Les dirigeables fantômes

Récemment encore, L'expression "dirigeable fantôme" ne disait plus rien à personne, même pas aux ufologues, qui pourtant connaissent une vague de ces engins fantômes, mais qu'ils appellent "airship", traduction anglo-saxonne de "dirigeable". Un bel exemple de dirigeables fantômes nous est justement fourni par les "airships" de 1896/1897, dont on ne voyait guère que le phare, et dont la période de visibilité coincidait étrangement avec celle de la planète Vénus. Ces dirigeables fantômes sont apparus, quand on a cru à la présence effective de dirigeables dans le ciel américain, car jusque là, les dirigeables n'existaient guère que dans des ouvrages de fiction, ou dans des projets, jamais réalisés, ou qui s'étaient révélés vains.

Les rêveries d'un inventeur solitaire.

A peine avait on inventé le ballon que le besoin se faisait impérieusement sentir de le diriger, pour atterrir ou les aéronautes voulaient et non où le vent les poussaient. Et les tentatives ne manquèrent pas.

Dès 1784, Blanchard, qui avait déja taté de la machine volante à ailes battantes, munit un ballon d'ailes battantes pour tenter de le diriger. Comme on peut s'en douter, l'expérience échoua.
Dans une seconde tentative, en Angleterre, il munit son ballon d'une hélice, mais l'expérience n'eut pas plus de succès: la force tractrice de l'hélice, mue à bras d'homme était bien trop faible.

On ne compte plus les naïfs projets de direction à l'aides de voiles. Bon nombre d'entre eux s'entassérent pour un oubli bien mérité dans les archives de l'académie des sciences. On essaya en particulier d'installer un gouvernail sur la nacelle, sans réfléchir que voiles et gouvernails ne pouvaient servir à rien dans un air immobile par rapport au ballon.
On essaya de faire avancer le ballon au moyen de pales, ou d'ailes inclinées déviant l'air pendant que le ballon montait ou descendait, sans guère plus de succès.
En fait, on imagina tellement de choses, que nous n'en aurons probablement jamais un inventaire complet, car nous n'en connaissons que ce qui a été dûment publié. La plupart de ces projets avaient en commun que l'auteur n'avait rien compris au problème et appliquait à des ballons des idées tirées de l'observation des bateaux ou des moulins à vent, alors qu'il fallait plutôt s'inspirer des poissons qui, eux, sont entièrement immergés dans le fluide qui les porte. Ainsi, quand on allongea le ballon, pour lui donner l'allure d'un poisson, ce fut un premier pas dans la bonne direction.
La plupart des auteurs de ces projets chimériques n'avaient pas les moyens de les réaliser. Quelques uns, cependant, engloutirent une fortune dans la réalisation d'un engin, qui fut incapable de tenir ses promesses, l'inventeur n'ayant tout simplement pas calculé la force propulsive ou ascensionnelle.

Un cas d'école est l'échec de l'Eagle, de M. de Lennox. Le comte de Lennox, né en 1795, participa à la révolution de 1830, après une belle carrière militaire dans l'armée française, puis donna sa démission. Ne supportant pas l'inaction, il s'adonna aux sciences et à la navigation aérienne, mais sans avoir la formation pour cela. En 1834 il construisit l'Eagle (l'aigle), dont le nom était tout un programme. Ce mini paquebot des airs devait riens moins que relier les principales capitales européennes.


L'Eagle: incapable de décoller, il n'aurait de toutes façons pas pu se diriger avec ses nageoires aériennes.

La Revue des deux mondes nous apprend ce qu'il en advint:

Ces divers projets n’ont pas été mis à exécution ; mais, par la triste déconvenue qu’éprouva, le 17 août 1834, M. de Lennox avec son fameux navire aérien l’Aigle, on peut juger du sort qui attendait ces rêveries, si on eût voulu les transporter dans la pratique. La superbe machine de M. de Lennox avait, selon le programme officiel, cinquante mètres de longueur sur quinze de hauteur. L’aérostat portait une nacelle de vingt mètres de long qui devait enlever dix-sept personnes ; il était muni d’un gouvernail, de rames tournantes, etc. « Le ballon est construit, disait le programme, au moyen d’une toile préparée de manière à contenir le gaz pendant près de quinze jours. » Hélas ! on eut toutes les peines du monde à faire parvenir jusqu’au Champ-de-Mars la malheureuse machine, qui pouvait à peine se soutenir. Elle ne put s’élever en l’air, et la multitude la mit en pièces.

( Revue des Deux Mondes, 1850, tome 8, p 241).

La grande rêverie d'Ernest Pétin.

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Le navire aérien d'Ernest Petin, imaginé en 1848, mais construit en 1851, est peut-être l'archétype de la machine volante utopique: Grand comme une cathédrale, patronné par le président de la république, vanté en termes dithyrambiques par Théophile Gautier, mis en musique, il devait voler à rien moins que 800 km/h et ridiculiser les chemins de fer.
Malheureusement, son auteur en était resté à la physique de l'école primaire, et ne connaissait rien à celle de l'atmosphère. Sans véritable motorisation, son engin eut été incapable de se diriger. Pire, il était trop lourd pour ce que son volume de gaz pouvait soulever, ce qui fut probablement la cause que son inventeur ne fut pas autorisé à faire son expérience devant le public, pour éviter la même émeute qui fut fatale à l'appareil de M. de Lennox. Jamais son appareil ne put décoller.

Les rêveries se dissipent lors du siège de Paris.

Tout cela n'était que des rêveries d'inventeurs solitaires, comme l'explique Louis Figuier dans ses Merveilles de la Science:

Les habitants de Paris, étroitement bloqués par les Prussiens, dans leur enceinte de pierre, et privés de tout moyen de sortie par les routes de terre ou de rivière, n’eurent, pendant de longs mois, d’autre moyen de communiquer avec le reste de la France que la voie de l’air et l’expédition de ballons montés. Mais il aurait fallu pouvoir diriger à son gré les globes aérostatiques, pour les lancer hors de la ville assiégée, et les faire revenir ensuite, par la même voie, à leur point de départ.

On se flatta, pendant les premières semaines du siège, que le ballon dirigeable allait surgir, et donner le moyen d’arracher la garnison et les habitants de la capitale à leur désastreux isolement.

Quand on se rappelait que depuis la fin du dernier siècle, mille cerveaux s’étaient mis en ébullition à la poursuite de cette idée ; quand on savait que nos corps académiques sont perpétuellement assaillis de communications relatives à ce problème ; quand on avait vu les inventeurs fatiguer l’Académie des sciences et les journaux scientifiques de l’annonce de leurs découvertes dans l’art de la navigation aérienne dirigeable ; quand on se rappelait les tranchantes assertions des partisans du plus lourd que l’air, on pouvait s’attendre à voir tant de promesses flatteuses et d’annonces affirmatives aboutir au résultat si désiré.

Hélas ! quelle déception ! quelle amère et triste dérision ! De tous ces hommes qui, depuis si longtemps, fatiguaient le public, l’Académie et les Sociétés savantes de leurs élucubrations, aucun ne put produire le plus faible échantillon de son savoir, ni de son pouvoir. Pendant les premiers mois du siège de Paris, l’Académie des sciences, ainsi que les comités scientifiques établis dans les divers arrondissement de Paris, par le gouvernement de la Défense nationale, furent, il est vrai, assaillis de toutes sortes de projets de navigation aérienne, avec direction. Mais aucun de ces projets ne contenait une idée sérieuse. Les auteurs tiraient leurs vieux mémoires des cartons où ils dormaient depuis longtemps d’un sommeil mérité, et ils les adressaient à l’Académie des sciences, avec force calculs à l’appui. Aucun de ces inventeurs n’invoquait la plus petite expérience, le plus simple résultat pratique. Pour expliquer cette absence totale d’essais pratiques, on alléguait les frais considérables de ces sortes d’expériences : ce qui est vrai. Cependant ce motif était si universellement invoqué, qu’on ne pouvait s’empêcher d’y voir un prétexte à éviter l’expérimentation, ce juge suprême de toute affirmation d’un inventeur. Tous les auteurs des projets concluaient, d’ailleurs, à la demande, adressée au gouvernement ou à l’Académie, d’une forte somme d’argent, pour procéder à la construction de leurs appareils.

L’Académie des sciences avait nommé une commission, pour examiner les projets relatifs à la direction des aérostats ; mais quand elle se fut bien convaincue de la parfaite inanité de tous les plans qui lui avaient été soumis, elle se refusa à présenter aucun rapport, parce qu’elle n’aurait eu à formuler sur cette question que des conclusions négatives.

La même chose arriva aux comités scientifiques. Ces comités ne pouvaient accorder les sommes d’argent qu’on leur demandait pour procéder à des expériences, et d’ailleurs, le temps n’aurait pas permis d’entreprendre un essai sérieux.

Il fallut donc renoncer à l’espoir de faire partir de Paris des ballons dirigeables, la seule chance de salut qui restât aux assiégés.

( Les Merveilles de la Science, Furne, Jouvet, 1891, Tome 1 des Suppléments, pp. 619-732).

Ainsi, depuis 87 ans, les inventeurs et le public révaient du vol dirigé, sans que les rêveries des premiers satisfassent le second.

vers le dirigeable opérationnel.

Giffard
le dirigeable de Giffard
En 1870, donc, l'académie ne savait à qui se vouer pour avoir un dirigeable opérationnel. Pourtant, dès 1852 Henri Giffard avait déjà réussi à faire voler un ballon digigeable, mu à la vapeur. La solution était dans cette direction: Un ballon effilé, pour donner moins de prise à l'air dans le sens du mouvement, une hélice mue par un moteur, et un gouvernail, qui servait enfin à quelque chose, dans un air en mouvement par rapport au ballon.
Décollant de l'hippodrome, le 24 septembre 1852, avec son engin fusiforme de 44 m de long, mu par une machine de 3CV, Giffard atterrit à la nuit tombante à Elancourt, près de Trappes.
On peut s'étonner de ce que les autorités ne s'y soient pas intéressé, elles durent le regretter amèrement en 1870.
Cependant lors du siège de Paris, l'académie se voua tout de même à Dupuy de Lome (il faut dire qu'il en faisait partie). Mais il ne put essayer sa machine qu'en 1872. Encore était-elle mue à bras d'hommes!

Tissandier
le dirigeable des frères Tissandier
De fait, il fallut attendre 1883 pour voir voler à nouveau un dirigeable valant celui de Giffard.
On a peine à imaginer que la nouvelle génération de moteurs ait pu être celle des moteurs électriques, alors qu'on ne connaissait pas les batteries lithium-ion. Mais après tout, on a aussi complètement oublié que la première voiture à avoir dépassé 100 km/h, fut une voiture électrique, la Jamais contente, du belge Jenatzy.
De fait, c'est bien à un moteur électrique que Gaston et Albert Tissandier firent appel, mais à l'inverse des réveurs qui se contentaient de dresser des plans, et des imprudents qui construisaient immédiatement un engin en vrai grandeur, eux réalisèrent d'abord un modèle réduit, de 3.5 m de long, pourvu d'un moteur de 220 grammes, et d'une force ascensionnelle de 2 kgf. Ils le présentèrent à l'exposition d'électricité de 1881.
Ils construisirent ensuite un engin en vraie grandeur: un ballon fusiforme de 28 m de long, muni d'un moteur de 56 kg, alimenté par 24 éléments de pile au bichromate de potasse. Le 8 octobre 1883, leur engin prit l'air et évolua à une dizaine de km/h au dessus du bois de Boulogne, pour atterrir près de Croissy-sur-Seine.

Paris, 8 août 1884. 0 H. Un aérostat, un vrai, s'envole de la Villette, muni d'un projecteur électrique. Il traverse lentement Paris à 60 mètres d'altitude et vient illuminer les tours de Notre-Dame, avant de disparaitre vers le sud.

La France
le dirigeable de Krebs et Renard
Parallèlement aux travaux des frères Tissandier, les capitaines Renard, de l'arme du génie, et Krebs, de l'infanterie, qui travaillaient à l'école d'aérostation de Chalais Meudon, avaient contruit, en s'inspirant des recherches de Dupuy de Lome, le dirigeable La France, lui aussi fusiforme, mais long de 50.4 m, lui aussi à propulsion électrique, lui aussi à piles.
Beaucoup de calculs et d'expériences, sur la stabilité de l'engin, la puissance du moteur (8.5 ch sur l'arbre) et sur le poids des piles (433 kg), mais le résultat était là. Fini l'époque des réveurs solitaires. Le travail en équipe à produit le dirigeable électrique, et il marche!

Chalais-Meudon, 9 août 1884. 16 H. Partis de Chalais Meudon, les capitaines Krebs et Renard réussissent à manoeuvrer leur ballon dirigeable La France dans un circuit fermé de 7.6 km au dessus de la forêt de Meudon, et à le ramener à son point de départ, au bout de 23 minutes, par une brise de 5m/s.

En deux jours de temps, se sont manifesté les thèmes du projecteur électrique et de la navigation aérienne réussie. Le dirigeable ( airship, en anglais ) est maintenant apte à coloniser l'imaginaire. On va le retrouver deux ans plus tard, avec le projecteur électrique, mais sans le ballon, dans le roman de Jules Verne Robur le Conquérant.

L'airship à l'assaut de l'imaginaire.

Albatros
l'Albatros de Robur le conquérant
La Landelle
l'hélicoptère de De La Landelle
1886. Jules Verne publie "Robur le conquérant". Il y raconte les exploits de l'ingénieur Robur, dont le vaisseau aérien, l'Albatros, ridiculise les performances des ballons à hélice de l'époque. Muni d'un projecteur, il illumine les villes qu'il survole et intrigue fort ses habitants.
En fait, il crée une véritable vague d'observations d'aeronef fantôme, où Jules Verne se plait à décrire, l'étonnement du public, l'intérèt des journalistes, et l'embarras des savants. C'est à dire précisement ce que l'on va observer aux U.S.A. 10 ans plus tard.
Si l'on en juge par les illustrations de Leon Benett, L'Albatros s'inspire de l'hélicoptère à vapeur de Gabriel De La Landelle, où Jules Verne a rajouté des hélices propulsives. Mais pas plus que lui, il ne peut voler: ses hélices sustentatrices sont bien trop faibles.

bouton Reade
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Bien qu'invalide, ce modèle de navire aérien va être utilisé pendant des années par les illustrateurs de romans, et c'est bien normal puisque personne ne peut encore s'inspirer d'un navire aérien qui volerait vraiment.
Le thème du navire aérien est d'ailleurs très ancien, puisque Lucien de Samosate l'employait déja en 180 de notre ère. Après l'avoir muni de voiles, puis de ballons, le modernisme l'a fait se garnir d'hélices, assez symboliques, puisque trop petites en réalité. Et comme les romans d'aventures les plus audacieux font voyager leurs héros par la voie des airs, le navire aérien, tout impotent qu'il soit, va servir à illuster nombre de romans, de nouvelles, et de revues de voyages, de gravures en noir et blanc, propres à faire réver les lecteurs. Dans ce domaine, les américains ne sont pas en reste, puisque les histoires illustrées de la collection Frank Reade Jr. étaient pleines de navires aériens... tous plus incapables de voler les uns que les autres.

La grande frustration des américains.

Tous ces engins sont l'apanage des Européens. En Europe, on fait voler des engins capables de revenir à leur point de départ, et on en projette qui soient capables de se déplacer sur de grandes distances.
On comprend la frustration des américains, qui n'ont encore vu voler chez eux que de simples aérostats, et chez qui les projets s'entassent néanmoins. Mais nous avons vu qu'un tas de révéries d'inventeurs solitaires ne font pas une machine volante.

rowboat
Il y a tout de même des inventeurs qui concrétisèrent leurs rêveries de machines volantes... dans les journaux, plus tard dans les livres, et finalement sur les sites internets.

Par exemple, George N. Shaw, gardien de phare à Point Firmin, prétendit avoir expérimenté un bateau aérien à rames, dans le Central Park de New-York, vers 1860. Seulement, d'après le dessin qu'on en connait, son bateau n'aurait jamais pu naviguer que sur une pièce d'eau, et d'autre part, son histoire ne fut révélée que dans le San Francisco Call, du 20 décembre 1896, en pleine vague d'airships.

Un autre exemple, qui trompe encore les sites internets est celui de Solomon Andrews, qui aurait fait voler le 1 juin 1863, un dirigeable qu'il aurait proposé comme engin de guerre au président Lincoln (on était en pleine guerre de sécession). Selon Wikipédia:

His first "Aereon" flew over Perth Amboy on June 1, 1863. This had three 80-foot cigar-shaped balloons, with a rudder and gondola. Buoyancy was controlled by jettisoning sand ballast or releasing hydrogen lift gas
Son premier "Aereon" a survolé Perth Amboy le 1er Juin, 1863. C'était trois ballons en forme de cigare de 80 pieds, avec un gouvernail et une nacelle. La flottabilité était contrôlée par largage de ballast de sable ou libération de gaz hydrogène.

Aereon
l'Aereon
Comme on peut le voir sur la gravure ci-contre, l'engin n'était absolument pas motorisé. Il devait se déplacer par le vieux procédé de la glissade montante ou descendante dans le courant aérien, à l'aide d'un plan oblique.
Ce procédé, essayé depuis trois quart de siècles, n'avait pourtant jamais donné de résultats convaincants, d'autant qu'il consommait du lest et du gaz. La nouveauté était ici que le plan oblique était formée par le ballon lui même, qui avec ses trois boudins, avait une forme aplatie.
Mais on cherche en vain la trace de cet essai de l'Aereon à Perth Amboy, dans les journaux de 1863.
Par contre, on trouve dans le New-York-Herald, du 8 septembre 1863, un article de propagande, racontant monts et merveilles sur l'essai de l'Aereon, article repris in extenso par d'autres journaux:

After a few short flights, to satisfy himself and a few friends that all was right, and that she would do all he had contemplated, he set her off in a spiral course upward, she going at a rate of not less than one hundred and twenty miles per hour, and describing circles in the air of more than one and a half miles in circumference. She made twenty revolutions before she entered the upper strata of clouds and was lost to view.
Après quelques courts vols, pour s'assurer, lui et quelques amis, que tout allait bien, et qu'elle ( sa machine) ferait tout ce qu'il avait prévu, il l'engagea dans un cours en spirale vers le haut, allant à une vitesse d'au moins cent vingt miles à l'heure, et décrivant dans le ciel des cercles de plus d'un mile et demi de circonférence. Elle fit vingt révolutions avant d'entrer dans la couche supérieure de nuages et fut perdue de vue.

Ainsi, le New-York-Herald prétend qu'en s'élevant vers les nuages, l'engin a parcouru une hélice d'une vingtaine de cercles d'environ 800 m de diamètre, à plus de 190 km/h! Et sans moteur, s'il vous plait!
A moins que l'engin ne fut un théodyne ( c'est à dire qu'il se mouvait par la vertu du Saint Esprit ), on comprend que ces performances sont absurdes, et ce récit totalement inventé. Apparemment l'auteur avait besoin d'arguments pour convaincre le président Lincoln. Donc cette prétendue expérience du 1 juin 1863 n'a manifestement jamais eu lieu.

Avitor
l'avitor présenté en plein air
Pourtant, les américains auraient pu s'inscrire réellement dans la course. Le 2 juillet 1869, à San Francisco, Frederick Marriott réussit à faire voler un ballon dirigeable de son invention: l'Avitor. Il était propulsé par une petite machine à vapeur fonctionnant à l'alcool, mais c'était un modèle réduit, qui ne contenait que 38 m3 de gaz, et les essais eurent lieu dans un hangar. Marriot avait d'ailleurs précédemment travaillé avec John Stringfellow et William Samuel Henson au projet de l'airship "Ariel". Mais bien qu'un dessin d'artiste d'un futur engin aérien ait été publié, l'affaire n'eut pas de suite. L'Avitor brûla dans un essai ultérieur, et Marriott fut ruiné par l'effondrement du cours de l'or lors du "Black Friday". Il mourut en 1884 sans avoir pu concrétiser son projet.

Langley
le futur engin de Langley dessiné par son auteur
Début 1896, les américains n'ont toujours entendu parler d'aucune vraie démonstration de navigation aérienne sur leur territoire. Pourtant des inventeurs sérieux, dont un savant, même, y travaillent.
Le 6 mai 1896, le professeur William P. Langley réussit à faire voler eu dessus du Potomac un petit engin motorisé plus lourd que l'air, l'aerodrome.
Parallèlement, Octave Chanute réussit à faire voler correctement des planeurs inspirés de ceux de Lilenthal. Pour Chanute les principaux problèmes à résoudre ne sont plus la sustentation et la propulsion, mais la stabilité et la direction.

Mais, bien que Langley ait publié un dessin convaincant d'un de ses futurs engins, l'aerodrome testé par Langley n'avait pas de pilote, et le planeur de Chanute, avec son passager, ne faisait que des glissades depuis le haut d'une pente. Ce n'était toujours pas de la vraie navigation aérienne. Les américains sont frustrés.

Galerie du rêve aéronautique américain.

bouton projets
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Ainsi, les américains ont vu s'accumuler les projets, les échecs, les rêveries et les prétendues réussites.
Pour les projets, les inventeurs (et les réveurs) ne chomaient pas puiqu'en novembre 1896, on comptait pas moins de 136 brevets en rapport avec la navigation aérienne. Oui, vous avez bien lu: 136, mais il est vrai que les brevets américains étaient en minorité.
Les échecs avaient beaucoup moins de retentissement que les prétendues réussites. Nous avons vu l'imposture de Solomon Andrews. Il y en eut d'autres. En 1878 la couverture du Harper's Weekly s'ornait d'une prétendue photo de la machine volante de Ritchel, en plein vol, son inventeur aux commandes. En réalité l'essai avait été réalisé en salle, avec un garçon de 48 kg, et ce n'était qu'un dessin.
En 1891, Pennington prétendit construire un dirigeable en aluminium capable de voler à 400 km/h. En réalité, on ne vit jamais qu'un modèle réduit se trainant à 10 km/h.

La vague d'Airships de novembre 1896.

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En cette année 1896, les américains sont impatients de voir des dirigeables enfin américains, et frustrés de n'avoir vu que que des tentatives, partiellement réussies de faire voler des engins plus lourds que l'air. Quand un américain va-t-il enfin s'envoler?
L'espoir augmente d'un cran à l'automne 1896: Charles A. Smith vient de faire breveter un dirigeable en aluminium. L'engin doit être bientôt construit, l'inventeur donne des plans, il est sûr qu'il va marcher.
Et voila qu'à Sacramento, en Californie, un premier airship, muni d'un projecteur, va être observé le 17 novembre. Alléluia! L'airship est là!
C'est le début d'une vague d'observations qui se prolongera sous une autre forme jusque début mai 1897. Curieusement, la période de visibilité de cet engin muni d'un projecteur est aussi celle de la la planète Vénus.

Cherbourg, avril 1905.

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Un objet lumineux apparaît régulièrement dans le ciel, intrigue la foule et défie la sagacité des experts. Ballon captif anglais? Expérience de navigation aérienne? Comète? Étoile nouvelle? Météore électrique? La lune peut-être? Les pouvoirs publics s'inquiétèrent.
Le dossier complet de l'affaire révèle d'ailleurs une ahurissante incompétence des autorités et des astronomes. C'est surtout Camille Flammarion qui comprit qu'il s'agissait de la planète Vénus.
On remarque qu'ici l'aéronef n'est qu'une des hypothèses, parmi de nombreuses autres, mais comme en France la navigation aérienne était une réalité depuis plus de vingt ans, les Cherbourgeois n'en étaient pas comme les Californiens à l'attendre comme le messie.

Barcelonette, 29 décembre 1907.

" Le 29 décembre dernier, vers 9 heures du soir, un habitant de la ville, par ignorance ou par malice, apporta une nouvelle à sensation. Il venait d'apercevoir, disait-il, un « dirigeable » passer au-dessus de sa tête et descendre jusqu'à 300 mètres; il avait même entendu le bruit de l'hélice ! Et l'orateur montrait victorieusement à son auditoire la planète Jupiter qui, tantôt brillant d'un vif éclat, tantôt diffusée par de légers nuages ou disparaissant derrière eux, donnait, l'impression d'un phare électrique noyé dans la brume.
  Ce sont les nouvelles les plus absurdes qui ont le plus de succès. Celle-ci fut vite répandue. Des personnes, sachant que je possède une lunette, vinrent me réveiller au milieu de la nuit, pour voir le « dirigeable »...
  Le lendemain, le fameux ballon faisait le sujet de toutes les conversations. Les gens s'abordaient en disant: « Avez-vous vu le ballon? » Le ballon, le ballon! Tout le monde voulait avoir vu le ballon. Des personnes, et des plus notables de la ville, passèrent la moitié de la nuit à surveiller la planète. Les unes se servirent de jumelles et aperçurent (ceci était inévitable) des projections en couleur. Les autres, ignorant même le mouvement diurne apparent des astres, prirent des points de repère pour distinguer le sens de sa marche. D'autres, enfin, douées d'une ouïe très fine et d'une imagination encore plus vive entendirent... la sirène du ballon !"
( Bulletin de la Société Astronomique de France, volume 22, mai 1908, p 240).

Remarquons que certains ont cru entendre la sirène du dirigeable, c'est à dire de Jupiter, comme d'autres ont entendu les conversations des occupants de l'airship, c'est à dire de Vénus

A partir de cette époque, la volonté d'hégémonie des principaux pays occidentaux dans le domaine de la navigation aérienne, et de ses implications militaires va faire voir des airships en divers points du globe. En 1908, on en signale aux Etats Unis, et au Danemark. En 1909 on croit en voir en Angleterre, en Suéde, en Nouvelle Zélande et en Australie.

Pays de Galles et sud de l'Angleterre, de mars à mai 1909..

La navigation aérienne est devenue une réalité, et l'Allemagne semble avoir de l'avance dans la construction des dirigeables rigides. Un mystérieux engin en forme de fuseau sombre, généralement pourvu de lumières ou d'un projecteur, opère d'inquiétantes évolutions nocturnes. Il disparaît souvent vers l'ouest. Parfois il laisse des traces.
Pouvait il venir de Grande Bretagne? Ici encore, on envisagea la piste d'un inventeur local. On se rappela que M. Paul Brodtman, de la Continental Tyre Company, travaillait sur un modèle réduit d'airship pour faire de la publicité aérienne, mai celui-ci dénia tout rapport avec les récentes observations d'Airship.
Ne venait-il pas d'Allemagne? Le 13 mai, à Ham Common, à 10 km de la "city" de Londres, à 23H10, deux témoins prétendirent avoir vu un airship de 250 pieds de long, et deux occupants: l'un ressemblait à un américain bien rasé, et l'autre à un allemand fumant une pipe calebasse.
Seulement cette histoire sent la canular à plein nez. Comment nos témoins auraient ils pu remarquer de tels détails, en pleine nuit, à la distance où ils étaient supposés être pour apprécier la taille de l'engin? Il semble que plusieurs cas de cette vague britannique s'espliquerait par des canulars de ce type.
Une autre explication apparut quand on apprit que M. Percival Spencer, un aéronaute connu, avait vendu plusieurs modèles réduits d'Airship pourvus d'une lampe pour entretenir la chaleur (un ancètre de nos lanternes thaïlandaises).
Quant à l'explication astronomique, on ne peut incriminer Vénus, qui n'était pas visible, mais Jupiter l'était.
Cette vague britannique montre quelques différences avec la vague américaine, dont Vénus était le principal responsable, et avec la vague neo-zélandaise qui va suivre, avec Vénus, mais peu ou pas de canulars.

Nouvelle-Zélande, été 1909.

La vague d'observations d'Airship en Nouvelle Zélande commence en juillet 1909. Aucun dirigeable n'y avait encore effectivement volé, mais, comme en Californie, les journaux avaient abondamment parlé du problème de la navigation aérienne, en mentionnant les récents succès des européens. Ainsi les journaux avaient rapporté la tentative de Wellman d'atteindre le pôle dans un airship, les essais du comte Zeppelin, la possibilité d'utiliser les airships comme armes de guerre, etc...
Et comme en Californie, ils avaient mentionné les projets des inventeurs locaux. En 1907, un tailleur de Dunedin, M. Warsaw, construisait un airship, "d'un principe entièrement nouveau", mais qui, en réalité avait cinquante ans de retard et rappelait l'airship de Pétin, le bonnetier. On devine que l'airship du tailleur ne dut pas voler mieux, s'il fut construit, que celui du bonnetier, mais l'important est que les journaux en ait parlé.
Comme les Californiens, les néo-zélandais attendaient l'airship, et comme les californiens, ils le virent enfin, à la faveur de la nouvelle période de visibilité de la planète Vénus.
Quand les premiers néo-zélandais, tout au sud, commencèrent de voir l'airship, l'impatience de ceux qui étaient plus au nord fut à son comble:

It has come at last. We have been expecting the dread news for weeks, and though we have chafed at the delay we consoled ourselves with the knowledge that is was bound to come. And lo, it is here
Il est enfin venu. Nous en avons attendu les nouvelles avec appréhension pendant des semaines, et bien que nous ayons été irrité par le retard, nous nous consolions en sachant qu'il était obligé de venir. Et voila, il est ici
( Thames Star, 31 juillet 1909, p 2).

N'est ce pas ainsi qu'on attendrait le messie? Cet espoir comblé ne mérite-t-il pas qu'on laisse son esprit critique au vestiaire?
Car, comme pour l'airship américain, l'engin est toujours muni d'un projecteur, comme il convient à la planète Vénus, et quand la direction est indiquée, c'est celle de la planète Vénus.
Il y a eu des cas, où, comme en Californie, les témoins auraient entendu parler les passagers de l'airship, mais nous avons vu qu'à Barcelonnette, on avait entendu la sirène de Jupiter.
Il y a même eu, comme en Californie, un audacieux citoyen pour supposer que nous étions visités par les habitants de la planète Mars. Précisons que c'était l'époque de l'opposition périhélique de Mars, avec tous les commentaires qui allaient avec, depuis qu'on avait cru voir des canaux sur Mars.
La différence avec la vague américaine, c'est qu'on ne signale pas d'atterrissage, où les témoins aient pu dialoguer avec les occupants. Mais aux USA, ce type de cas n'a eu lieu qu'au printemps 1897, dans une sorte de résurgence de la vague de 1896, quatre mois après le début de la première vague. Or la vague néo-zélandaise n'a duré que quelques semaines.
Conclusion: La vague néo-zélandaise d'airship de 1909, ressemble fort à un remake" de celle qui commença en 1896, en Californie.

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Dernière mise à jour: 28/02/2018