1784 A. G. Rozier: les sorciers avaient des montgolfières.


Dissertation sur les aérostates des anciens et des modernes

  Disons donc que le secret des magiciens pour voler dans les airs, se bornoient à rassembler assez de vapeurs ou fumées pour qu'ils fussent soulevés par elles, à l'aide d'un ballon en forme de tonneau; & que la science de nos physiciens ne surpasse celle des sorciers que par la connoissance qu'ils ont des causes qui produisent le développement du gaz & ensuite leur ascension.
...

  Sur la fin du règne de Charlemagne, des personnes d'un certain rang, qui habitoient près le Mont-Pila, eurent connaissance des moyens dont les prétendus sorciers se servoient pour voyager dans l'espace. Elles résolurent d'en faire une expérience; & ne voulant pas s'exposer elle-mêmes, aux hazards d'une pareille navigation, par différentes promesses, elles engagerent des gens pauvres à monter dans un aérostat qu'elles avoient construit. Ceux ci partent, le vent les pousse sur la ville de Lyon; la nuée qui les portoit se condense alors, et ils tombent sur la place du change. Le peuple qui croyoit fortement aux sorciers, croit qu'ils sont du nombre de ceux qui lançoient du haut des nues des pierres & des flammes : on s'attroupe autour d'eux. Quelqu'un crie que ce sont des magiciens que Grimoald, duc de Bénévent, alors ennemi de la France, envoie pour dévaster le pays, & qu'il faut en tirer vengeance.

  On les arrète, on les conduit dans une prison, & on demande avec tumulte que procès leur soit fait. Les juges non moins crédules & ignorants, les condamnent à périr par les flammes. Ils alloient subir le supplice, lorsque l'évêque Agobard, homme juste, fait suspendre l'exécution, & dit qu'il veut les interroger. On les conduit dans son palais, & il leur demande s'il est vrai qu'ils soient venus par l'air, & s'ils sont coupables de ceux dont on les accuse. Ils répondent, qu'ils sont du pays même (a), que des personnes de considération les ont forcé de se laisser conduire, leur promettant qu'ils verroient des choses merveilleuses; & qu'ils sont véritablement descendus par l'air.

  Agobard ne put se convaincre de ce dernier fait: mais persuadé de leur innocence, il les fit évader. A cette occasion il fit un ouvrage sur les superstitions du temps, dans lequel il prétend démontrer qu'il est impossible de s'élever dans les airs; que c'est une erreur de croire au pouvoir magique qui n'a d'existence que par la crédulité du peuple.

  Nous croyons, comme lui, qu'il n'a pas été donné à l'homme de renverser l'ordre des choses naturelles : car si cela étoit, la créature seroit plus forte que le créateur, tout seroit bientôt troublé.
... Les prétendus magiciens que nous avons prouvé s'ètre élevé dans les airs, n'ont donc pu le faire que par des moyens naturels; & ces moyens ne peuvent être que ceux que présente l'air & le feu, qui se trouve dans la facilité qu'à l'air d'être raréfié par le feu.

  Agobard au lieu de prononcer que tout ce qu'on prétoit aux sorciers étoient faux, auroit du se contenter de dire que tout ce qu'on attribuoit au pouvoir de la magie n'étoit que mensonge. Son erreur n'eut pour cause, que son peu de connoissance des effets physiques: mais il eut cela de commun avec son siècle, & ses vertus peuvent le lui faire pardonner.

(a) Voyez les Histoires de la ville de Lyon par les Jès. Le Ménestrier & de Colonia


SOURCE: A. G. Rozier, Dissertation sur les aérostats des anciens et des modernes, 1784, p. 72 à 78

Remarques:

De toute évidence l'auteur s'est inspiré du texte de Delandine, paru dans le Journal de Lyon, la première quinzaine de janvier de cette même année, et recopie ses inventions. Il n'y a pas une phrase de vraie dans l'histoire qu'il raconte. Même la source est fausse, puisque le père Ménestrier, s'il parle abondamment d'Agobard, ne parle pas de cet incident.

Mais on voit aussi qu'il ajoute des inventions de son cru. Persuadé que ce vol a bien eu lieu, alors qu'Agobard - seule vraie source - expliquait le contraire, et ne connaissant encore que la Montgolfière pour permettre un tel vol, il en déduit que c'est bien une machine de la famille des montgolfières qui a atterri sur la place du change.
D'où il déduit que les sorciers de l'époque d'Agobard connaissaient le principe de la montgolfière. S'il vivait à notre époque, il en déduirait que ces mêmes sorciers connaissaient les engins à décollage vertical, comme certains l'ont fait pour la roue d'Ezéchiel.

Mais à l'examen, même en ignorant l'épisode réel rapporté par Agobard, cette thèse ne tient pas debout, car il faudrait admettre:
- Que du temps de Charlemagne, où les esprits les plus savants retrouvaient laborieusement, par la seule scholastique, une partie du savoir de l'antiquité, on pratiquait déjà la science expérimentale près du Mont Pilat.
- Qu'on aurait été capable de concevoir et de fabriquer des machines volantes valant celles que les frères Montgolfier créèrent en se basant sur la science et l'art du XVIIIe siècle.
- Que ce prétendu ballon, parti du Mont Pilat, à 47 km de Lyon serait tombé pile au milieu de l'étroite place du change, alors que les aérostats du XVIIIe siècle partaient d'une place, mais, étant le jouet des vents, descendait au hasard dans la campagne
- Que l'instruit Agobard n'aurait pas cherché à se faire expliquer cette machine.

D'autre part l'exploit ne fut jamais réédité, alors que celui des frères Montgolfier fut aussitôt réédité par le physicien Charles, et que les envols d'aérostats n'ont pas cessé depuis.

Quant à l'auteur, A. G. Rozier, il est inconnu des dictionnaires de biographie. On l'a parfois confondu avec l'agronome abbé Rozier, et la biographie universelle de Michaud, écrit à l'article concernant l'abbé Rozier: "M. Barbier lui attribue une Dissertation sur les aérostats des anciens et des modernes, par A.-G. Ros..... ; Genève et Paris, Servière, 1784, in-12.".
Mais on voit mal le progressiste abbé Rozier, nier la nouveauté des aérostats en écrivant des bétises. Il est plus probable que Rozier soit un pseudonyme parodiant Pilatre de Rozier, et que l'auteur soit une émule de Louis Dutens (ou lui même), partisan du savoir oublié des anciens.

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