Les enrichissements de l'histoire des mages

Il faut bien le reconnaitre, nos trois rois mages, nommés Gaspard, Melchior et Balthazar, dont l'un est noir, ne nous sont légués que par la tradition, puisque le texte de Matthieu dit simplement: Des mages venus du Levant. Il a donc fallu qu'au cours des siècles, on invente le nombre des mages, leur royauté, leurs nom et leurs origines. Voyons cela, point par point.

Qui a placé la naissance de Jésus dans une grotte?

Beaucoup de nos "crèches" de Noël utilisent une grotte pour décor. Le plus souvent, il s'agit d'une vague imitation en papier rocher, mais nous nous souvenons qu'autrefois, nous montions chez nous une maquette de grotte en vrai pierre, et même une seconde, plus petite pour les enfants. Or Luc parle d'une mangeoire (supposée dans une écurie), et Matthieu parle d'une maison.
D'où vient donc cette légende de la grotte?

On la trouve chez Augustin d'Hippone, dans un sermon sur l'épiphanie.
2. Les Mages pénètrent donc dans la grotte où est né le saint enfant, ils s'approchent de la crèche, ils y aperçoivent un homme et y reconnaissent un Dieu; alors ils se prosternent aux pieds de cet enfant, dont ils comprennent la grandeur, dont la puissance leur, inspire l'épouvante.
(Augustin d'Hippone, 41ème sermon pour l'Epiphanie)
Note: Augustin fait ici du syncrétisme, puisqu'il ajoute les mages de Matthieu, et la crèche de Luc. Et il ne peut pas s'empécher d'inventer l'épouvante des mages devant un bébé-dieu.

Mais avant Augustin, On la trouve chez Jean Chrysostome:
Comment donc, dites-le moi, une simple étoile aurait-elle indiqué des objets aussi petits, que le sont une grotte et une crèche autrement qu’en descendant de ces hauteurs du ciel, pour venir s’arrêter en quelque sorte sur la tête même de l’enfant?
(Jean Chrysostome, sixième homelie sur l'évangile de Matthieu, 2)

Et encore avant chez Justin le martyr, vers 150-155.
L'enfant naquit donc à Bethléem, dans une espèce de grotte, près de ce bourg où Joseph n'avait pu trouver à se loger; c'est dans cette grotte que Marie mit au monde le Christ et qu'elle le coucha dans une crèche, et c'est là que les mages venus d'Arabie le trouvèrent.
(Justin le martyr, Dialogue avec le juif Tryphon, LXXVIII, 5)
Justin pratique ici un syncrétisme qui va perdurer jusqu'à nous en mélangeant, avec sélection les textes de Luc, de Mathieu et ses propres conviction. Il se dit que Justin avait bien connu la région de Bethléem où il avait du remarquer des sortes de grottes servant d'étable. Comme Justin tend à démontrer l'humilité de la naissance de Jésus, et que la mangeoire évoque une étable, il était bien tentant pour lui de faire naitre Jésus dans une grotte, mais pour d'autres raisons, un autre l'avait fait aussi.

Au même siècle ou écrivait Justin, Jacques le mineur, ou le juste, concoctait un "proto-évangile" contenant un récit qui ressemble plus à un conte merveilleux qu'à un compte-rendu historique.
Et étant arrivés au milieu du chemin, Marie lui dit : « Fais-moi descendre de mon ânesse, parce que ce qui est en moi me presse extrêmement; » et Joseph la fit descendre de dessus l'ânesse et il lui dit : « Où est-ce que je t'amènerai, car ce lieu est désert? »
Et trouvant en cet endroit une caverne, il y fit entrer Marie, et il laissa son fils pour la garder, et il s'en alla à Bethléem chercher une sage-femme.
Note: Ici, la caverne n'est pas une étable, et sa signification n'est pas la même que pour Justin.
Et lorsqu'il était en marche, il vit le pôle ou le ciel arrêté, et l'air était obscurci, et les oiseaux s'arrêtaient au milieu de leur vol. Et regardant à terre, il vit une marmite pleine de viande préparée, et des ouvriers qui étaient couchés et dont les mains étaient dans les marmites. Et, au moment de manger, ils ne mangeaient pas, et ceux qui étendaient la main, ne prenaient rien, et ceux qui voulaient porter quelque chose à leur bouche, n'y portaient rien, et tous tenaient leurs regards élevés en haut. Et les brebis étaient dispersées, elles ne marchaient point, mais elles demeuraient immobiles. Et le pasteur, élevant la main pour les frapper de son bâton, sa main restait sans s'abaisser. Et regardant du côté d'un fleuve, il vit des boucs dont la bouche touchait l'eau, mais qui ne buvaient pas, car toutes choses étaient en ce moment détournées de leur cours.
Note: L'air est obscurci, et le temps même s'est arreté. Miracle dont on ne trouve aucun exemple dans la bible.
Et voici qu'une femme descendant des montagnes, lui dit : « Je te demande où tu vas? » Et Joseph répondit : « Je cherche une sage-femme de la race des Hébreux. » Et elle lui dit : « Es-tu de la race d'Israël?» Et il répliqua que oui. Elle dit alors : « Et quelle est cette femme qui enfante dans cette caverne? » Et il répondit : « C'est celle qui m'est fiancée. » Et elle dit : « Elle n'est pas ton épouse?» Et Joseph dit : « Ce n'est pas mon épouse, mais c'est Marie qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et qui a conçu du Saint-Esprit » Et la sage-femme lui dit : « Est-ce que c'est véritable? » Et il dit : « Viens-le voir. » Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s'arrêta quand elle fut devant la caverne. Et voici qu'une nuée lumineuse couvrait cette caverne. Et la sage-femme dit: « Mon âme a été glorifiée aujourd'hui, car mes yeux ont vu des merveilles. » Et tout d'un coup la caverne fut remplie d'une clarté si vive que l'œil ne pouvait la contempler, et quand cette lumière se fut peu à peu dissipée, l'on vit l'enfant.

Note: Il fallait bien une lumière éblouissante pour représenter la gloire divine, mais ce récit ne s'accorde pas du tout avec l'humilité de la grotte-étable de Justin.
(Jacques le mineur, Nativité de Marie, ch.XVII-XIX)

Le "proto-évangile" de Jacques, qui n'a de proto que de rapporter des faits antérieurs aux autres, fut largement récupéré par la tradition chrétienne, puisque c'est de lui que vient le culte de sainte Anne, mais comme on ignore la date de sa rédaction exacte, on ne sait pas si Augustin a puisé l'idée de la grotte, chez Justin, ou chez Jacques.
Nous savons tout de même que le thème de la grotte est né au IIème siècle.

Qui a fait suivre l'étoile par les mages?

Depuis l'antiquité jusqu'à la chanson de Sheila, Le cliché des trois mages cheminant à dos de chameau derrière l'étoile est tellement omniprésent dans notre culture que nous cherchons pas à le remettre en cause.
Cependant, l'évangile de Matthieu dit seulement:
2,1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages venus du Levant se présentèrent à Jérusalem,
2,2 en disant: « Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Car nous avons vu son étoile au Levant et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »

Et c'est tout. Matthieu, seul à parler des mages, ne dit rien de ce qui s'est passé entre la découverte de "l'étoile", et l'arrivée à Jérusalem. Pourtant, plusieurs auteurs admettent sans le mettre en doute que les mages suivirent l'étoile jusqu'à Jérusalem, et discutent de la raison pour laquelle est disparut alors.
Nous trouvons déja ce cliché chez Augustin d'Hippone:
4. Toutefois, cette étoile virginale se trouvait enfermée dans les étroites limites d'une étable, avec le Soleil de justice qu'elle avait mis au monde; aussi, et afin de la faire connaître, un astre d'un éclat nouveau apparaît-il en Orient; par l'éclat inouï de sa lumière, il prévient les Gentils de l'apparition de l'étoile sortie de Jacob, et, marchant en avant des Mages pour leur indiquer leur chemin, il les amène jusqu'à Bethléem.
(Augustin d'Hippone, 37ème sermon pour l'Epiphanie)
Sacré Augustin qui sait mieux que Matthieu que l'étoile d'un éclat inouï (mais que personne d'autre n'a vu) a guidé les mages directement depuis l'Orient jusqu'à Bethléem.

Mais Jean Chrysostome en avait parlé avant lui:
Le soleil et la lune et toutes les planètes et les étoiles, vont de l’Orient à l’Occident; au lieu que cette étoile allait du Septentrion au Midi, selon la situation de la Palestine à l’égard de la Perse.
On peut prouver encore la même chose par le temps où cette étoile paraît. Car elle ne brille pas la nuit comme les autres, mais au milieu du jour et en plein midi, ce que ne peuvent faire les autres étoiles, ni la lune même, qui, bien que plus éclatante que les autres astres, disparaît néanmoins aussitôt que le soleil commence à paraître. Cependant cette étoile avait un éclat qui surpassait celui du, soleil, et jetait une clarté plus vive et plus brillante.
La troisième preuve qui fait voir que cette étoile n’était point ordinaire, c’est qu’elle paraît et se cache ensuite. Elle guida les mages tout le long de la route jusqu’en Palestine. Aussitôt qu’ils entrent à Jérusalem elle se cache;

(Jean Chrysostome, sixième homelie sur l'évangile de Matthieu, 2)
On remarque que ce sermon contient des âneries: Jean Chrysostome confond la Perse et l'Asie mineure, et place la Palestine au sud de la Perse, au lieu de l'ouest. Il veut ignorer que la lune est visible le jour.
De plus, il invente sans avoir honte une étoile plus brillante que le soleil, qui guidait les mages depuis leur pays d'origine. Manifestement, il ne se fait pas une représentation mentale de ce qu'il raconte, ni n'en examine les conséquences: Si, durant le temps d'un voyage de la Perse à la Palestine, une étoile s'était montré plus brillante que le soleil, tous les historiens en aurait parlé, alors qu'aucun texte n'en dit rien.
Par contre, un autre père de l'église avait déja dit la même énormité. Au tout début du IIème siècle, Ignace d'Antioche écrit:
Mais comment le Christ fut-il révélé à la terre ? Par une étoile qui parut au ciel, et dont l’éclat fit pâlir toutes les autres. Sa splendeur ne pourrait se décrire, la nouveauté du prodige frappa de stupeur ;tous les autres astres, le soleil, la lune, les étoiles, formèrent comme un chœur autour d’elle ; sa lumière se réfléchissait sur tous. Le trouble fut extrême ; on se demandait d’où pouvait venir un phénomène si étrange.
(Ignace d'Antioche, lettre aux Ephésiens)
On n'est pas loin de l'audace de Justin l'historien décivant à la naissance de Mithridate une comète plus brillante que le soleil.
Mais cette ânerie eut du succés, puisqu'on la retrouve non seulement chez Chrysostome, mais dans le "protoévangile" déjà vu:
Et les mages dirent : « Son étoile s'est levée brillante, et elle a tellement surpassé en clarté les autres étoiles du ciel que l’on ne les voyait plus. Et nous avons ainsi connu qu'un grand roi était né en Israël, et nous sommes venus l'adorer. »
Jacques ne nous dit pas, comme Chrysostome qu'elle surpassait le soleil et guida les mages vers Jérusalem, mais il ne dit pas non plus comment les mages ont déduit que c'était en Israel qu'était né un grand roi.

Ce sermon de Jean Chrysostome est d'ailleurs un cas d'école, en ce qu'il n'arrète pas de se tirer des balles dans le pied, car il aligne les impossibilités:
Vous voyez donc combien on trouverait ici d’absurdités, si on considérait cette histoire humainement. Celles que je viens de relever ne sont pas les seules, une réflexion attentive en découvrirait bien d’autres.
En fait Jean Chrysostome démontre l'impossibilité physique de cette étoile, à l'aide de détails purement inventés, pour en conclure qu'elle avait un caractère miraculeux. On comprend pourquoi il avait été surnommé "bouche d'or" (Chrysostome), car il faut vraiment bien savoir parler pour convaincre un auditoire avec des énormités pareilles.

Avant Chrysostome, Basile de Césarée ne nous explique pas comment les mages vinrent en Judée:
Les mages qui virent un astre extraordinaire, le regardèrent comme un prodige de la nature; ils résolurent de s'informer quel était cet homme qui devait naître dans Israel; ils vinrent en Judée; ils allèrent à la ville désignée par l'oracle,
(Basile de Césarée, sermon pour le jour de Noël ou de l'épiphanie)

Avant lui encore, Hilaire de Poitiers parle des mages et de la signification de leurs présents dans ses commentaires de l'évangile de Matthieu, puis fait un parallèle entre l'étoile apparaissant aux mages et les anges apparaissant aux bergers dans son deuxième livre de la trinité. Mais il ne dit nulle part que les mages suivirent l'étoile.

Et avant Hilaire, nous ne trouvons rien non plus chez Justin le martyr.

Après avoir fait le tour des premiers pères de l'église ayant parlé du voyage des mages, Il semble donc bien que ce soit Jean Chrysostome qui ait fait précéder les mages par l'étoile, du Nord au Sud, au lieu de l'Est à l'Ouest.

Qui a dénombré les mages?

On s'accorde à dire, avec Wikipédia, que le premier auteur à avoir parlé de trois mages serait Origène.
c'est Origène (185-254), dans ses Homélies sur la Genèse, qui, le premier, fixe leur nombre à trois en se fondant vraisemblablement sur les trois présents (or, encens, myrrhe).
(Wikipédia, au 25/12/2014)
Voici, en fait, ce qu' écrit Origène dans son homélie sur la genèse (traduite en latin par Rufin d'Aquilée):
Possunt quidem isti tres, qui pacem requirunt a Verbo Dei, et praevenire cupiunt pacto societatem ejus, figuram tenere magorum, qui ex Orientis partibus veniunt eruditi paternis libris, et institutionibus majorum, et dicunt: Quia videntes vidimus natum regem, et vidimus quia Deus est cum ipso et venimus adorare eum.
Il se peut, toutefois, que ces trois là, qui cherchent la paix dans la Parole de Dieu, et cherchent par accord à anticiper sa communauté, prennent la forme de Mages, qui viennent des régions orientales instruits par les livres de nos pères, et les institutions de nos aïeux, et disent: parce que nous sommes devins, nous avons vu la naissance du roi, et nous avons vu que Dieu est avec lui, et nous sommes venus l'adorer.
(Origene, homelie sur la genèse, XIV, 3)
Origène dit bien: ces trois là, mais ces trois là, ce sont les trois parties de la philosophie dont il parle dans les phrases précédentes, c'est à dire, la logique, la physique et l'éthique. Mais, si elles sont figurées par des mages, cela n'implique nullement que ces mages aient été trois.
Par ailleurs, Origène ne parle pas des mages dans son homélie sur l'évangile de Matthieu. Il en parle dans Contra Celsum, mais sans dire leur nombre.
L'invention du nombre des mages par Origène, sur la base du nombre de leurs présents, n'est donc qu'une légende savante.

Par contre, Augustin d'Hippone parle des mages en de nombreux sermons, et dans l'un d'eux, il écrit:
2. Mais que personne ne dise que le Seigneur Christ est né forcément sous le destin fortuit de cette étoile, adoptant ainsi l'opinion soutenue par les païens et peut-être aussi par les hérétiques. Elle n'était point placée dans le ciel pour imposer des lois: ce n'était qu'une messagère envoyée pour annoncer un événement. Jésus n'était pas fatalement soumis à ses ordres, c'était elle qui obéissait en le faisant aussitôt connaître. L'existence du Christ n'a donc pas été la conséquence de l'apparition de l'étoile: au moment où il est né, et parce qu'il est né, elle a brillé dans le ciel; mais le Sauveur n'est pas venu au monde à cause d'elle. Au-dessus de la couronne de gloire qui apportait la joie à toute la terre, on voyait donc voltiger et briller, au milieu des ténèbres, les mystérieuses et bleuâtres lueurs destinées à annoncer le Sauveur; et, par la route de feu qu'elle traçait, avec un empressement joyeux, dans les airs, l'étoile amenait d'Orient les trois mages , comme trois pierres précieuses à ajouter à la couronne du Christ naissant dans l'innocence : ils devaient y être incrustés à titre de prémices et en fléchissant le genou.
(Augustin d'Hippone, 39ème sermon pour l'Epiphanie)
Augustin, qui, dans sa jeunesse, avait cru à l'astrologie, met en garde contre une interprétation déterministe. Mais il se laisse aller à à faire du grand spectacle. Jamais Matthieu n'a écrit que l'étoile s'accompagnait de "mystérieuses et bleuâtres lueurs" traçant une "route de feu" devant les mages. Il ne dit pas non plus qu'elle accompagnait les mages depuis l'orient jusqu'à Jérusalem. Dans un tel contexte, Augustin peut bien se laisser aller à inventer le nombre des mages.
C'est donc Augustin d'Hippone qui semble avoir inventé "les trois mages"

Qui a nommé les mages?

Aujourd'hui, quiconque est de culture occidentale sait (ou croit savoir) que les mages s'appelaient Gaspard, Melchior et Balthazar. Pourtant, le texte de Matthieu ne les nomme pas.

manuscrit du VIIIe s.
Ici encore, on s'accorde à en citer l'origine:
Les noms traditionnels de « Gaspard, Melchior et Balthazar » n'apparaissent que bien plus tard, pour la première fois dans un manuscrit du VIe siècle intitulé Excerpta Latina Barbari.
(Wikipédia, au 25/12/2014)
Ce manuscrit n'est pas du VIe siècle, mais du début du VIIIe, par contre l'original grec daterait bien du VIe siècle. Dans ce manuscrit en mauvais latin, on trouve:
In his diebus sub Augusto kalendas Ianuarias magi obtulerunt ei munera et adoraverunt eum : magi autem vocabantur Bithisarea Melichior Gathaspa
On retrouve bien, sous une forme assez barbare, les noms de nos trois mages.

Mais nous avons beaucoup mieux qu'un manuscrit en mauvais latin. Nous avons une splendide mosaïque du VIe siècle qui décore la Basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf, à Ravenne




guerrier persan
On remarque que les mages sont trois, afin de porter chacun un présent, qu'ils ne portent pas de couronnes mais des bonnets phrygiens et des pantalons. C'est qu'ils sont vétus comme des perses de l'antiquité.
Surtout, au dessus d'eux, on lit:
+SCS BALTHASSAR +SCS MELCHIOR +SCS GASPAR
C'est à dire saint Balthazar, saint Melchior, saint Gaspard. Hé oui, ils n'étaient pas encore rois, mais ils étaient déjà saints. Ils ne le sont pas pour l'église catholique, mais ils le seraient pour l'église orthodoxe.
Donc, pour l'artiste, il s'agissait de mages venus de Perse, dont il donnait les noms, sans qu'on sache où il les avait trouvé. Peut être dans l'original grec du manuscrit précédent, sans qu'on sache comment.

Qui a fait des mages, des rois?

Pour les évangelistes, comme pour les "pères de l'église", Jésus était évidemment le messie, annoncé par les prophètes, et ce messie serait roi. D'aucuns en firent même le "roi des rois". De plus, des prophéties annonçaient que des rois viendraient se prosterner devant lui. Dans le livre des psaumes, on lit:
Les rois de Tarsis et des îles paieront tribut
Les rois de Cheba et de Seba offriront des présents
Tous les rois se prosterneront devant lui

(Psaumes, 72, 10-11)
Des mages étant venus se prosterner devant Jésus, une erreur de logique très classique tendaient à faire d'eux, des rois.

Mais qui fut le premier à faire cette assimilation? Si nous en croyons Wikipédia, ce serait Tertullien:
Plusieurs Pères de l'Église, dont en premier Tertullien, puis Ambroise, Cyprien ou encore Théophylacte ont attribué aux mages le titre de « roi », sans apporter de raison convaincante à ces affirmations.
(Wikipédia, au 25/12/2014)

Tertullien, père de l'église assez controversé, écrivait au début du IIIème siècle. Voyons ce qu'il dit:
Maneant enim orientales illi Magi, infantiam Christi recentem auro et thure munerantes, et acceperit infans virtutem Damasci sine praelio et armis. Nam, praeter quod omnibus notum est, Orientis virtutem , id est vires, auro et odoribus pollere solitam , certum est, et ex divinis Scripturis, virtutem quoque caeterum gentium aurum constituere ; sicut per Zachariam dicit: Et Judas pertendet Hierusalem ,et congregabit omnem valentiam populorum per circuitum, aurum et argentum ( Zach. XIV, 14). Nam de hoc auri munere etiam David dixit: Et dabitur illi de auro Arabiae: ( Psal. LXXI. 15). El iterum : Reges Arabum et Saba munera afferent illi (Ibid. 70) . Nam et Magos reges fere habuit Oriens , et Damascus Arabiae retro deputabatur, antequam transcripta esset in Syrophoenicem ex distinctione Syriarum, cujus tunc virtutem Christus accepit, accipiendo insignia ejus, aurum scilicet et odores
En effet, laissez-nous ces Mages de l'Orient, déposant aux pieds de l'enfant-Dieu l'hommage de l'or et de l'encens; et le Christ à son berceau, sans armes, sans combats, aura enlevé les dépouilles de Samarie! Outre que la richesse principale de l'Orient réside dans son or et ses parfums, comme personne ne l'ignore, il est certain que l'or constitue aussi la force des autres nations. Témoin ce passage de Zacharie : « Juda s'unira à Jérusalem pour les vaincre, et il amassera les richesses des nations, l'or, l'argent et les étoffes précieuses en grand nombre. » David entrevoyait déjà l'honneur rendu à son Dieu, quand il disait : « L'or de l'Arabie lui sera donné; » et ailleurs : « Les rois d'Arabie et de Saba mettront à ses pieds leurs offrandes. » L'Orient, en effet, fut presque toujours gouverné par des Mages, et Damas était autrefois comptée comme une dépendance de la Syrie, avant que la distinction des deux Syries l'incorporât à la Syrophénicie. Le Christ, en recevant l'hommage de son or et de ses parfums, conquit donc spirituellement sa puissance.
[Traduction E.-A. de Genoude]
(Tertullien, adversus Judeos, ch IX)
Note: L'ensemble de la démonstration de Tertullien est assez capillotracté. Le passage le plus important ici est:
Nam et magos reges habuit fere Oriens, qui se traduit: En effet, l'Orient eut presque des rois mages
Mais que fait il comprendre? Que les rois de l'Orient furent presque toujours mages? Que les rois de l'Orient furent presque mages? ou les mages presque rois? En tous cas ce passage n'affirme pas clairement que les mages qui vinrent apporter leurs offrandes à Jésus étaient presque rois.


Pas de rois mages chez Tertullien donc, et nous n'en trouverions pas d'avantage chez Cyprien de Carthage, bien que tous les bons auteurs s'accordent à en mentionner un sermon sur le baptème du Christ, où il en parlerait. Mais ce sermon n'existe pas, il s'agit en réalité d'un sermon d'Agustin d'Hippone. Encore une légende savante.
Cette légende savante est d'ailleurs déja dénoncée en 1715 par Dom Augustin Calmet:

Dom Calmet
  On dit communément que les Mages étoient Rois dans leurs pays, (d) & qu'ils étoient au nombre de trois. (e) Mais les Anciens n'en ont pas parlé d'une manière si positive. Il est vrai qu'on cite Tertullien, (f) comme s'il les avoit reconnu pour Rois; mais cet auteur après avoir cité ces paroles du Pseaume: (g) Les Rois d'Arabie, & de Saba lui offriront des présens, ajoûte simplement, car l'Orient a d'ordinaire des mages pour Rois: Nam & Mages Regos dere habet Oriens. Je n'examine point ce qu'il dit, que les Rois d'Orient éoient Mages pour la plûpart. Ce sentiment est assurément très contestable, & très douteux, pour ne rien dire de plus. Et si la royauté des Mages n'est fondée que sur cela, on peut sans détour la nier absolument.
  Saint Hilaire,(h) que l'on cite en faveur de cette opinion, est encore plus obscur que Tertullien. En parlant de la venuë des Mages, il dit que le travail de l'Egypte a été comme consacré par le travail de ses princes: In Principum labore totius Aegypti labor demonstratus est. Il fait allusion à un passage d'Isaïe, (i) où il est dit, que l'Egypte et l'Ethiopie ont travaillé pour le Seigneur. On allègue encore pour ce sentiment

(d) D. Thom. Strabus seu Gloss. ordinar. Albert. Magn. Lyran. Carthus in Matth. Incognitus in Psalm. Mald. alii plerique.
(e) Les Ser. 1.4.5.6.7.8. De Ephiphan. serm. 133. & 136. Append. t. 5. S. August. Beda , Rupert.
(f) Tertull. contra Judaeos & l.3. contra Marcion
(g) Psal. LXXI.10.
(h) Hilar. l.4. de Trinit. n.38.
(i) Isai. XLV. 14.


saint-Chrysostome, Homélie 6. sur saint Matthieu, l'Auteur de l'Ouvrage imparfait, saint Basile, Homélie sur la Naissance du Sauveur, l'Auteur du commentaire sur les Pseaumes, sous le nom de saint Jérome. (a) Mais on ne trouve rien dans tous ces écrivains de favorable à l'opinion qi'on leur attribuë.
  L'auteur du Sermon sur le Baptème, cité sous le nom de saint Cyprien, (b) donne expressément aux mages le nom de Rois. Mais cet Ouvrage est d'un ami de saint Bernard, nommé Arnaud abbé de Bonnevalle. Celui qui a composé les sermons Ad Fratres in Eremo, (c) sous le nom de saint Augustin , leur fait le même honneur; mais tout le monde sait que cet Ecrivain est fort récent, & ne passe pas le treizième, ou peut-être le quatorzième siècle. Le sermon douzième, publié autrefois sous le nom de saint Ambroise, (d) leur donne expressément le nom de trois rois. Mais ce sermon est de saint Cézaire d'Arles, qui vivoit au sixième siècle; & encore le nom de Rois y est fort douteux, & paroit ajouté après coup. Paschase Radbert (e) qui fleurissoit au neuvième siècle, dans l'abbaye de Corbie, est tout-à-fait exprès pour la royauté des mages. Magos reges extitisse nemo qui historias legit gentilium, ignorat. Théophylacte (f) parmi les grecs reconnoit les mages pour Rois. Mais Nicéphore (g) plus ancien que lui, se contente de dire qu'ils étoient illustres, & par leur science, & par leur puissance. Voila ce que nous trouvons de plus fort pour cette opinion parmi les anciens, & les modernes.
  Si l'Eglise s'intéressoit beaucoup à soutenir la qualité de Rois dans les saints Mages, nous ferions quelques efforts, pour la leur assurer.

(a) in Psalm. LXXI.
(b) Cyprian. seu Arnald. Abb. Bonavall. serm. a. de septem cardinal. operib. Non satis est quod Angeli locuti sunt, quod apparuit stella Regibus.
(c) serm. 43. ad fratres in eremo.
(d) Cazar. serm. 139. in app. tom. 5. Sancti August. inter Cazarian. 43.
(e) Paschas. Radb. in Matth. II.
(f) Theophylact. in Matth. II.
(g) Nicephor.l.1.c.13. Hist.Eccles.


Mais voila, Arnaud, abbé de Bonneval, dans son De Stella et Magis et Innocentium Morte ne parle pas non plus de rois:
Erant in illis regionibus viri siderum inspectionibus assueti, qui arte mathematica vim discursumque noverant planetarum, quia ex elementorum natura rationem temporum metientes, astrorum ministeria certis experimentis propriis didicerant effectibus assignata.
Il y avait dans ces contrées des hommes habitués à l'observation des astres, qui par l'art astrologique avaient reconnu la nature et le cours des planètes, parce que mesurant le rapport des temps par le caractère de ses origines, ils avaient étudié de leur sure propre expérience la fonction assignée des astres par leurs effets.
C'est ce qu'Arnaud nous donne de plus précis sur les mages, dont il fait de savants astrologues, donc probablement des Chaldéens.
C'est dans le livre suivant, De Baptismo Christi et Manifestatione Trinitatis, qu'il fait allusion à des rois:
Non satis est quod Angeli locuti sunt pastoribus, quod apparuit stella Regibus, quod nativitati, & personae, & loco consona Prophetarum oracula, perfidae gentis indicio, Christo perhibentiam testimonium, in unam convenere sententiam:
Il n'est pas suffisant que les anges ont parlé aux bergers, que l'étoile apparut aux rois,... (nous ne traduisons que ce qui est utile)
(Arnaud de Chartres, abbé de Bonneval, Liber de cardinalibus operibus Christi)
Arnaud, abbé de Bonneval, écrivait au XIIème siècle, et cette fois, il s'agit bien de rois, mais il subsiste une ambiguïté: Il n'est pas dit que ce sont ces rois qui firent le voyage à Bethléem, et l'on pourrait penser que les mages montrèrent l'étoile à leurs rois, avant de partir pour la Judée.
Saint Cézaire d'Arles, ou Paschase Radbert peuvent bien croire que des mages avaient été rois, ce que nous cherchons, c'est un auteur qui affirme que les mages venus à Bethléem étaient rois. Le pseudo Augustin, auteur des sermons "ad fratres in eremo", fait bien un sermon sur la naissance du Christ, mais il n'y parle nullement des rois mages, quant au sermon 43, cité par Dom Calmet, il s'intitule "De vita et moribus clericorum". Pas question de rois mages dans le sermon 43, ni dans le 44, ni dans le 45. Il semble que Dom Calmet ait été abusé par une source indirecte.
Pourtant Dom Calmet explique que son temps, la royauté des mages venus à Bethléem avait déja été affirmé, mais la référence qu'il en donne est quasi incompréhensible.

Finalement, avec l'aide de Dieu Google, nous avons tout de même réussi à trouver un texte du XIIème siècle, pour parler des rois mages sous la plume de Pierre Abélard.
Nonnulli hos magos reges arbitrantur fuisse, juxta illam prophetiam Psalmistae: Reges Arabum et Saba dona adducent (Psal. LXXI, 10) .
On pense que quelques uns de ces mages furent des rois, selon cette prophétie du psalmiste: Les rois d'Arabie et de Saba amèneront des présents.
(Petrus Abaelardus, SERMO IV. IN EPIPHANIA DOMINI.)
Ces mages, dans le texte d'Abélard, ce sont ceux qui sont venus à Bethléem. Notons qu'Abélard est prudent: Il ne dit pas que tous les mages venus à Bethléem étaient rois. Quelques uns (nonnulli) seulement.


Qui a inventé un mage africain?


livre d'heures, fin du XIVème s.
Dom Calmet nous l'explique:
  Bède & l'abbé Rupert (d) semblent croire qu'ils étoient venus des trois parties du monde, de l'Asie de l'Afrique et de l'Europe. Du moins ils disent qu'ils désignoient les trois parties de la terre: & c'est ce que nos Peintres ont voulu signifier en dépeignant un Ethiopien, un Perse & un Grec, ou un Romain.
L'abbé Rupert est l'auteur de: Exposition et interpretation mystique de tous les offices diuins & ceremonies de l'Eglise catholique, ouvrage en moyen français du XIVème ou XVème siècle, imprimé pour la première fois par Claude Frémy, en 1572.
Selon l'abbé Rupert, il était logique que les mages soient venus de toutes les parties du monde connues au moyen age, pour rendre hommage au sauveur. Ici, la foi naïve l'emporte sur l'examen du texte, puisque Matthieu dit bien: "venus du levant".
Mais sur l'image de droite, on voit bien qu'au XIVème siècle, la mythologie de l'Epiphanie était achevée: tout est là: l'étable, le boeuf, l'ane, l'étoile, les trois rois mages, un vieux, un jeune, un noir, et leur suite.

Conclusion

Et voila. Nous savons maintenant que la mythologie des rois mages a démarré au IIème siècle, avec Justin le martyr, et qu'elle était achevée au XIVème siècle.
Cela fait donc plus de six siècles que nous représentons la visite des trois rois mages, dont un noir, dans une grotte servant d'étable, alors que Matthieu parlait vaguement de mages et d'une maison.

Dernière mise à jour: 08/01/2015

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