Le réquisitoire de Bruno Weber

"Réquisitoire", le mot n'est pas trop fort, hélas, car c'est bien d'une argumentation orientée pour démontrer la culpabilité de Camille Flammarion qu'il s'agit
L'article de Bruno Weber est paru en 1973, dans le Gutenberg Jahrbuch, une publication annuelle, qui, depuis 1926, apporte chaque année une moisson de contributions à divers aspects du livre dans son histoire. On devine, qu'elle n'est pas facile à trouver pour l'amateur moyen. De fait, cet article ne circule guère que chez les historiens de l'astronomie, et c'est à l'amabilité de Philippe Véron que nous devons d'avoir pu l'analyser
Déjà, le titre est révélateur: UBI COELUM TERRAE SE CONIUGIT, Où le ciel et la Terre se joignent. Ce thème sera le fil conducteur de Bruno Weber à travers toute son argumentation:

D'entrée de jeu, après la description de l'image, publiée par Camille Flammarion (celle de 1888, avec son cadre), survient une bizarrerie. L'auteur nous présente la même gravure, inversée comme elle l'est sur le bois du graveur, puis affirme que l'image n'a pas du tout la même signification avec cette orientation.
Nun gewinnt die Landschaft an Glanz und Geschlossenheit. Alle Bewegung ist nach rechts orientiert; ohne Widerstreben folgt man dem Wanderer, und der Bogen des Sternengewölbes grenzt, weil er fällt, noch entschiedener.
Maintenant, le paysage gagne en éclat et en unité. Tout le mouvement est orienté à droite; sans résister, on suit le voyageur, et la courbe de la voûte d'étoiles confine, parce qu'elle tombe, encore plus incontestablement
Peut-être. De même que les cases des bandes dessinées ont un sens de lecture, certaines images complexes s'appréhendent mieux avec un sens de lecture. Depuis la renaissance, les artistes utiliseraient le sens conventionnel de gauche à droite. Un tableau comme celui de l'arrivée au camp du drap d'or conforte cette idée. (nous ignorons comment les chinois ont résolu le problème, eux qui écrivent de haut en bas). Mais cette remarque de l'auteur est invalidée par le fait que nous ne voyons que la partie droite de l'image, qui est tronquée. Manifestement, à gauche de l'image, il y a quelque chose qui provoque l'étonnement du voyageur et qui est bien plus important que lui: Il y a très probablement Dieu lui même, et la curiosité du voyageur n'est plus qu'un épiphénomène. Dans l'hypothèse ou l'observateur est extérieur à l'univers représenté, c'est Dieu qui doit être vu en premier. La remarque de Bruno Weber concernerait plutôt un observateur s'identifiant à la recherche initiatique du voyageur.

Ensuite, l'auteur met sa compétence de bibliothécaire à retrouver toute la littérature concernant cette gravure. Et rien que jus'qu'à 1973, il réussit à mentionner 75 sources. Bien sûr, les sources allemandes sont plus nombreuses que les sources françaises, et passé 1960, nous connaissons de nombreuses sources qu'il ne cite pas (l'engouement pour cette image devient explosif), c'est pourquoi la source la plus importante lui a échappé: l'article de Science & Vie de 1952, qui, avec son cadrage différent, lui eut dévoilé le pot aux roses

Cette diversité de sources lui permet de collecter des interprétations disparates

Pour ce qui est de ce que représente la gravure, ce serait:
- Pour Flammarion, une représentation de la vieille croyance au bout du monde, où le ciel et la Terre se touchent
- Pour Foerster, une représentation fantastique du système du monde
- Pour Strauss, en 1926, suivi par beaucoup d'autres, c'est une représentation des idées cosmologiques de Nicolas de Cusa
- Pour Zinner, en 1931, une représentation du système de Ptolémée, mais en 1957, c'est encore une représentation précopernicienne, mais plus vraiment Ptoléméenne
- Pour Urbain et Boll, en 1933, une reminiscence du système de Thalés
- Pour Bastian, en 1954, une représentation venant de l'antiquité
- Pour Jung, en 1958, c'est l'illumination d'un rosicrucien
- Pour MacNeice, en 1964, une représentation absurde ou apparait la planète Uranus

Finalement, l'interprétation, vague mais prudente, de Foerster, est la seule exacte
On peut d'ailleurs remarquer que les auteurs cités semblent avoir des idées très sommaires sur les systèmes précoperniciens. Dans tout ceux ci, quelque soit sa forme, la Terre est au centre de l'univers, et la voûte céleste tourne autour au lieu d'ètre posée sur une terre plate comme une cloche à fromages. Un tel "système" n'en mérite tout simplement pas le nom, puisqu'il ne rend pas compte des apparences

Pour ce qui est du personnage
- pour Flammarion, c'est un "missionnaire"
- Pour Bürgel, en 1925, c'est un "sceptique"
- Pour Schottenloher, en 1931, c'est peut-être le "Juif errant"
- Pour Dessauer, en 1948, un "chercheur"
- Pour Wertheim Aymès, en 1957, c'est un "initié"
- Pour Zinner, en 1957, c'est un voyageur
- Pour Würtenberger, en 1957, c'est un voyageur savant qui étudie en s'extasiant les merveilles divines
- Pour Jung, en 1958, un "pélerin spirituel"
- Pour Jaffé, en 1967, c'est l'homme, nostalgique de l'infini
- Pour Hall, en 1971, c'est un voyageur rivé à la Terre, de là, un astronome manqué

Pour ce qui est de ce qu'il voit
- Pour Muller, en 1927, ce sont les "nouveaux espaces cosmiques"
- Pour Philippof, en 1932, c'est le mécanisme du ciel
- pour Urbain et Boil, en 1933, c'est ce mécanisme qui meut les étoiles
- Pour Dessauer, en 1948, c'est l'espace rempli de mondes tournoyants
- Pour Thiel, en 1956, suivi par Heinz-Mohr et Jaffé, c'est l'infini Cusanien
- Pour Wertheim Aymès 1957 , c'est un monde spirituel
- pour Würtenberger, en 1957, c'est l'univers avec ses harmonies de sphères
- Pour Zinner, en 1957, cela fait penser à des sphères armillaires, avec des systèmes planétaires
- Pour Jung, en 1958, ce sont des "rotundas" projetées du monde intérieur dans un univers à 4 dimensions
- Pour Menkowski, en 1961, suivi par Becker, c'est la résidence de Dieu
- Pour Bronsart, en 1963, c'est le "Unbehaustsein", mot qui ne se trouve dans aucun dictionnaire consulté ("utopique", peut-être?)
- Pour Menzel, en 1970, c'est un outre-ciel, où apparaissent les roues d'Ezechiel

En fait, tous ces bons auteurs disent un peu n'importe quoi, sauf à propos de la résidence de Dieu, en supposant que leur lecteur n'en sait pas plus qu'eux. Il n'y aucun mécanisme à voir la dedans, mais c'est bien la résidence de Dieu, le "ciel empyrée", au dela du monde sensible, limité par la sphère céleste. Les globes auréolés ne sont là que suggérer des entités célestes et glorieuses, et la troncature de l'image empèche d'y constater la présence probable de Dieu

Pour ce qui est de la datation, les affirmations sont moins disparates:

- Pour Strauss, en 1926, c'est une impression allemande vers 1520-30
- Pour Röttinger, en 1931, suivi par Würtenberger, 1530 et 1550
- Pour Dessauer, en 1948, c'est environ 1525
- Pour Rosenberg, en 1949, c'est autour de 1530
- Pour Thiel, en 1956, c'est vers 1500 - Pour Zinner, en 1957, c'est après 1530
- Pour Jung, en 1958, l'image est une gravure sur cuivre du 17ème siècle
- Pour Panofsky, en 1960, c'est du du 15ème siècle
La source originelle, c'est à dire Flammarion en 1888, aurait été retrouvée par Friedrich Ludwig Boschke, en 1962, et par Aniela Jaffé, en 1967. (Arthur Beer n'est pas mentionné)
Pour Weber, l'estimation exacte, vient du Warburg Institut: L'image doit être moderne

Convenons que, jusqu'ici, Bruno Weber a fait un excellent travail de compilation, qui nous montre surtout que des dizaines d'auteurs qui ont examiné cette gravure, n'y ont pas compris grand chose, sauf pour dater le style de la gravure. Mais déja, il s'oriente sur la piste d'un pastiche moderne, et de cela, il énumère plusieurs indices, malheureusement faux:

Les indices de contrefaçon selon Bruno Weber

Technisch gesehen ist das Bild nicht geschnitten, sondern gestochen; Partien wie die Rasterfläche unten links in der Ecke, die gesprenkelten Hügel der Landschaft und verschiedene punktierte Linien sind nur bei Grabstichelarbeit im harten Hirnholz möglich. Dieser Holzstich (Tonstich) ist eine Erfindung der Gebrüder Bewick kurz vor 1800.
Au point de vue technique, l'image n'est pas gravée, mais piquetée; des parties comme la zone tramée en bas à gauche dans le coin, les collines mouchetées du paysage et les diverses lignes pointillées sont seulement possibles en travaillant au burin de graveur dans du bois dur coupé transversalment. Cette gravure sur bois (gravure d'argile) est une invention des frères Bewick peu avant 1800.
Malheureusement, de tels détails se trouvent aussi dans des gravures du 16ème siècle, dont l'authenticité n'a jamais été contesté.
la zone tramée:

sur la gravure

sur le frontispice de Sphera volgare en 1537

le frontispice
Cette curieuse trame, dans le coin inférieur gauche, rappelle effectivement une gravure du XIXème siècle, mais il ne faut pas en déduire qu'elle n'apparait qu'au XIXème siècle, on la retrouve en 1537, sur le frontispice de l'ouvrage de Jean de Sacrobosco et Fra Mauro, Sphera volgare novamente tradotta
les collines mouchetées:

sur la gravure

sur une gravure de l'apocalypse de Dürer en 1498
Les mouchetures sur les collines ne sont tout simplement que la représentation d'arbres, rapetissés par la perspective, et donc figurées par un simple trait courbe, d'autant plus petit que les collines sont plus lointaines. Près de l'horizon l'effet ressemble à une simple piqueture. On retrouve la même technique Chez Albert Dürer, en 1498
les lignes pointillées

sur la gravure

sur une gravure
de Lycosthenes en 1557

sur une gravure de Virgil Solis d'avant 1562
Les lignes discontinues se terminant en pointillés, apparaissent dans le dégradé de la voûte céleste, et dans les rayons du soleil. Il s'agit simplement du technique pour figurer des dégradés, quand l'artiste ne dispose que de traits en noir et blanc. L'exmple du milieu est tiré de Prodigiorum ac ostentorum chronicon de Conrad Lycosthènes, en 1557, l'exemple de droite est la cerise sur la gateau: il est tiré d'une gravure de Virgil Solis, Landschaft mit dem Evangelisten Johannes, présentée par... Bruno Weber lui même
Voici un autre argument, non moins faux:
Sodann stellt sich das Weltgebäude im Aufriß zusammen, was unser Auge angenehm überrascht. Die gelehrte Literatur des 16. Jahrhunderts zeigt das Universum stets im Grundriß, wie es der Astronom Petrus Apianus, ein Ptolemäer, 1524 schön und deutlich vorführt 10. Allenfalls, wenn die Erde im Mittelpunkt zum irdischen Paradies wird, erscheint das ptolemäische Weltsystem als Grundriß verschleiert; so in der großen deutschen Lutherbibel des Wittenberger Druckers Hans Lufft von 1534
Ensuite le système du monde se regroupe dans le dessin qui surprend agréablement notre oeil. La littérature savante du 16ème siècle montre toujours l'univers dans un plan, comme l'astronome Petrus Apianus, un Ptoleméen, le montre bien et distinctement en 1524. Eventuellement, si la terre contient au centre le paradis terrestre, le système de Ptolémée apparaît comme un plan voilé; ainsi dans la grande Bible allemande de Luther de l'imprimeur de Wittenberger Hans Lufft en 1534
En fait, il n'y a pas vraiment de système du monde, dans ce dessin. Où sont donc les orbites des planètes? Il y a surtout une tentative de présenter en perspective la voute céleste, telle qu'elle se présente à nos yeux, avec le soleil, la lune et les étoiles. Cette perspective en coupe est nécessaire à l'artiste pour représenter le ciel empyrée, et la surprise du voyageur. Les différents systèmes du monde n'ont rien à voir la dedans. Quand à la réprésentation du monde dans la bible de Hans Luft, ce n'est pas absolument un standard

Autre argument, tout aussi faux:
Eine dem Holzstich entsprechend kühne Komposition, mit Schnitt durch das abgezirkelte Himmelszelt und Blick erdauswärts, ist für das 16. Jahrhundert nicht belegbar;
Une composition audacieuse conforme à la gravure sur bois, avec une coupe à travers la voûte céleste tracée au compas et une vue au dela de la Terre, ne peut être retenue pour le 16ème siècle;
Non? et ça alors?

Sphère vue en coupe par Dürer en 1504

L'astronome de Dürer
extérieur du tryptique du jardin des délices de Jerome Bosh, peint entre 1490 et 1510 (cliquez l'imagette)
Et maintenant, accrochons nous bien:
Man füge hinzu: auffallende Reminiszenzen an altdeutsches Holzschnitt-Vokabular, sonderlich aus dem zweiten Drittel des 16. Jahrhunderts, wie das geflammte Sonnenantlitz, die Räder Ezechiels und die aufragende Baumfigur,
On ajoute de plus: les réminiscences frappantes à la thématique de l'ancienne gravure sur bois allemande, particulièrement du deuxième tiers du 16ème siècle, comme le visage emflammé du soleil , les roues Ezechiels et la figure d'un arbre qui s'élève
Alors là, voila qui est fort: Le fait que les divers éléments de l'image appartiennent à la thématique de la gravure sur bois allemande du XVIème siècle, prouverait qu'il ne s'agit pas d'une gravure sur bois allemande du XVIème siècle!
???
Avons nous bien compris? ou l'auteur s'est il mal exprimé? En tous cas, on croit réver...

daneben die stilwidrig zusammengeraffte Perspektive am unteren Sternengewölbe, gegenständliche Unklarheiten im Vordergrundgewächs, in der Landschaftszeichnung und in der sinnleeren Jenseitsfüllung
à côté de cela la perspective ramassée, de style opposé, sous la voûte d'étoiles, l'obscurité objective de la plante du premier plan, du dessin du paysage et du garnissage vide de sens de l'outre-espace
Que veut dire l'auteur exactement? Que la perspective d'étoiles ne devrait pas être ramassée, ou qu'elle ne l'est pas assez. Normalement la densité des étoiles devrait suivre une loi cosinusoïdale. L'artiste a fait ce qu'il a pu pour représenter l'augmentation de densité près du bord
Quid de "l'obscurité objective"? Faut il comprendre que l'auteur considère comme un indice de contrefaçon, ce qu'il ne comprend pas?
Quant au garnissage du ciel empyrée, il n'est vide de sens que pour celui qui ne comprend pas que les mystères de la résidence de Dieu nous sont inconnaissables. En fait, il y a déja un élément reconnaissable: c'est la roue d'Ezechiel. En outre, l'élément le plus significatif -et de loin- a probablement été supprimé: c'est Dieu lui même. Enfin les éléments utilisés sont assez classiques: les bandeaux représente des irisations, les globes auréolés représentent des "gloires", et les volutes nuageuses sont couramment employées pour représenter des transitions entre mondes. Dans certaines gravures d'époque, Dieu lui même est parfois représenté par une simple "gloire" lumineuse, avec ses initiales dessus
Le problème est ailleurs: Il est dans le style de ces éléments.
le bandeau de nuages:

sur la gravure

sur une bible de 1536

sur un livre de prières de 1550
Le bandeau de volutes de nuages, parait un peu trop précis et trop régulier pour s'accorder avec les bandeaux de nuages qu'on dessinait vers 1530. Il reste à savoir si le style de l'artiste n'était pas précisément tel

Enfin, l'auteur met le doigt sur l'élément le plus important, sans réussir à l'interpréter comme il faudrait:
endlich die Einfassung mit unpassenden, Antiquität symbolisierenden Zierleisten, und man wird an die Kriterien der Fälschung nahegerückt sein.
enfin le cadre avec ses incongrus fleurons évoquant l'ancien, et on se sera approché des critères de la contrefaçon.
Bien vu! le cadre est anachronique. Il est même authentiquement faux. Il est radicalement différent des cadres du XVIème siècle, et c'est d'ailleurs le seul élément résolument anachronique. Il évoquerait bien plutôt un cadre néo-gothique, rajouté pour médiévaliser la gravure.
Il est curieux que l'auteur n'ait pas compris ce point important. Nous nous sommes livrés à une petite expérience. Ayant une voisine septuagénaire, de culture rurale, avec juste le certificat d'études primaires, nous lui avons demandé qu'est ce qui était bizarre dans cette gravure. Bien sûr, elle a d'abord remarqué l'accoutrement bizarre du voyageur, et les visages humains sur la lune et le soleil, mais au bout d'une minute, elle a remarqué que le soleil était trop près du cadre, qui tronquait une partie de ses rayons. Elle n'a pas été jusqu'à comprendre, que le cadre avait été rajouté, mais elle avait remarqué un détail important, que l'auteur n'avait pas signalé.
Mais si ce cadre est faux, s'il jure avec le style de la gravure, qui lui est cohérent et compatible avec une image du XVIème siècle, c'est qu'il a été rajouté après coup sur une image de style XVIème siècle. Du coup l'argumentation est à revoir. Elle ne doit porter que sur image supposée complète. Or nous venons de voir que les arguments contre l'authenticité du style de la gravure, sont faux. Cette gravure, vraie ou fausse, est bien du style du XVIème siècle, mais l'original doit montrer plus que ne montre la version recadrée de Flammarion, qui ne montre plus qu'un système à terre plate, avec un morceau de ciel empyrée. L'image initiale montrait probablement Dieu, dans la partie gauche, et appartient alors au registre religieux, et non plus à celui des représentations du monde

Alors, ayant cru prouver que cette image n'est qu'un agglomérat d'éléments copiés, l'auteur conclut:
Daher wird es richtig sein, das Konglomerat als ein Pastiche, im vielfältig schillernden Sinn des französischen Ausdrucks, aufzufassen
C'est pourquoi, il sera juste de comprendre l'agglomérat comme un pastiche, au sens abondamment coloré de l'expression française
Puis les soupçons se portent immédiatement sur Flammarion:
Ist vielleicht Flammarion selbst Autor des Bildes? Man bat es noch nicht ausgesprochen.
Flammarion peut il être lui-même l'auteur de l'image ? On ne peut pas encore l'affirmer.
Pas encore, mais l'accusé Flammarion, va être maintenant mis sur la sellette, sa biographie passé au crible, au microscope. Tous les indices sont bons: Sa compétence, sa précocité, la diversité de ses talents, l'importance de sa bibliothèque, son amour de la science, son intérèt pour la vie extra-terrestre, son apostolat de vulgarisateur...
Après quoi, il ne reste plus qu'à montrer que Flammarion possédait l'ouvrage qu'il fallait:

Les gravures qui auraient inspiré le pastiche

Nun gibt es, um auf den Holzstich zurückzukommen, in einem wohlbekannten Buch des 16. Jahrhunderts, das Flammarion gewiß vertraut war, einen formschönen Holzschnitt, das irdische Paradies nach dem Sündenfall darstellend, der dem neuzeitlichen Pastiche als Vorbild gedient haben muß; ich meine die erste Illustration in Sebastian Münsters >Cosmographia< von 1550
Maintenant, pour revenir à la gravure sur bois, il y a dans un livre bien connu du 16ème siècle dont Flammarion était certainement familier, une harmonieuse gravure sur bois, montrant le paradis terrestre après le péché originel, qui doit avoir servi de modèle au pastiche moderne; j'ai à l'esprit la première illustration dans la Cosmographia de Sebastian Münsters de 1550
Notons la preuve, remplacée par la présomption, mais c'est une constante dans ce "réquisitoire". En fait on ignore si Flammarion possédait ce livre quand il a publié la gravure, et quand bien même il figurerait dans la bibliothèque qu'il a laissé à Juvisy, on ignore à quelle date il l'aurait acquis. Mais voyons cette gravure


La Cosmographie universelle contenant la situation de toutes les parties du monde, avec les proprietez & appartenances.
Henry Pierre marchant-libraire, Basle 1552

La gravure ci dessus est quasiment impossible à trouver sur le Web. elle ne figure pas dans les éditions déja scannées de la Cosmographia. C'est qu'en fait, il s'agissait d'un ouvrage majeur qui eut des dizaines d'éditions. On en compte 19 en allemand, 5 en latin, 6 en français, 2 en italien, et il y a même une édition tchèque.
A l'origine, la Cosmographia est simplement une description de toutes les parties du monde, mais à l'instar de la Chronique de Nuremberg, certaines éditions, en particulier l'édition française de 1552, commmencent par un chapitre sur la création du monde, d'où la présence de cette gravure. Cependant, même sans avoir accès à une édition originale de la Cosmographia, il est possible de trouver une reproduction de la gravure dans L'univers et l'humanité, de Kraemer ( où se trouvai déja la gravure au pélerin) au tome I, page 43. Nous supposons bien sûr, que Bruno Weber a eu accès à l'original, puisqu'il figure dans la bibliothèque de Zurich, dont il s'occupe
Remarquons que Bruno Weber connait mieux la biographie de Flammarion que la bible, car cette gravure ne montre pas du tout le jardin d'Eden après le péché originel, mais simplement la Terre avec ses mers, ses montagnes, son atmosphère, toutes ses espèces vivantes, et même l'industrie de l'homme représentée par un bateau, assez peu biblique, il faut bien le dire.

Comme deux arguments valent mieux qu'un, l'auteur ajoute:
Ein anderer Holzschnitt, der Flammarion vorschweben konnte, findet sich in der >Margarita philosophica< von Gregorius Reisch 1503,
Une autre gravure sur bois, que Flammarion pouvait avoir eu sous les yeux, se trouve dans Margarita philosophica de Gregorius Reisch 1503
Nouvel accès de présomptionite: il "pouvait" l'avoir vu, comme le sar Rabindranath Duval "pouvait le dire"
Puis , en comparant l'image de Münster et celle de Reisch, il se risque à cette interprétation:
Was jenem Bild fehlt, ist hier gegenwärtig und unberührt, da wir noch an der Schöpfung teilhaben: der Baum des Lebens. Er wird im Holzstich, gleichermaßen hypertrophisch und symbolbeladen, zu einer Art Baum der Erkenntnis
Ce qui manque à cette image, est ici actuel ici et intact, puisque nous participons encore à la création : l'arbre de la vie. Il devient dans la gravure sur bois, de la même manière hypertrophié et de manière chargée par le symbole, une espèce d'arbre de la connaissance
Houla! Si nous avons bien compris, le jardin d'Eden se caractérise par la présence d'un arbre. Arbre qui manque dans la gravure de Münster, mais bien visible dans la gravure de Reisch. Or il y a aussi un arbre bien visible dans la gravure de Flammarion, qui représente donc le jardin d'Eden...
"Par ma foi, cela fait plus de 60 ans que j'habite le jardin d'Eden, sans que j'en susse rien"
En fait, la genèse dit bien: 2,9 Yahvé Dieu fit pousser du sol, toute sorte d'arbres désirables à voir et bons à manger, ainsi que l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. (traduction Osty, 1973)
Il y a "toute sorte d'arbres" dans le jardin d'Eden, et pas "un seul". Et s'il s'agit du plus important, alors ce serait plutôt l'arbre de la connaissance du bien et du mal, celui qui entraina l'expulsion d'Adam et Eve. Visiblement l'auteur n'est pas familier de la genèse. Pourtant, ce ne sont pas les bibles qui doivent manquer dans la bibliothèque de Zurich
Mais voyons cette gravure, et comparons avec des gravures de l'époque

gravure de Margarita philosophica, 1503

die guldin arch de Sebastien Franck, 1538

creation, Kirchen postilla, , Wittenberg, 1550

creation, Held, 1557
Maintenant, qu'est ce que ces gravure ont de particulier? Sur les gravures de Reish et de Munster, l'empyrée est montré dans une sorte de lucarne, en forme de lunule, et chez Reisch, le monde s'inscrit dans l'univers étoilé, conception qui n'a rien à voir avec celle de la gravure de Flammarion. D'autres artistes ont mieux réussi à figurer le monde inscrit dans l'empyrée. En général, ce genre de gravure représentent l'ensemble de la création dans un raccourci saisissant en montrant la création d'Eve, son ultime étape. La Terre est souvent montré sphérique (Aristote et Saint Thomas d'Aquin sont passé par là) et certains artistes ont réussi en plaçant le soleil et la lune, de part et d'autre de la Terre, à représenter la pénombre de la nuit, afin d'illustrer le verset "il y eut un soir, il y eut un matin". Dans la gravure de 1538, la Terre est entourée du ciel, entouré par "les eaux d'en haut", entourées par l'empyrée. Dans celles de 1550 et 1557, le ciel est directement entouré par l'empyrée
Nous pouvons conclure que ni la gravure de Sébastien Münster, ni celle de Reisch n'ont de prétentions particulières à avoir inspiré la gravure au pélerin. Nous avons vu que pour ce qui est de la réprésentation de la voute céleste, vue en coupe, Bosch et Dürer y aurait bien mieux réussi. Malheureusement, Bosch et Dürer oeuvraient au environs de l'an 1500, en sorte que n'importe quel artiste du XVIème siècle aurait pu s'en inspirer. Pour ce qui est de prouver le pastiche moderne, c'est donc parfaitement raté

Un avatar inattendu de La gravure de Sébastien Münster

Finalement, la gravure de Sébastien Münster semble bien avoir inspiré quelque chose. Il suffit de comparer la représentation de Dieu, dans la gravure, avec celle de la théophanie du roi Arthur, dans Monty Python, sacré graal. A part que Dieu est de profil chez Sébastien Münster, tout y est: La trouée dans les nuages, l'aura de Lumière, la couronne, la barbe... L'équipe de Monty Python a elle lue la cosmographia? C'est peu probable, et il y a probablement un, ou plusieurs intermédiaires, et ces intermédiaires, datent d'avant 1975... comme l'article de Bruno Weber.

1552

1975
bouton theophanie
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La théophanie
du roi Arthur

Mais l'auteur continue:
Wer aber ist der Gottsucher und Wundersmann? Und wer der Autor des Bildes? Einen Beweis, daß Flammarion persönlich hinter dem Bild steckt, und den Schlüssel zur Deutung liefert der Astronom selbst in jenem einprägsamen, dem Holzstich zugehörigen Text, den ich im Anhang unter (1) zitiere. Das Kennwort lautet: »L'horizon où le ciel et la Terre se touchent.« Diese Formulierung hat den jungen Flammarion beeindruckt. Sie stammt aus der weitschweifigen Geschichte des Macarius Romanus
Qui est cependant le chercheur de Dieu et homme merveilleux ? Et qui est l'auteur de l'image ? L'astronome lui même livre une preuve que Flammarion se trouve en personne derrière l'image, et la clé pour son interprétation, dans ce texte facile à retenir correspondant à la gravure sur bois que je cite dans l'appendice sous (1). Le mot de passe s'énonce : "L 'horizon où le ciel et la Terre se touchent ." Cette formulation a impressionné le jeune Flammarion. Elle vient de l'histoire prolixe de Macarius Romanus
Le problème, c'est que ce théme ne se trouve pas QUE dans l'histoire de St Macaire Romain, elle se trouve aussi dans la légende antique d'Atlas, portant le ciel sur ses épaules, et bien plus, dans l'histoire de l'anachoète de La Mothe-le-Vayer. Mais ce thème, c'est celui du titre, c'est le fil conducteur de l'enquète, et comme cette recherche permet à l'auteur de conclure à la culpabilité de Flammarion, c'est que la piste est bonne puisque Flammarion DOIT être le coupable. On frémit en pensant à ce qui se passerait si l'auteur était magistrat. Par ailleurs, à la suite de la publication de ses conclusions, par John Ashbrook, nous avons cherché en vain pendant des années sur les fausses pistes de la Terre plate et des voyages au bout du monde
Persuadé de tenir la preuve de la culpabilité de Flammarion, l'auteur va développer l'histoire sur plusieurs pages, agrémentée de légendes sur le voyage d'Alexandre, avant de revenir A Flammarion, pour rappeler son panthéisme, et sa volonté de démontrer l'universalité de la vie.
On se demande qu'est ce que l'universalité de la vie, a à voir avec le ciel empyrée, qui bien au contraire limite le monde à une seule planète habitable. On se demande surtout qu'est ce que la légende de St Macaire a à voir avec ce voyageur passant sous la voûte céleste. Pour résumer le légende de St Macaire, trois moines orientaux, Theophile, Serge et Hygin, voulurent découvrir le point où le ciel et la terre se touchent, c'est-à-dire le paradis terrestre. Après avoir traversé de nombreuses contrées, ils en arrivent à traverser l'enfer, puis une contrée merveilleuse et enfin, arrivent à l'entrée d'une caverne, où ils trouvèrent Macaire, abîmé en prières depuis cent ans, aux portes du paradis gardées par le glaive du chérubin. Instruits par cet exemple, les pélerins reprirent le chemin de leur couvent.
Maintenant que vient faire cette histoire ici? Les trois moines n'atteignent pas le point où le ciel et la terre se touche, mais l'entrée d'une caverne, encore moins passent ils sous la voùte Céleste, pas plus que Macaire. Alors?
Alors l'histoire de St Macaire est une fausse piste, mais l'auteur n'en a cure: il a démontré ce qu'il voulait
Il parachève sa démonstration en nous montrant une autre gravure, une "vraie", qui montre un paysage avec l'évangéliste Jean


Virgil Solis, Landschaft mit dem Evangelisten Johannes.

Stellt man den neuzeitlichen Holzstich einem echten Meisterholzschnitt des 16. Jahrhunderts gegenüber, der eine vergleichbare, gleichsam entfesselte Weltlandschaft vorführt, sieht man im Nu, wie der Wandersmann an der göttlichen Weltordnung frevelt: er kehrt der Natur den Rücken, verachtet Schönheit, Glanz und Frieden, irdisches Paradies, in dem ein Lebensbaum wurzelt, flieht die Wohnung unter der Sternenkuppel und sucht sein Glück hinter dem Kosmos, stürzt aus dem Himmel.
Si on oppose la gravure sur bois moderne à une véritable gravure sur bois de maître du 16ème siècle qui présente un paysage comparable, pour ainsi dire dégagé , on voit en un clin d'oeil, comment le voyageur transgresse le divin ordre du monde : il tourne le dos à la nature, méprise la beauté, l'éclat et la paix, le paradis terrestre dans lequel un arbre de vie est enraciné, fuit l'habitat sous la coupole d'étoiles et cherche son bonheur derrière le cosmos, s'élance du ciel.
Notons que la gravure de Flammarion est maintenant affirmé comme moderne, et que la gravure présentée ici ne montre jamais qu'un paysage banal, comme les artistes en ont dessiné des millions. Qu'est ce que l'évangéliste Jean vient faire ici? L'auteur ne le dit pas. Quelle drogue faut il prendre pour voir en un clin d'oeil que le paysage de la gravure de Flammarion représente le paradis terrestre? L'auteur ne le dit pas non plus. La démonstration devient de plus en plus surréaliste.
Mais la conclusion de l'auteur est sans appel:
ein Pastiche von Camille Flammarion. Q.e.d.
un pastiche de Camille Flammarion. Q.e.d.
Q.e.d. "Quod erat demonstrandum", ce qu'il fallait démontrer. L'aveu est explicite: Depuis le début, Flammarion était le seul coupable envisagé. L'auteur s'est contenté d'une analyse sommaire de la gravure, s'est contenté d'arguments faux et arbitraires, sans même voir que l'image avait été recadrée, a passé la vie de Flammarion au microscope, a suivi la fausse piste de St Macaire qu'il avait trouvé dans La divine comédie avant Dante, de Charles Labitte, et à aucun moment ne s'est rendu compte de la fausseté de ses arguments, précisément parce qu'ils démontraient "ce qu'il fallait démontrer"
Que reste-t-il de sa démonstration? Rigoureusement rien puisque nous savons qu'il existe une version antérieure à l'image de Flammarion. Que reste-t-il de son article? Une liste intéressante de toutes les réveries qu'on a pu construire autour de cette gravure. Une liste désormais augmentée d'une unité

Dernière mise à jour: 20/09/2015

La légende