Le réquisitoire de Bruno Weber |
"Réquisitoire", le mot n'est pas trop fort, hélas, car c'est bien d'une argumentation orientée pour démontrer la culpabilité de Camille Flammarion qu'il s'agit D'entrée de jeu, après la description de l'image, publiée par Camille Flammarion (celle de 1888, avec son cadre), survient une bizarrerie. L'auteur nous présente la même gravure, inversée comme elle l'est sur le bois du graveur, puis affirme que l'image n'a pas du tout la même signification avec cette orientation. Ensuite, l'auteur met sa compétence de bibliothécaire à retrouver toute la littérature concernant cette gravure. Et rien que jus'qu'à 1973, il réussit à mentionner 75 sources. Bien sûr, les sources allemandes sont plus nombreuses que les sources françaises, et passé 1960, nous connaissons de nombreuses sources qu'il ne cite pas (l'engouement pour cette image devient explosif), c'est pourquoi la source la plus importante lui a échappé: l'article de Science & Vie de 1952, qui, avec son cadrage différent, lui eut dévoilé le pot aux roses Cette diversité de sources lui permet de collecter des interprétations disparates Les indices de contrefaçon selon Bruno Weber Technisch gesehen ist das Bild nicht geschnitten, sondern gestochen; Partien wie die Rasterfläche unten links in der Ecke, die gesprenkelten Hügel der Landschaft und verschiedene punktierte Linien sind nur bei Grabstichelarbeit im harten Hirnholz möglich. Dieser Holzstich (Tonstich) ist eine Erfindung der Gebrüder Bewick kurz vor 1800.Au point de vue technique, l'image n'est pas gravée, mais piquetée; des parties comme la zone tramée en bas à gauche dans le coin, les collines mouchetées du paysage et les diverses lignes pointillées sont seulement possibles en travaillant au burin de graveur dans du bois dur coupé transversalment. Cette gravure sur bois (gravure d'argile) est une invention des frères Bewick peu avant 1800. Malheureusement, de tels détails se trouvent aussi dans des gravures du 16ème siècle, dont l'authenticité n'a jamais été contesté.
Sodann stellt sich das Weltgebäude im Aufriß zusammen, was unser Auge angenehm überrascht. Die gelehrte Literatur des 16. Jahrhunderts zeigt das Universum stets im Grundriß, wie es der Astronom Petrus Apianus, ein Ptolemäer, 1524 schön und deutlich vorführt 10. Allenfalls, wenn die Erde im Mittelpunkt zum irdischen Paradies wird, erscheint das ptolemäische Weltsystem als Grundriß verschleiert; so in der großen deutschen Lutherbibel des Wittenberger Druckers Hans Lufft von 1534 Ensuite le système du monde se regroupe dans le dessin qui surprend agréablement notre oeil. La littérature savante du 16ème siècle montre toujours l'univers dans un plan, comme l'astronome Petrus Apianus, un Ptoleméen, le montre bien et distinctement en 1524. Eventuellement, si la terre contient au centre le paradis terrestre, le système de Ptolémée apparaît comme un plan voilé; ainsi dans la grande Bible allemande de Luther de l'imprimeur de Wittenberger Hans Lufft en 1534 En fait, il n'y a pas vraiment de système du monde, dans ce dessin. Où sont donc les orbites des planètes? Il y a surtout une tentative de présenter en perspective la voute céleste, telle qu'elle se présente à nos yeux, avec le soleil, la lune et les étoiles. Cette perspective en coupe est nécessaire à l'artiste pour représenter le ciel empyrée, et la surprise du voyageur. Les différents systèmes du monde n'ont rien à voir la dedans. Quand à la réprésentation du monde dans la bible de Hans Luft, ce n'est pas absolument un standard Autre argument, tout aussi faux: Eine dem Holzstich entsprechend kühne Komposition, mit Schnitt durch das abgezirkelte Himmelszelt und Blick erdauswärts, ist für das 16. Jahrhundert nicht belegbar; Une composition audacieuse conforme à la gravure sur bois, avec une coupe à travers la voûte céleste tracée au compas et une vue au dela de la Terre, ne peut être retenue pour le 16ème siècle; Non? et ça alors?
Man füge hinzu: auffallende Reminiszenzen an altdeutsches Holzschnitt-Vokabular, sonderlich aus dem zweiten Drittel des 16. Jahrhunderts, wie das geflammte Sonnenantlitz, die Räder Ezechiels und die aufragende Baumfigur, On ajoute de plus: les réminiscences frappantes à la thématique de l'ancienne gravure sur bois allemande, particulièrement du deuxième tiers du 16ème siècle, comme le visage emflammé du soleil , les roues Ezechiels et la figure d'un arbre qui s'élève Alors là, voila qui est fort: Le fait que les divers éléments de l'image appartiennent à la thématique de la gravure sur bois allemande du XVIème siècle, prouverait qu'il ne s'agit pas d'une gravure sur bois allemande du XVIème siècle! ??? Avons nous bien compris? ou l'auteur s'est il mal exprimé? En tous cas, on croit réver... daneben die stilwidrig zusammengeraffte Perspektive am unteren Sternengewölbe, gegenständliche Unklarheiten im Vordergrundgewächs, in der Landschaftszeichnung und in der sinnleeren Jenseitsfüllung à côté de cela la perspective ramassée, de style opposé, sous la voûte d'étoiles, l'obscurité objective de la plante du premier plan, du dessin du paysage et du garnissage vide de sens de l'outre-espace Que veut dire l'auteur exactement? Que la perspective d'étoiles ne devrait pas être ramassée, ou qu'elle ne l'est pas assez. Normalement la densité des étoiles devrait suivre une loi cosinusoïdale. L'artiste a fait ce qu'il a pu pour représenter l'augmentation de densité près du bord Quid de "l'obscurité objective"? Faut il comprendre que l'auteur considère comme un indice de contrefaçon, ce qu'il ne comprend pas? Quant au garnissage du ciel empyrée, il n'est vide de sens que pour celui qui ne comprend pas que les mystères de la résidence de Dieu nous sont inconnaissables. En fait, il y a déja un élément reconnaissable: c'est la roue d'Ezechiel. En outre, l'élément le plus significatif -et de loin- a probablement été supprimé: c'est Dieu lui même. Enfin les éléments utilisés sont assez classiques: les bandeaux représente des irisations, les globes auréolés représentent des "gloires", et les volutes nuageuses sont couramment employées pour représenter des transitions entre mondes. Dans certaines gravures d'époque, Dieu lui même est parfois représenté par une simple "gloire" lumineuse, avec ses initiales dessus Le problème est ailleurs: Il est dans le style de ces éléments.
Enfin, l'auteur met le doigt sur l'élément le plus important, sans réussir à l'interpréter comme il faudrait: endlich die Einfassung mit unpassenden, Antiquität symbolisierenden Zierleisten, und man wird an die Kriterien der Fälschung nahegerückt sein. enfin le cadre avec ses incongrus fleurons évoquant l'ancien, et on se sera approché des critères de la contrefaçon. Bien vu! le cadre est anachronique. Il est même authentiquement faux. Il est radicalement différent des cadres du XVIème siècle, et c'est d'ailleurs le seul élément résolument anachronique. Il évoquerait bien plutôt un cadre néo-gothique, rajouté pour médiévaliser la gravure. Il est curieux que l'auteur n'ait pas compris ce point important. Nous nous sommes livrés à une petite expérience. Ayant une voisine septuagénaire, de culture rurale, avec juste le certificat d'études primaires, nous lui avons demandé qu'est ce qui était bizarre dans cette gravure. Bien sûr, elle a d'abord remarqué l'accoutrement bizarre du voyageur, et les visages humains sur la lune et le soleil, mais au bout d'une minute, elle a remarqué que le soleil était trop près du cadre, qui tronquait une partie de ses rayons. Elle n'a pas été jusqu'à comprendre, que le cadre avait été rajouté, mais elle avait remarqué un détail important, que l'auteur n'avait pas signalé. Mais si ce cadre est faux, s'il jure avec le style de la gravure, qui lui est cohérent et compatible avec une image du XVIème siècle, c'est qu'il a été rajouté après coup sur une image de style XVIème siècle. Du coup l'argumentation est à revoir. Elle ne doit porter que sur image supposée complète. Or nous venons de voir que les arguments contre l'authenticité du style de la gravure, sont faux. Cette gravure, vraie ou fausse, est bien du style du XVIème siècle, mais l'original doit montrer plus que ne montre la version recadrée de Flammarion, qui ne montre plus qu'un système à terre plate, avec un morceau de ciel empyrée. L'image initiale montrait probablement Dieu, dans la partie gauche, et appartient alors au registre religieux, et non plus à celui des représentations du monde Alors, ayant cru prouver que cette image n'est qu'un agglomérat d'éléments copiés, l'auteur conclut: Daher wird es richtig sein, das Konglomerat als ein Pastiche, im vielfältig schillernden Sinn des französischen Ausdrucks, aufzufassen C'est pourquoi, il sera juste de comprendre l'agglomérat comme un pastiche, au sens abondamment coloré de l'expression française Puis les soupçons se portent immédiatement sur Flammarion: Ist vielleicht Flammarion selbst Autor des Bildes? Man bat es noch nicht ausgesprochen. Flammarion peut il être lui-même l'auteur de l'image ? On ne peut pas encore l'affirmer. Pas encore, mais l'accusé Flammarion, va être maintenant mis sur la sellette, sa biographie passé au crible, au microscope. Tous les indices sont bons: Sa compétence, sa précocité, la diversité de ses talents, l'importance de sa bibliothèque, son amour de la science, son intérèt pour la vie extra-terrestre, son apostolat de vulgarisateur... Après quoi, il ne reste plus qu'à montrer que Flammarion possédait l'ouvrage qu'il fallait: Les gravures qui auraient inspiré le pastiche Nun gibt es, um auf den Holzstich zurückzukommen, in einem wohlbekannten Buch des 16. Jahrhunderts, das Flammarion gewiß vertraut war, einen formschönen Holzschnitt, das irdische Paradies nach dem Sündenfall darstellend, der dem neuzeitlichen Pastiche als Vorbild gedient haben muß; ich meine die erste Illustration in Sebastian Münsters >Cosmographia< von 1550Maintenant, pour revenir à la gravure sur bois, il y a dans un livre bien connu du 16ème siècle dont Flammarion était certainement familier, une harmonieuse gravure sur bois, montrant le paradis terrestre après le péché originel, qui doit avoir servi de modèle au pastiche moderne; j'ai à l'esprit la première illustration dans la Cosmographia de Sebastian Münsters de 1550 Notons la preuve, remplacée par la présomption, mais c'est une constante dans ce "réquisitoire". En fait on ignore si Flammarion possédait ce livre quand il a publié la gravure, et quand bien même il figurerait dans la bibliothèque qu'il a laissé à Juvisy, on ignore à quelle date il l'aurait acquis. Mais voyons cette gravure
La gravure ci dessus est quasiment impossible à trouver sur le Web. elle ne figure pas dans les éditions déja scannées de la Cosmographia. C'est qu'en fait, il s'agissait d'un ouvrage majeur qui eut des dizaines d'éditions. On en compte 19 en allemand, 5 en latin, 6 en français, 2 en italien, et il y a même une édition tchèque.
Mais l'auteur continue: Wer aber ist der Gottsucher und Wundersmann? Und wer der Autor des Bildes? Einen Beweis, daß Flammarion persönlich hinter dem Bild steckt, und den Schlüssel zur Deutung liefert der Astronom selbst in jenem einprägsamen, dem Holzstich zugehörigen Text, den ich im Anhang unter (1) zitiere. Das Kennwort lautet: »L'horizon où le ciel et la Terre se touchent.« Diese Formulierung hat den jungen Flammarion beeindruckt. Sie stammt aus der weitschweifigen Geschichte des Macarius Romanus Qui est cependant le chercheur de Dieu et homme merveilleux ? Et qui est l'auteur de l'image ? L'astronome lui même livre une preuve que Flammarion se trouve en personne derrière l'image, et la clé pour son interprétation, dans ce texte facile à retenir correspondant à la gravure sur bois que je cite dans l'appendice sous (1). Le mot de passe s'énonce : "L 'horizon où le ciel et la Terre se touchent ." Cette formulation a impressionné le jeune Flammarion. Elle vient de l'histoire prolixe de Macarius Romanus Le problème, c'est que ce théme ne se trouve pas QUE dans l'histoire de St Macaire Romain, elle se trouve aussi dans la légende antique d'Atlas, portant le ciel sur ses épaules, et bien plus, dans l'histoire de l'anachoète de La Mothe-le-Vayer. Mais ce thème, c'est celui du titre, c'est le fil conducteur de l'enquète, et comme cette recherche permet à l'auteur de conclure à la culpabilité de Flammarion, c'est que la piste est bonne puisque Flammarion DOIT être le coupable. On frémit en pensant à ce qui se passerait si l'auteur était magistrat. Par ailleurs, à la suite de la publication de ses conclusions, par John Ashbrook, nous avons cherché en vain pendant des années sur les fausses pistes de la Terre plate et des voyages au bout du monde Persuadé de tenir la preuve de la culpabilité de Flammarion, l'auteur va développer l'histoire sur plusieurs pages, agrémentée de légendes sur le voyage d'Alexandre, avant de revenir A Flammarion, pour rappeler son panthéisme, et sa volonté de démontrer l'universalité de la vie. On se demande qu'est ce que l'universalité de la vie, a à voir avec le ciel empyrée, qui bien au contraire limite le monde à une seule planète habitable. On se demande surtout qu'est ce que la légende de St Macaire a à voir avec ce voyageur passant sous la voûte céleste. Pour résumer le légende de St Macaire, trois moines orientaux, Theophile, Serge et Hygin, voulurent découvrir le point où le ciel et la terre se touchent, c'est-à-dire le paradis terrestre. Après avoir traversé de nombreuses contrées, ils en arrivent à traverser l'enfer, puis une contrée merveilleuse et enfin, arrivent à l'entrée d'une caverne, où ils trouvèrent Macaire, abîmé en prières depuis cent ans, aux portes du paradis gardées par le glaive du chérubin. Instruits par cet exemple, les pélerins reprirent le chemin de leur couvent. Maintenant que vient faire cette histoire ici? Les trois moines n'atteignent pas le point où le ciel et la terre se touche, mais l'entrée d'une caverne, encore moins passent ils sous la voùte Céleste, pas plus que Macaire. Alors? Alors l'histoire de St Macaire est une fausse piste, mais l'auteur n'en a cure: il a démontré ce qu'il voulait Il parachève sa démonstration en nous montrant une autre gravure, une "vraie", qui montre un paysage avec l'évangéliste Jean
Si on oppose la gravure sur bois moderne à une véritable gravure sur bois de maître du 16ème siècle qui présente un paysage comparable, pour ainsi dire dégagé , on voit en un clin d'oeil, comment le voyageur transgresse le divin ordre du monde : il tourne le dos à la nature, méprise la beauté, l'éclat et la paix, le paradis terrestre dans lequel un arbre de vie est enraciné, fuit l'habitat sous la coupole d'étoiles et cherche son bonheur derrière le cosmos, s'élance du ciel. Notons que la gravure de Flammarion est maintenant affirmé comme moderne, et que la gravure présentée ici ne montre jamais qu'un paysage banal, comme les artistes en ont dessiné des millions. Qu'est ce que l'évangéliste Jean vient faire ici? L'auteur ne le dit pas. Quelle drogue faut il prendre pour voir en un clin d'oeil que le paysage de la gravure de Flammarion représente le paradis terrestre? L'auteur ne le dit pas non plus. La démonstration devient de plus en plus surréaliste. Mais la conclusion de l'auteur est sans appel: ein Pastiche von Camille Flammarion. Q.e.d. un pastiche de Camille Flammarion. Q.e.d. Q.e.d. "Quod erat demonstrandum", ce qu'il fallait démontrer. L'aveu est explicite: Depuis le début, Flammarion était le seul coupable envisagé. L'auteur s'est contenté d'une analyse sommaire de la gravure, s'est contenté d'arguments faux et arbitraires, sans même voir que l'image avait été recadrée, a passé la vie de Flammarion au microscope, a suivi la fausse piste de St Macaire qu'il avait trouvé dans La divine comédie avant Dante, de Charles Labitte, et à aucun moment ne s'est rendu compte de la fausseté de ses arguments, précisément parce qu'ils démontraient "ce qu'il fallait démontrer" Que reste-t-il de sa démonstration? Rigoureusement rien puisque nous savons qu'il existe une version antérieure à l'image de Flammarion. Que reste-t-il de son article? Une liste intéressante de toutes les réveries qu'on a pu construire autour de cette gravure. Une liste désormais augmentée d'une unité |
Dernière mise à jour: 20/09/2015
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