Trouvelot dessine Saturne
Etienne Leopold Trouvelot
Trouvelot |
Si Etienne Leopold Trouvelot, né à Guyancourt (Aisne) en 1827, est connu en France comme astronome, aux Etats-Unis, il est surtout connu pour y avoir provoqué une catastrophe écologique.
A l'origine Trouvelot était artiste portraitiste. Après le coup d'état de Louis Napoléon du 2 décembre 1851, Trouvelot, comme d'autres proscrits, émigra aux Etats-Unis
S'intéressant à l'entomologie, il rejoignit la société d'histoire naturelle de Boston, et étudia le ver à soie, qui était une des bases de l'industrie locale. En 1860 il s'installa au 27 Myrtle Street, à Medford, une banlieue ouvrière de Boston, ou il développa sur son terrain un élévage de la variété locale de ver à soie, le bombyx polyphème, pour remplacer le bombyx du murier trop fragile
Malheureusement la soie produite n'avait pas la qualité voulue. En 1868, Trouvelot fit un voyage en Europe et en rapporta des oeufs de bombyx disparate. Son intention était de développer une variété de ver à soie qui, tout en produisant une soie meilleure que celle du bombyx polyphème, soit résistante à la maladie. |
Trouvelot apprenti-sorcier
Hélas l'année suivante, un jour de grand vent, une fenètre s'ouvrit et les bombyx s'échappèrent. Trouvelot qui s'en inquiétait prévint les autres entomologistes de Boston, qui ne s'en émurent pas à temps. Mal leur en prit car la chenille du bombyx disparate se nourrit de feuilles, et en particulier de feuilles de chênes et d'ormes. Sans le vouloir l'apprenti-sorcier Trouvelot avait déclenché une invasion, qu'on ne pu juguler, et qui provoqua une déforestation l'année 1889
Le bombyx disparate |
La chenille phyllophage du bombyx |
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| Pas facile de réparer les dégats... |
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Trouvelot astronome
Dégouté de l'entomologie, Trouvelot revint à l'art
Bien lui en prit, car en 1872, il se fit remarquer des astronomes de Harvard par un dessin d'aurore boréale
Ils l'invitèrent à travailler pour l'observatoire, et Trouvelot commença à se faire connaitre par ses exceptionnelles qualités de dessinateur, talent précieux à une époque où la photographie ne rivalisait pas encore avec l'oeil humain, surtout pour la couleur
Trouvelot commença par utiliser la lunette de 15 pouces (380 mm d'ouverture) de l'observatoire de Harvard, avec laquelle il fit son célèbre dessin de Saturne. |
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Puis en 1875 l'Amiral C.H. Davis lui permit d'utiliser la lunette de 26 pouces (660 mm) de l'U.S. Naval Observatory.
Trouvelot aurait fait ainsi quelques 7000 dessins, très appréciés des astronomes pour la finesse de leur détails.
Il obtint en 1880 un prix de l'institut de France pour ses travaux descriptifs sur Mars, Jupiter et Saturne. |
Sa renommée en tant que dessinateur était alors si bien établie, qu'il décida de mettre ses meilleurs dessins dans le commerce. Il prit contact avec les éditions Charles Scribner's Sons, de New York qui publièrent en 1882 un album de 15 chromolithographies, au prix de 125$ (The Trouvelot Astronomical Drawings.)
trois des quinze chromolithographies proposées dans l'album
La malheur est que ces reproductions ne sont pas photographiques, mais dessinées à la main, couleur par couleur sur chaque pierre litho, en sorte qu'elles ne valent que le talent du lithographe
L'an 1882, les chenilles de bombyx commencèrent leur travail de défoliation dans sa propre rue de Myrtle Street.
Trouvelot préféra rentrer en France et mit ses talents au service de l'observatoire de Meudon. Il mourut à Meudon en 1895.
Trouvelot et Saturne
Trouvelot fit plusieurs dessins de Saturne. Le premier, fait à l'observatoire d'Harvard, date de 1872.
Les anneaux sont alors largement ouverts. On voit que si l'ombre concave visible en dessous n'est probablement due qu'à une illusion d'optique, les petites taches sombres dans les anses n'ont pas d'explications et paraissent donc réelles.
Le 30 décembre 1874, nouveau dessin de Saturne, où Trouvelot dessine l'anneau extérieur avec des dentelures. Il dessine aussi une étrange ombre du globe de Saturne sur les anneaux exagérément étendue et étrangement crénelée. Cette "ombre", très caractéristique, sera la "signature" de son dessin, reproduit pendant trois quarts de siècle.
En 1875, Trouvelot qui utilise maintenant la lunette de l'U.S. Naval Observatory récidive, et dessine des dentelures dans les anses de l'anneau extérieur. Il semble donc ètre le premier à avoir dessiné ces marbrures radiales, que l'on appelle aujourd'hui des "spokes".
Les reproductions
↑ lire le dossier ↑ |
On voit aussi que Trouvelot semble tenir beaucoup à ses ombres concaves. Celle qu'il dessine en 1875 est moins étrange que celle de l'année précédente, mais encore trop large pour être imputée à une classique illusion d'optique, comme celle de 1872.
Cette ombre du globe de Saturne et évidemment illusoire. Avec ou sans illusion d'optique, ce ne peut être la vraie ombre.
Le dessin, à nul autre pareil de 1874 a été plusieurs fois reproduit, mais en le redessinant, en particulier avec des couleurs illusoires. En France, il a fallu attendre le mois de juin 2005, pour que la revue Ciel et Espace en donne enfin une reproduction photographique
Les dessins de Trouvelot, supportaient la vérification, par mesure de distances angulaires. Il s'avéraient même qu'en cas de désaccord, c'étaient les mesures qui n'étaient pas correctes
Cependant, La division d'Encke n'est pas correctement placée, et c'est bien normal, puisque dans son instrument, il ne pouvait pas voir la "vraie" division d'Encke, mais seulement un effet de contraste simultané induit par le "minimum d'Encke"
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Les marbrures claires ne sont pas très évidentes, sur le pastel original monochrome. Leur contraste a été exagéré sur les reproductions
Les dentelures dans les anses, elles, apparaissent même sur les reproductions les plus infâmes
Or ces deux aspects, sont bien caractéristiques des marbrures rayonnantes que vont observer Terby, Gaudibert, Stroobant, Stuyvaert, Gwyn Elger, Comas Sola et surtout Antoniadi, qui fit tout de même autorité en matière d'observations planétaires. |
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Malheureusement, ces phénomènes ne se retrouvant pas d'une observation à l'autre, ne purent ètre officiellement admis pendant un siècle. il fallut attendre les sondes spatiales pour confirmer en 1980, sous le nom de spokes, ce que Trouvelot observait déja en 1874
Quant à l'ombre crénelée, si caractéristique, elle a été contestée dès 1877 par Asaph Hall, qui ne la retrouvait pas sur ses dessins de 1875 et 1876.
dessin de Holden |
Trouvelot se défendit en faisant remarquer qu'il n'avait jamais prétendu qu'il s'agissait d'un détail permanent et qu'une année s'était écoulée quand Asaph Hall fit ses propres observations.
Il fit aussi remarquer qu'il n'était pas le premier à dessiner une telle ombre, citant les noms de Schröter, Lassell, De La Rue, Jacob, Bond, Coolidge, Tuttle, "et beaucoup d'autres" (dont lui même en 1872, et en 1875), qui avaient vu eux aussi, une ombre plus ou moins crénelée
Il présenta aussi un dessin du professeur Edward Holden, fait avec un télescope de 28 pouces, montrant nettement une ombre concave...
En fait, les ombres concaves telles que celles observées par les astronomes dont Trouvelot cite les noms, ne relèvent que d'un phénomène de contraste, comme Antoniadi l'a expliqué, et l'explication n'est pas suffisante ici, ou la zone sombre est bien plus étendue q'une simple ombre concave
Mais est ce bien une ombre? En modifiant le gamma de l'image, on voit que Trouvelot l'a dessiné sombre, mais pas vraiment noire
Par contre, si l'on admet que Trouvelot a un peu exagéré le contraste en dessinant un détail sombre de l'anneau, alors il se pourrait qu'exceptionnellement, ce soir là, la partie de l'anneau jouxtant l'ombre se trouvait justement obscurci.
Mais obscurci par quoi? Peut ètre par un dense faisceau de marbrures sombres qui auraientt ainsi prolongé l'ombre du globe sur l'anneau de manière irréelle.
Car n'oubliont pas que les marbrures n'ont cet aspect rayonnant que dans les anses, par effet de perspective.
A 90 ° des anses, ils devraient avoir un aspect large et diffus, mais en général sans avoir assez de densité pour ètre visibles
Ce qu'aurait du voir Trouvelot |
D'autre part, le grossissement de son instrument ne lui aurait tout de même pas permis de les résoudre en fines marbrures, ne lui montrant effectivement qu'une zone sombre, avec des irrégularités, ce qui pourrait expliquer le décrochement de la zone sombre entre l'anneau A et l'anneau B
Nous avons reconstitué Saturne telle que Trouvelot pouvait la voir avec un grossissement de 775, soit deux fois le grossissement résolvant de son instrument, formule habituellement employé pour l'observation planétaire
Il est manifeste que la zone sombre n'a rien à voir avec l'ombre, mais si on imagine à cet endroit une dense zone de marbures sombres, analogue aux marbrures claires des anses, l'étrange ombre crénelée de Trouvelot s'en trouve expliquée
Si les marbrures radiales ont fini par être admises, sous le nom de "spokes", les ombres crénelées attendent encore. Et pourtant, les secondes ne sont peut-être qu'une autre manifestation des premieres
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