Abraham Rockenbach (1536 - 1611), enseigna les mathématiques à Francfort sur l'Oder, et s'occupa d'astrologie. Il est surtout connu pour avoir servi de base aux théories catastrophistes (et stupides) de William Whiston et Immanuel Velikovsky
Il faut dire que, les maniaques des prodiges pouvaient faire leurs choux gras de ce qu'il racontait. Voici ce qu'il dit du prodige de 1527.
| |
Anno Christi millesimo, quingentesimo vicesimo septimo, die Octobris undecimo (alii die undecimo Augusti asserunt) mane circa horam quartam, non tantum in ea Vestria parte, cui Comites Rheni praesunt, sed etiam per totam fere Europam Cometa terrificus visus est; duravitque per horam unam et quadrantem, quotidie flagrans. A subsolano ortus est, versusque meridiem & occidentem accendit, sub Septentrione autem maxime conspicuus fuit. Longitudo ejus fuit immensa, colore sanguineo in croceum desinente. Summitas ejus formam brachii incurvati vel speciem habuit, in cujus manu, gladius ingentis magnitudinis, veluti jam jam percussuri videbatur. In mucrone gladii, ab utraque acie stellae tres non mediocres apparuerunt, sed ea, quae a mucrone fulsit, reliquis duabus major fuit. Ab his radii, subobscuri, sub forma pilosae caudae conspiciebantur. In lateribus, radii a summo ad imum, in speciem hastarum fere deformati, & gladii minores, sanguinis colore diluti, inter quos facies humanae, comis barbisque hispidae, colore nigricantis nubis cernebantur. Haec tanto terrore, horroreque, rutilantia mota sunt, ut nonnulli spectatores, metu fere sint exanimati. Hunc tyrannis turcica secuta est, & et incursiones hostium in Ungariam acerrimae, cum effusione sanguinis tanta, ut Buda etiam capta & diruta sit. Marchio Casimirus, proficiscens in Ungariam, mortuus est. Roma urbs ab exercitu Caroli, duce Borbonio, capta et diruta est. Clemens Pontifex, septimus, necessitate obsidionis coactus, captus in arce Angelica, Caesarianis se dedidit. Clementia autem Caesaris postea dimissus, ac pristinae dignitati restitutus est, quo Christianae saluti consuleretur. Quidam etiam scribunt 40000.millibus aureorum, eum ab hostibus redemptum esse. Cicadarum magnam copiam, ventus ex Turcia in Poloniam transvexit, paulo post, Tartari in Poloniam irruerunt, multaque loca devastarunt.
Abraham Rockenbach, De cometis, Tractatus novus methodicus: in quo non tantum causae cometarum, per methodum simplicis quaestionis exponuntur, sed etiam effectus eorum, ex probatissimus & antiquissimis veterum scriptoribus, juxta temporum seriem annotantur ; ab anno videlicet diluvij generalis, post conditum mundum, millesimo, sexcentesimo, quinquagesimo sexto, usque ad annum millesimum, sexcentesimum, post nativitatem Christi, Salvatoris nostri, jubilaeus dictum , Wittenberg, 1602, page 211 & 212
L'an 1527 après Jésus-Christ le 11 octobre (d'autres disent le 11 aout), vers quatre heures du matin, non seulement dans cette partie de la Westrie que commandent les comtes du Rhin, mais encore dans presque toute l'Europe fut vue une comète effrayante, et persista une heure un quart en brillant chaque jour. Elle se leva à l'orient, et monta dans la direction du midi et du couchant, étant cependant le plus remarquable vers le Nord. Sa longueur fut démesurée, et sa couleur de sang, finissant au jaune safran. Son sommet eut la forme et l’aspect d’un bras recourbé dans la main duquel on voyait une épée d’une grandeur immense et comme prète à frapper. A l’extrémité de l’épée de chaque côté de la lame se virent 3 étoiles de bonne taille, mais celle qui étincela au bout de l’épée fut plus grande que les deux autres. De celle-là s'apercevaient des baguettes un peu obscures, à la structure de queues velues. Sur les côtés des baguettes du sommet jusqu’au pied, des rayons grossièrement en forme de lance et de petites épées, de couleur rouge délavé, entre lesquels se distinguaient des figures humaines aux barbes et cheveux hérissées, de la couleur de nuages noirâtres. Ces choses ensemble se déplaçèrent et brillèrent de tant de terreur et d'horreur que quelques spectateurs furent près de rendre l'ame de peur et d'angoisse. Ceci fut suivi de la tyrannie Turque et l'incursion très violente des ennemis en Hongrie avec tant d'effusion de sang que Buda fut assiégée et prise. En Mars, Casimir s'avançant en Hongrie mourut. La ville de Rome fut assiégée et prise par les troupes de Charles, Duc de Bourbon. Le pape Clement VII contraint inléluctablement par le siège, se rendit à l'empereur au Chateau Saint Ange. Cependant la clémence de l'empereur le renvoya libre , et en outre sa dignité première lui fut rendue, pour qu'il s'occupasse du salut des chrétiens. Certains ont écrit qu'il fut racheté 40 000 ducats aux ennemis. Une grande troupe de sicaires venue de Turquie passa en Pologne, peu après les Tartares envahirent la Pologne et ravagèrent de nombreux lieux
On note que le texte de la description est quasiment identique à celui de Conrad Lycosthènes, sauf qu'il change la place des adjectifs et remplace l'imparfait par le parfait. Nous avons mis en turquoise les suppléments de Rockenbach, qui n'ajoutent presque rien au point de vue historique, sauf l'invasion des Sicaires et des tartares en Pologne. Une invasion qu'on ne retrouve guère dans les manuels d'histoire, mais qui est aussi citée, en 1579, par Georgius Caesius, dans son Catalogus omnium cometarum, qui, lui aussi parle de "presque toute l'Europe". Par contre Rockenbach, fidèle à son habitude de cacher ses sources, omet le passage ou Lycosthènes dit que son texte est traduit de Peter Creutzer
Manifestement, pour la description du prodige lui même, Rockenbach recopie Lycosthènes, et d'ailleurs presque toutes les observations de comètes qu'il cite, vraies ou fausses, se retrouvent chez Lycosthènes, comme nous le verrons plus loin.
Et c'est alors que nous voyons une légende se construire sous nos yeux. N'osant pas remettre en cause qu'il s'agissait bien d'une comète, mais sachant que les comètes sont visibles plusieurs semaines, Rockenbach invente ce qui manque, et affirme que la "comète" brillait tous les jours, pour que l'histoire reste vraisemblable.
Invente-t-il ce détail de lui même, ou le reprend il de Spangenberg, qui lui aussi faisait apparaitre la comète tous les matins? S'il a lu Caesius, il a du y trouver une référence à Spangenberg, mais l'a-t-il recherché?
Quoiqu'il en soit, il ne se rend pas compte qu'il introduit une absurdité: tous les jours à quatre heures du matin, une comète apparait à l'est, s'étend progressivement dans le ciel, tout en étant plus brillante vers le nord, et s'éteint après une heure un quart, sans disparaitre sous l'horizon ouest, ni dans la lumière du jour. A ce compte là, ce n'est plus une comète, ce n'est même plus un prodige, c'est un miracle!
Rockenbach s'est en effet contenté d'insérer des morceaux de phrases dans le texte de Lycosthènes, sans vérifier la cohérence finale de l'ensemble
Il est heureusement le seul a avoir eu une telle audace, assortie d'une telle bétise: il était bien plus simple d'admettre que le prodige était autre chose qu'une vraie comète.
Un consensus se dégage chez les cométographes pour considérer les affirmations de Rockenbach comme suspectes. Lubienietski écrit:
Unde habeat Rockenbachius cometam quotidiè unà horà & quadrante luxisse, ignoro
J'ignore où Rockenbach a pris une comète brillant quotidiennement une heure un quart
et Pingré précise:
Je ne cite cet auteur sans discernement que d'après ses échos, Hévélius, Lubienietzki et Zahn
Il faut dire que ce n'est pas la seule chose que Rockenbach invente "ad majorem cometae gloriam". Ecoutons Velikovsky:
J'ai eu la chance de découvrir, aux États-Unis, une copie du De cometis tractatus novus
methodicus de Rockenbach. Cet ouvrage a été publié à Wittenberg en 1602. Son auteur était professeur de grec, de mathématiques et de droit, et doyen de la faculté de philosophie de Francfort. Il a utilisé dans son livre de vieilles sources qu'il n'a pas citées : ex probatissimis et antiquissimis veterum scriptoribus (d'après les écrivains les plus anciens et les plus dignes de foi). A la suite de sa diligente compilation des vieux documents, il a fait la déclaration suivante :
« En l'année du monde 2453 (comme beaucoup d'auteurs dignes de foi l'ont déterminé en s'appuyant sur de nombreuses conjectures), une comète apparut, également mentionnée par Pline dans son livre II. Elle semblait de feu, avait une forme circulaire irrégulière, et sa tête était voilée. Celle-ci avait la forme d'un globe et un aspect terrifiant. On dit que le roi Typhon régnait à cette époque en Égypte... Certaines autorités affirment que la comète qui avait la forme d'un disque fut aperçue en Syrie, en Babylonie, dans l'Inde, sous le signe du Capricorne, au moment où les enfants d'Israël quittaient l'Égypte pour la Terre Promise, guidés le jour par la colonne de nuée, la nuit par la colonne de feu. »
En effet, Rockenbach écrit, page 116 de son livre:
Anno mundi, bis millesimo, quadringentesimo, quinquagesimo tertio, Cometa, (ut multi probati autores, de tempore hoc statuunt, ex conjecturis multis) cuius Plinius quoque lib. 2. cap. 25. mentionem facit, igneus, formam imperfecti circuli, & in se convoluti caputque globi repraesentans, aspectu terribilis apparuit, Typhonque à rege, tunc temporis in Aegypto imperium tenete, dictus est, qui rex, ut homines fide digni asserunt, auxilio gigantum, reges Aegyptiorum devicit. Visus quoque est, ut aliqui volunt, in Siria, Babylonia, India, in signo Capricorni, sub forma rotae, eo tempore, quando filis Israel ex Aegypto in terram promissam, duce ac viae monstratore, per diem columna nubis, noctu vero columna ignis, ut cap. 7. 3. 9. & 10 legitur profecti sunt.
La traduction de Velikovsky parait correcte, mais on se demande qui sont ces nombreux auteurs contemporains et dignes de foi, qu'il ne cite pas, et dont on ne retrouve guère de traces.
Voila qui rappelle un sketch fameux:
- Maitre, pouvez vous nous citez les sources que vous utilisates pour déterminer l'année du passage de cette comète?
- oui...
- Vous pouvez les citer?
- Je peux les citer.
- Le maitre PEUT les citer!
D'où Rockenbach sort donc cette date de 2453 (1510 av. J.C.)?. Pline ne nous le dit pas:
Diraque comperta Aethiopum et Aegypti populis, cui nomen aevi ejus rex dedit Typhon, ignea spacie, ac spirae modo intorta, visu quoque torvo, nec stella verius, quam quidam igneus nodus.
Et une effrayante [comète] fut observée par les peuples de l'Ethiopie et de l'Egypte, à qui son roi de l'époque donna le nom de Typhon, d'un aspect de feu, et tordue en spirale, menaçante à la vue aussi, moins une étoile qu'une sorte de noeud enflammé.
(Pline, Histoire naturelle, livre II, chapitre 23)
Remarquons que Pline ne dit rien de la durée du phénomène, ce qui ne s'accorde guère avec une comète, et dit que le phénomène fut visible en Egypte (du Sud?) et en Ethiopie, ce qui ne plaide pas non plus pour une comète qui eut été visible aussi bien à Memphis qu'à Babylone. L'apparence de feu plaide plutôt pour un bolide, rout comme la forme "spirae modo intorta" décrit bien l'aspect en tire bouchon que finit par prendre la trainée résiduelle d'un brillant bolide. Nous pouvons donc conclure que Pline parle là d'un bolide assez spectaculaire pour que le souvenir lui en parvint, et non d'une comète. Le fait que cet aspect en spirale ait évoqué le géant Typhon au roi nous indique d'ailleurs que ce roi était de culture grecque, donc qu'il s'appelait Ptolémée, ce qui nous apprend que le phénomène est postérieur à l'an 305 av J.C.
On peut consulter le dossier cette pseudo-comète de l'exode
Velikovsky avoue:
La découverte des sources manuscrites qui conduisirent Abraham Rockenbach à la même conclusion que nous, à savoir que la comète Typhon apparut à l'époque de l'Exode, est une tâche qui reste à accomplir.
Hé bien, nous allons le faire, ce travail. Nous avons déja vu que, pour la pseudo-comète de 1527, Rockenbach avait pompé dans Lycosthènes, et inventé le reste. Mais était ce la seule fois?
Que non pas! En ouvrant simultanément les livres de Rockenbach et de Lycosthènes, nous pouvons constater que toutes les comètes, vraies ou fausses, mentionnées par Rockenbach au onzième, douzième et treizième siècles, sont tout simplement reprises de Lycosthènes. Au quatorziéme siècle, Il y a pour l'an 1347 une comète qu'on ne retrouve pas chez Lycosthènes, mais qu'on trouve dans le catalogue de Caesius. Ah! le charlatan qui prétendait puiser dans les auteurs "les plus anciens et les plus dignes de foi"!
Et cette fois, nous retrouvons bien la date de 2453, avec quasiment le même texte dans le livre de Lycosthènes:
Anno mundi 2453
Exeunti populo ex Aegypto in terram promissionis, ducem acuiae demonstratorem habuere per diem quidem columnam nubis, per noctem vero columnam ignis, quasi facem lucentem.
Exodi capite 7.8.9.10 & 13
( Conrad Lycosthenes, Prodigiorum ac ostentorum chronicon, page 39 )
On remarque que Rockenbach n'est même pas capable de donner les références exactes sans se tromper, et après, il voudrait qu'on croit qu'il a puisé aux sources les plus sérieuses.
Notons que Velikovsky utilise aussi le thème de la comète du déluge, qu'il reprend à William Whiston, qui la tirait de la cométographie d'Hévélius, qui la tirait de Rockenbach, qui la tirait de Georgius Caesius, qui n'indiquait aucune source, et pour cause: elles avaient disparu avec le déluge.
Pauvre Velikovsky, roulé dans la farine...
Abraham Rockenbach? Un cométomane, tout simplement.
|