ils altribuent les pluies impétueuses, le bruit éclatant du tonnerre et les vents lévatices. Le Seigneur dit qu'il a préparé tout ceci pour le temps de l'ennemi, c'est-à-dire pour le jour de sa vengeance. Eux prétendent que les ennemis mêmes de la justice, des êtres qui sont les premiers voués aux chatiments d'en haut après ceux qui déplacent les bornes, qui prennent pour gage le boeuf de la veuve, qui surchargent les bras de l'orphelin, qui renvoient nus des malheureux privés de tout vêtement, qui chassent les pauvres de leurs demeures, et se plaisent dans l'oppression de l'humanité : ils prétendent, dis-je, que de tels êtres ont a leur disposition les fléaux dont Dieu se sert pour se venger de ses ennemis. Le Seigneur dit qu'il est père de la pluie, et declare qu'il a enfanté la gelée blanche qui lombe du ciel; et eux prétendent que les plus misérables des hommes possêdent une grande partie de ce pouvoir; qu'il leur est accordé de faire durcir les eaux comme la pierre ! Le Seigneur propose ce phénomène à notre admiration ; certes, s'il était en la puissance de ces misérables de l'opérer, il n'aurait plus rien qui dut nous étonner. XV. Cette folie tient beaucoup du paganisme, et déja l'erreur s'est accrue au point qu'il se trouve des gens assez stupides pour dire qu'ils ne savent pas, à la vérité, soulever les tempêtes, mais qu'ils peuvent en garantir et défendre les habitants d'un lieu déterminé. Ils ont un tarif qui regle l'élendue de ce service sur la quantité de fruits qu'on leur donne, et ils l'appellent le canonique. Il est beaucoup de gens qui ne donnent jamais de bonne grace la dime aux prêtres, qui ne font pas l'aumône aux veuves, aux orphelins et aux autres indigents, toutes choses qui leur sont fréquemment prêchées et ordonnées et auxquelles ils ne se conforment point ; au contraire, ce qu'ils appellent le canonique, sans que personne le leur dise, ils le paient très-volontiers a ceux par l'entremise desquels ils croienl être préservés de la tempête. Enfin ils fondent en grande partie sur le secours de ces hommes les espérances de leur vie, comme si elle dépendait d'eux. Ce n'est point ici le commencement, mais c'est presque le comble de l'infidélité; et si nous l'examinons avec soin, nous n'hésiterons point à dire que c'est la consommation de l'infidélité. II y a, en effet, selon les divines Ecritures, trois vertus dans lesquelles tout le culte est compris, et par lesquelles Dieu recoit le tribut d'adoration qui lui est dû : la Foi, l'Espérance et la Charité. Or donc , quiconque divisera sa foi et son espérance, de telle sorte qu'en croyant à Dieu, il croie aussi que les attributs de Dieu appartiennent a l'humanité, et qu'il espere tout-à-la fois en Dieu et en son semblable, celui-la offre à Dieu une foi et une espérance partagées qu'il ne saurait accepter. Et vous ne pourrez le compter au nombre des fidèles celui qui pense ainsi ; et celui qu'une foi et une espérance partagées écartent du nombre des fidèles sera infailliblement absorbé dans le gouffre de l'infidelité, et il encourra à juste titre la malédiction du prophète qui a dit : "Maudit est l'homme qui met sa confiance en l'homme !" Et qu'il ne se flatte pas de dire : "J'espere davantage en Dieu que dans l'homme", parce que la confiance ne peut être divisée ; car, ou elle sera entière et sure, ou incertaine et nulle. XVI. II y a peu d'années, à l'occasion d'une mortalité de boeufs, on avait semé le bruit absurde que Grimoald, duc de Bénévent, parce qu'il était ennemi de l'empereur très-chrétien Charles, avait envoyé des hommes chargés de répandre, sur les plaines et les montagnes, dans les prairies et les fontaines, une poudre pernicieuse qui, ainsi repandue, donnait la mort aux boeufs. Nous avons ouï dire que beaucoup de personnes prévenues de ce délit furent arrêtées, et que quelques-unes furent massacrées, d'autres attachées sur des planches, et jetées a l'eau ; et ce qu'il y a de plus étrange, c'est que ces hommes, après avoir été pris, rendirent témoignage contre eux-mêmes, disant qu'ils possedaient une pareille poudre et qu'ils l'avaient répandue ça et là ; car le diable par un jugement équitable de Dieu, usait si bien du pouvoir qu'il avait recu contre ces misérables, qu'il les faisait servir à eux-mêmes de faux témoins pour leur condamnation, et que ni les chatiments, ni les tortures, ni la mort elle-même ne pouvaient les détourner de témoigner à faux contre eux. Telle était la conviction publique qu'il y avait bien peu d'individus qui trouvassent absurde une pareille chose. On ne pouvait raisonnablement imaginer de quoi se composait une poudre qui ne donnait la mort qu'aux boeufs, en épargnant les autres animaux, ni comment elle pouvait avoir été portée sur des régions si étendues, qu'il eut été impossible aux hommes de les couvrir de cette poussière, quand même tous les Bénéventins, hommes, femmes, vieillards et jeunes gens, seraient sortis du pays, chacun avec trois chars qui en fussent chargés. Une si grande démence s'est emparée de notre malheureux siècle, que des chrétiens croient aujourd'hui des choses absurdes qu'on n'aurait jamais pu faire croire autrefois aux païens qui ignoraient le Créateur de l'univers. J'ai voulu citer ce fait, parce qu'il est semblable à celui sur lequel roule ce traité, et parce qu'il peut être une preuve et un exemple des vaines séductions et des altérations du bon sens. NOTES Papire Masson dit, dans la préface de l'édition qu'il a donnée des oeuvres d'Agobard, que Maxime de Turin, qui florissait sous Theodose le Jeune, a traité avant Agobard de la grêle et des tempêtes; nous croyons qu'il s'est trompé: Maxime de Turin n'a pas écrit sur ce sujet, mais on a de lui deux homélies sur des eclipses de lune. Voyez D. Ceillier, xiv, 607 et 609.C. I. Tempestarii. Voyez ce mot dans le Glossarium manuale d'Adelung. Voyez aussi Baluze sur Agobard, ii, 68. C. II. L'anecdote rapportée dans ce chapitre a été dénaturée par la plupart des écrivains qui l'ont reproduite. Voyez Le Comte de Gabalis (par Montfaucon de Villars), p, 143; Le Conservateur (par A. F. Delandine); les Lettres à Sophie, par Aimé Martin, t II, p. 408, édit. de 1833, Nous aurions pu renvoyer aussi à l'Origine des découvertes attribuées aux modernes, par L. Dutens, 1, 123, édit. de 1812, aux Nouveaux mélanges de H. Breghot du Lut, p. 98, et à L'Histoire littéraire de la France, par M. J.-J. Ampere III, 178; Note: Les références à Montfaucon de Villars, à A. F. Delandine, à Aimé Martin, à H. Breghot du Lut, à J.-J. Ampere sont exactes. Par contre nous avons cherché très longtemps cette anecdote dans l'oeuvre de Louis Dutens. Aujourd'hui, alors que les bibliothèques digitales nous donnent accès à toutes ses éditions, nous somme surs que Louis Dutens n'en a jamais parlé. mais nous ne croyons pouvoir nous dispenser d'extraire du dernier de ces ouvrages le passage suivant: «.... Agobard se recommande à notre attention et a notre interêt par une superiorité de jugement qui lui fait attaquer les superstitions et les prejugés de son temps. Il a consacre un traité special à combattre une croyance bizarre, qui parait avoir eu une grande vogue dans le pays qu'il babitait. On prétendait que certains hommes, appelés tempestarii, soulevaient tes tempêtes pour pouvoir ensuite vendre les fruits que la grêle avait frappés, les animaux qui avaient peri par suite des inondations et des orages, a des acheteurs mystérieux qui arrivaient a travers les airs. Un jour furent amenées devant Agobard trois personnes que l'on voulait tuer, parce qu'on les avait vues tomber du ciel. Peut-être ne faut-il pas chercber d'autre origine a notre expression tomber des nues... Il y a quelque rapport, entre les folles croyances condamnées par Agobard et les voyages aériens des sorciers Lapons..." Nous ne ferons qu'une observation sur le passage qu'on vient de lire: l'origine de l'expression tomber des nues a une date bien plus reculée que celle que voudrait lui donner l'estimable et savant professeur; nous la trouvons, en effet, dans Plaute, Persa, II, 3, 6; dans Tibulle, Eleg., 1,3, 90; dans Minucius Felix, Octavius, chap. xxii. Voyez au reste les Variae lectiones de Bluret, vii , 7, Quant aux nautoniers aériens dont parle Agobard, les nombreux écrivains qui ont écrit l'histoire des aérostats n'ont pas manqué de les rappeler; mais nous ne croyons pas qu'ils aient fait mention d'une machine aérienne dont il est question dans une lettre d'un gentilhomme polonais, datée de Varsovie, le 22 decembre 1647, et inserée dans le n° 9 de la Gazette de France de 1648, En voici un extrait : "Il se trouve en cette cour un personnage nouvellement arrivé d'Arabie, qui est venu offrir sa tête au roi de Pologne (Uladislas VII), s'il n'avoit apporté de ce pays-là l'invention d'une machine si légère et néanmoins si ferme qu'elle est capable de le loger et de soutenir deux hommes en l'air, l'un desquels y peut dormir, tandis que l'autre fait mouvoir cette machine qui est en la même forme que les vieilles tapisseries représentent les dragons volants dont elle prend le nom. II y a peu de nos courtisans qui n'en aient ici le crayon que j'espère vous envoyer si son dessein réussit, de quoi les modèles qu'il en a faits, et les raisons dont il les appuie, font concevoir beaucoup d'espérance; et bien qu'il promette que la diligence de ce coursier céleste sera telle qu'il fera 40 de nos lieues par jour, qui font plus de 8O des votres, ce qui lui a aliéné beaucoup d'esprits, si est-ce qu'ayant donné quelques certificats et témoignages que son dessein lui a succédé ailleurs, et considérant qu'un homme qui parait personne d'honneur ne tiendrait pas si peu de compte de sa vie, qu'il la voudrait hasarder deux fois si périlleusement, l'une, s'il n'essayoit point ce qu'il promet, mais eut seulement fait état de venir affronter toute cette cour qui n'entend point raillerie en telles matières; l'autre, si, essayant ce vol qu'il doit prendre par-dessus les plus hautes tours et clochers, il se précipitait par sa témérité. Tant y a qu'on lui a donné des commissaires, et, en attendant leur rapport,... je vous dirai que nos mathématiciens consultés sur cette affaire, en ont bien trouvé l'exécution difficile, mais non pas impossible..." Nous avons cherché en vain dans la Gazette de France, une nouvelle lettre du gentilhomme polonais, et nous avons tout lieu de croire que le rapport des commissaires ne fut pas favorable a l'aéronaute d'Arabie. C. VII. Il en est qui avancent qu'ils connaissent des tempestaires qui font descendre la grêle sur une partie d'un fleuve, etc. "Au siècle de Charlemagne, dit M. Arago, on élevait de longues perches dans les champs, pour écarter la grêle et les orages. Hâtons-nous d'ajouter, car sans cela les admirateurs fanatiques de l'antiquité trouveraient dans cette citation une preuve manifeste de l'ancienneté des paratonnerres de Franklin ; hâtons-nons d'ajouter que les perches restaient inefficaces, à moins qu'elles ne fussent surmontées de morceaux de papier. Ces papiers ou parchemins étaient sans doute couverts de caractères magiques, puisque Charlemagne, en proscrivant cet usage par un capitulaire de l'an 789, le qualifiait de superstitieux...". Annuaire du Bureau des longitudes de 1838, p. 529. C. IX. "... connaissez-vous les grandes routes des nuées et la parfaite science de celui qui les conduit ? (Job, xxxvii, 16 ) Cette interprétation parait contestable à M. R. D'après celle qu'il propose, la parfaite science serait attribuée aux nuages eux-même. Agents dociles, ils suivraient une route tracée avec l'intelligence de leur direction, avec la connaissance du but qu'il leur est ordonné d'atteindre. Il croit ce sens justifié par le verset 36 du Chap. xxxviii , verset qui est ainsi rendu dans la traduction de J.-L. Bridel : "Qui a donné de l'intelligence aux feux qui déchirent la nue, et de la science aux météores enflammés?" J'ai soumis la note de M. R. a M. de Nolhac, et le savant orientaliste ne pense pas que le texte original du verset 16 du Chap. xxxvii puisse offrir d'autre sens que celui-ci: Nunquid scis quomodo in aere librantur densae nubes, mirabilia iltius qui perfectus est in scientia? C'est-à-dire : Sais-tu comment sont soutenus dans l'espace les gros nuages, merveilleux secret de celui qui possede la perfection de la science. J'ai donc cru devoir persister dans l'interpretation que j'ai donnée du passage de Job, et suivre en cela les nombreux traducteurs que j'ai été à même de consulter. C. XI ... la pluie vint à descendre... Le texte porte.... Obtinuit ut insueto tempore terribiliter cum tonitruis et coruscis vocibus pluvia. II y a lieu de croire qu'il manque un mot dans cette phrase , et ce mot doit être fieret. Note de M. R. C. XIII ...Numquid conjungere valebis stellas Pleiadas, aut gyrum Arcturi poteris dissipare (Job, xxxviii, 31)? Traduction (de la Vulgate) inintelligtble, quoique materiellement où grammaticalement exacte. Les Septante ont beaucoup mieux dit : An intellexisti nexum Pleiadis, et septum Orionis aperuisti? De l'aveu de presque tous les interprètes, dit un traducteur, le mot hébreu que la Vulgate rend par Arcturum, doit etre rendu par Orion, et voici, quant à lui, sa version: As-tu resserré les liens des Pléiades, et relaché les noeuds d'Orion ? ( Job et les Psaumes, trad. par H. Laurens; Paris, 1839, in-8). La constellation des Pléiades se compose d'un grand nombre d'étoiles rapprochées les unes des autres. Orion, au contraire, est une des grandes constellations; elle a, entre autres, trois étoiles espacées que l'on appelle le baudrier d'Orion. D'où il suit que le sens de ce verset est évidemment: Est-ce toi qui a rapproché (ou qui aurais pu rapprocher) les étoiles des Pléiades, ou qui as relaché les liens qui unissent celles d'Orion? » Mot pour mot: An strinxisti ligamina Pleiadum, aut solvisti contractiones Orionis ? On voit qu'il y a opposition entre les deux membres de cette phrase. Note de M. de Nolhac. C. XIV ... qui déplacent les bornes, Moise faisant aux Hébreux le partage des terres conquises , leur disait: Maledictus qui transfert terminos proximi. Deut. xxvii , 17. Chez les romains, ou tout etait Dieu, excepté Dieu lui-même, les limites de la proprieté etaient sous la protection d'un Dieu. Ovide, Fast., II, v. 641-2. C XV ... le canonique. Tribut annuel que les proprietaires payaient aux tempestaires, pour qu'ils éloignassent les lempêtes de leurs champs. Baluze et Adelung s'accordent pour expliqner ce mot par pensio annua. Voyez aussi Basnage, Hist.de l'Eglise, p, 1306. C. XV ... Ne donnent jamais de bonne gràce la dime aux prêtres, Alcuin, contemporain d'Agobard, disait que la dime avait renversé la foi des Saxons, et que si l'on se fût borné à leur annoncer le joug doux et léger du Christ, sans exiger d'eux les dimes, peut-être n'eussent-ils pas rejeté le baptême. J.-J. Ampere, Hist. litt., iii, 80. C. XVI. Grimoald. Voyez l'Art de vérif. les dates, iii,768; Baluze sur Agobard, 11, 69; J.-J. Ampere, Hist. litt., iii, 179 ; A. P., Notes et documents, 28 mai 1571. C. XVI. Une si grande démence, etc. Cette réflexion a fourni a Bayle le texte de la XCIXe de ses Pensées sur la comète, et voici comment il l'a traduit : "Une si grande folie s'est emparée déja du pauvre monde, que les chrétiens se persuadent des absurdités que personne ne pouvait auparavant persuader aux Gentils. *** II n'existe, à notre connaissance et à notre grand étonnement, que deux éditions des OEuvres d'Agobard, l'une de 1605 , publiée par Papire Masson, d'apres le MS qu'il avait découvert à Lyon (édition qui fut mise a l'index, donec corrigatur, par décret de la Congrégation du 16 décembre de la même année) ; l'autre de 1666, plus complète et plus correcte, donnée par Etienne Baluze ; mais elles ont été réimprimées dans les différentes collections des Pères de l'église, et D. Bouquet en a inséré des fragments dans son Recueil des Hist. des Gaules et de la France. Voyez Fabricius, Biblioth. med. et inf. Lat; Saxius, Onomasticon; les Archives du Rhône, tome 1; les Vies des saints du diocèse de Lyon, par F.-Z., Collombet; la Biographie lyonnaise, etc., etc. SOURCE: Antoine Péricaud, DE LA GRÊLE ET DU TONNERRE PAR Saint Agobard, Lyon, 1841. Remarques: Le livre de Péricaud, donne à la fois le texte latin, sur la page de gauche, et sa traduction française, sur la page de droite. Le texte latin étant celui de Stéphane Baluze, consultable sur sa page, nous ne donnons ici que la traduction française. |
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