11 Octobre 1527: Prodige en Westrie

Que s'est il donc passé en Westrie, le 11 octobre 1527 à 4 heures?
La première description du phénomène nous vient de Peter Kreutzer, qui dit avoir observé sa lueur et sa forme. Il est sans ambiguité sur la date, et très précis sur l'heure: 3 heures 57 minutes exactement. Nous ne savons pas si cela s'est bien passé dans la seule Westrie, mais l'exposé de Peter Creutzer parle de cette partie de la Westrie que dirigent les comtes du Rhin. D'autres sources mentionnent d'autres villes Rhénanes, mais sont postérieures.
Nous savons qu'il s'agit d'un phénomène nocturne. Le phénomène apparait le 11 octobre à 4 heures du matin, et sa clarté disparait vers 5 heures un quart, donc en pleine nuit ( le soleil ne se levait que vers 8 heures ) et en plein ciel, et non en disparaissant derrière l'horizon. Peter Creutzer dit bien:
...darnach ist sein schein verschwunden
...après quoi sa clarté a disparu
Nous reconstituons donc le ciel nocturne, avec le logiciel Stellarium. Sachant qu'à l'époque, on utilisait le temps solaire, et que la longitude de la Westrie est de 7° 30' Est, on déduit que quand il était 4 H, en Westrie, il était 3H 30 à Greenwich, et qu'il faut fournir 3H 30 à Stellarium, après l'avoir réglé en Temps Universel, ce qui donne ceci


cliquez l'image pour avoir l'horizon complet du nord au sud

Les trois étoiles ( drei fast grosse sternen ) décrites à la pointe de l'épée sont probablement dans ce champ d'étoiles, mais lesquelles sont-ce? Peter Creutzer, bien qu'astrologue, ne les nomme pas, et nous dit même pas dans quel sens pointe l'épée
Le phénomène dure donc une heure un quart, ce qui exclue catégoriquement une vraie comète, qui serait apparue plusieurs jours de suite en disparaissant derrière l'horizon. C'est donc du coté des phénomènes terrestres qu'il faut chercher.

La couleur du phénomène

Pour ce qui est de la couleur, le texte de Creutzer porte:
einer vermischten blütfarb oder bleich gelbrot
une couleur de sang délavée ou rouge jaunâtre pale
Le phénomène est donc rougeâtre avec des nuances, Il y a une sorte d'arc évoquant un bras courbé, une sorte de rayon pointu évoquant une épée, une grande queue zébrée de sombre, de petits rayons droits évoquant des javelots, des sortes de flammes, des sortes de petites épées, tout cela se tortillant l'un contre l'autre. Tout cela est caractéristique d'une aurore boréale, un phénomène que ne semblait pas connaitre Creutzer.
Nous connaissons surtout les aurores polaires par celles qui sont observées, et photographiées, dans les pays nordiques, où elles sont genéralement verdâtres, comme sur la photo ci dessous.

aurore à Tromsø, Norvège. La photo ne montre pas la partie supérieure, rougeâtre.
Mais les aurores observées, et photographiées, en Allemagne ne sont pas vertes mais nettement rougeâtres, comme sur la photo ci dessous.

aurore à Auenwald, Allemagne, à la même latitude qu'en Westrie. On devine en dessous à gauche la partie verte, seulement visible à des latitudes supérieures.
Et de fait, si les aurores observables en Europe sont rougeâtres, c'est parce que c'est la couleur des aurores qui se forment à plusieurs centaines de km d'altitude, seules observables à cette distance. La couleur décrite par Creutzer correspond donc bien à celle des aurores boréales observables en Allemagne

Le bras armé d'une épée

Le bras armé d'une épée s'explique, lui aussi.
Seyn Haupt oder anfang ist gewesen ein gebogen arm/der het in seyner hand eyn uberauß gros schwert/in maß als wolt sie yerzunt dreyn schlagen.
A sa tête ou début a été vu un bras courbé, qui avait une excessivement grande épée à la main, comme si il voulait frapper.
Mais il suffit de regarder les rayons qui, à la base d'un arc d'aurore, fusent vers le haut pour comprendre.
Sur l'image de droite, tirée du site POLAR IMAGE, ne dirait on pas un bras armée d'une épée?
Ceci nous permet de savoir que sur l'opuscule de Creutzer, le dessinateur - anticipant les lois de Murphy - à bel et bien mis l'image à l'envers: dans son dessin, l'épée pointe vers le bas
( loi de l'orientation des images: toute image ayant un sens d'orientation non explicite se trouvera orientée à l'envers )

Les visages barbus

La description de Creutzer, mentionne:
Dazwischen waren hyn und wider eyngemengt etlich vil angesichter/gantz harig am haupt und bart/eyner grawen wolckenfarb
Entre lesquelles étaient mèlés ça et là de nombreux visages, à tête complètement chevelue avec barbe, d'un gris nuageux
Or nous sommes en pleine nuit, la lueur du phénomène n'est pas aussi intense que sur les photos surexposées que nous avons vu. Comment Peter Creutzer peut il avoir vu des détails sur des objets gris nuageux, c'est à dire sombres, en pleine nuit? Il est bien plus probable qu'il s'est basé sur la forme et la taille de ce qu'il voyait. Les photos d'aurores boréales montrent souvent des nuages sombres, aux allures parfois fantastiques, qui se profilent devant le phénomène. En se mèlant à l'apparition, les silhouettes des nuages participent à sa fantasmagorie. En croyant y voir des visages, Creutzer a été victime d'une classique pareidolie

Le mouvement

Pour le mouvement d'enseble, Creutzer écrit:
Der auffgang dises Cometen ist gewesen von Orient/und auffgestigen gegen dem mittag von Sunnen nidergang/doch zwischen der mitnacht mererteyls gesehen worden
L'apparition de cette comète a été à l'orient, et elle s'est élevée vers le couchant, cependant davantage en a été vu vers le Nord
Autrement dit, apparu à l'est, le phénomène s'est étendu vers l'ouest, par l'horizon nord. Ce qui est logique pour une aurore boréale
Pour le mouvement des détails:
dises alles gieng feintlich ( als legs in blütstreimechtem gewesser ) durch einander zwirzern und sich arbeyten
tout cela allait opposé (comme situé dans le l'eau sanglante coulant) tordu en se pressant l'un contre l'autre
Creutzer exprime comme il peut, le frémissement incessant de ce qu'il a observé, avec l'image de l'eau sanglante, parce que le spectacle était rougeâtre. Voici une vidéo russe montrant en accéléré le changement incessant de l'image d'une aurore (mais avec des couleurs verdâtres, car nous sommes plus au nord)

Conclusion

C'est donc bien une aurore boréale, et non une comète, qui a été observée le 11 octobre 1527 en Westrie, et c'est apparemment la première à avoir été dessinée, comme l'a remarqué Gustav Hellmann. Dès 1560 apparaissent plusieurs dessins d'aurore boréale, mentionnés en tant que prodiges, dans des occasionnels allemands. Ce n'est qu'en 1575, qu'une aurore boréale est dessinée en tant que telle, par Cornélius Gemma

Nous verrons dans les autres dossiers (accessibles par l'organigramme), comment cette aurore a attendu deux siècles pour être reconnue en tant que telle, et comment, un troisième siècle plus tard, elle a été récupérée pour créer la légende de la crédulité d'Ambroise Paré

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Dernière mise à jour: 06/11/2016