La vague d'airships de 1896 Après que l'ufologie se soit mise en route, avec les premiers livres sur les soucoupes volantes, en 1950, et la création du premier groupe d'études, en 1951, il était normal qu'après avoir étudié les observations récentes, on essaye de savoir s'il existait des observations plus anciennes. On en trouva. En 1950, dans son premier livre, Donald Keyhoe cite des observations remontant à 1762. En 1951, Harold Tom Wilkins en cite depuis l'an 1707. En 1953, Desmond Leslie en cite qui remontent, à 1619. En fait, c'est très simple. Les témoins savaient à quoi devait ressembler un airship, et, fin 1896, ils s'attendaient justement à en voir. Dès qu'un stimulus survint, qui puisse être associé à un airship, ils crurent voir un airship, et le décrivirent comme ils purent. La mise en condition des Californiens.
Jean Giraud aussi: les techniques apparemment utilisées étaient en cours de test, à l'époque. Mais Monnerie ne considère que la vague, riche en canulars, d'avril 1897, et Giraud ne tient compte, ni de la réalité des expériences - toutes décevantes - ni de l'intense espoir que les américains allaient enfin maitriser la navigation aérienne, à l'instar des européens qui avaient une avance notable. N'en déplaise à Jean Giraud, nous avons vu ce qu'il en était des projets américains. Voyons maintenant ce à quoi on s'attendait en Californie, état où le rêve de la navigation aérienne était le plus intense. C'est clair: les californiens s'attendaient à voir bientôt dans le ciel ce merveilleux engin que le génie américain s'apprétait à y envoyer. Et bien ils allaient le voir! Sacramento, Californie, 17 novembre 1896.
Qu'à cela ne tienne, puisqu'on a vu un phare c'est qu'il y en avait un, ce qui est bien logique pour un vol nocturne, et puisque c'était un airship, il avait forcément des hélices, que le dessin paru deux jours après va rajouter. Quel dommage que ce fameux phare n'était que la planète Vénus! Pouvait-ce être l'airship du capitaine Smith?
Quant au capitaine Charles Abbott Smith, il resta étrangement silencieux. Pire, le professeur Samuel Langley, secrétaire de la Smithosian Institution affirma que son appareil ne pouvait pas marcher! Et de fait, l'examen de son projet montre que, si l'engin aurait pu s'élever dans les airs, il n'aurait absolument pas pu se déplacer convenablement. Les observations se multiplient Voila la rumeur lancée. Cet airship dont on nous rabattait les oreilles existe donc bien. On l'a vu! Oakland, Californie, 20 novembre 1896.
Les Oaklandais, eux vont voir leur premier airship, suivi d'un deuxième deux heures plus tard. Comme les Sacramentins, les Oaklandais n'ont vu qu'une seule lumière, et donc, comme les Sacramentins, c'est Vénus qu'ils ont vu. Mais eux vont cumuler les deux observations des Sacramentins en une seule soirée, car ils vont voir aussi ce qui pourrait être Mars. Quant aux San Franciscains, ils vont voir l'airship Vénus eux aussi. Le 21 à Tulare, un témoin signale, à une heure non précisé un objet dont la description évoque plutôt un nuage à haute altitude. le 22 un nouvel airship est signalé à Sacramento, à l'heure de visibilité de Vénus. Il est également signalé à Folsom, à la même heure, ainsi qu'à San Francisco. Ce même soir, on en signale un a Oroville, mais le San Francisco Call soupçonne que ce soit un ballon, genre montgolfière lancé par un portugais de Cherokee. Le 23 à San Francisco de nombreux témoins dignes-de-foi, signalent à 9H 15 du soir, un engin, comme une lampe électrique, dans la direction de Berkeley. Vénus était alors couchée, mais l'heure et la direction correspondent à la planète Mars. Le 24 on signale des observations à Berkeley, San Francisco, Chico, Red Bluff, Oakland, Santa Rosa, Sebastopol, Bowman, San José et Fresno. La brieveté des informations qui souvent mentionnent "last night", ne permet pas de savoir si ces observations sont bien du 24. Mais si elles le sont, apparait un problème, déja signalé par Sébastien Pauleau: Ces observations s'étendent sur une distance trop grande (ici 440 km) pour pouvoir être attribuées à un unique engin. le 25 Observation à Auburn. Le 26 à Alameda, Los Angeles, Oakland, San José et Petaluma. L'observation de San José est confirmée par le doyen de l'université. Malheureusement il n'est pas astronome, mais professeur de langues anciennes. Quant à celle d'Oakland, elle aurait été faite à 8H du soir, par le jeune Case Gilson, qui décrit l'objet comme un cigare noir, sans lumières, sur le ciel nocturne, avec des hélices qui tournaient trop vite pour q'il les voit. Une prétendue observation qui sent le canular. le 27 à Modesto et Tacoma Le 28 à Alameda et Oakland. Les inventeurs entrent en scène. Dès le 19 novembre, M. John Grieser, d'Oakland, confirme que ce qui a été vu, ou plutôt dessiné dans le San Francisco Call du même jour, correspond bien à un dirigeable, construit par quelqu'inventeur du pays. Il prétend en parler en tant qu'expert, travaillant lui même depuis trois ans sur une machine volante.
M. Collins prétend aussi qu'il a vu lui même l'engin qui est en métal, fait 150 pieds de long, et peut emporter 15 personnes. L'inventeur ne montre pas son engin au public, car il est en attente de brevet, mais il le montrera bientôt en plein jour. Le 22 novembre, on apprend que cet inventeur serait le dentiste E.H. Benjamin. Mais on apprend aussi qu'à Oroville, personne n'est en mesure de confirmer cette histoire, et qu'au bureau des brevets on n'a pas connaissance d'une demande de brevet correspondant à ce qui aurait été vu à Sacramento. Mais George D. Collins n'en démord pas: Son client est un homme riche et intelligent qui semble avoir 47 ans et habite Oroville. Il l'a rencontré à Washington, où il essayait de faire breveter son invention et ils se sont revu souvent depuis. L'inventeur a abandonné les idées de Maxim et Langley pour un principe entièrement nouveau. Il ne peut pas donner de détails, mais peut dire que la propulsion est assurée par de l'air comprimé qui meut les ailes. Il y a aussi un moteur qui produit la lumière que tous les témoins ont vu. C'est cet engin qui a été vu à Okland le 20 novembre car son inventeur ne le teste que la nuit. Le 23, George Carleton d'Oakland, affirme aussi qu'il connait l'inventeur qui aurait effectué une ascension près d'Oroville, mais ne donne pas son nom. Le même jour, Collins lache du lest: son client n'est pas d'Oroville, mais de San Francisco. Il n'a pas vu l'engin mais seulement des plans qui lui parurent incomplets, et ne sait pas si cet engin a un rapport avec les observations récentes d'airship. En même temps, le Dr. Benjamin, interrogé à San Francisco, dit qu'il ne sait rien de l'airship, mais qu'il a bien rencontré l'avocat Collins, pour sécuriser un brevet. Il précise que ses inventions concernent la dentisterie.
Les arguments de Collins vont convaincre William Henry Harrison Hart, attorney général de Californie de 1891 à 1895, qui va alors couvrir les affirmations de Collins de son autorité. Il n'a pas vu lui-même l'engin qu'aurait vu Collins, mais il a vu, comme beaucoup de Californiens la lumière céleste, ce qui lui parait prouver que Collins à raison. On entre alors dans le thème de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. Par contre, ils ne convainquent pas du tout, George N. Chase, lui même inventeur en la matière, qui ayant lu tout ce qui était disponible s'étonne que rien ne soit mentionné concernant la puissance motrice, relève des contradictions dans les affirmations de Collins, et finalement le taxe d'imprudence. De fait, d'après ce que nous venons de lire, les affirmations de George D. Collins fleurent la mythomanie.
Le "général" Hart ne doute pas que ce soit cet engin qui ai été dèjà vu tant de fois au dessus de la Californie. Il annonce qu'il y en fait deux engins, l'un fabriqué dans l'Est, et l'autre en Californie. Ces deux engins sont aussi assurés de fonctionner l'un que l'autre. Hart propose de réaliser un engin de guerre qui puisse être réalisé dans les six mois. Il pourra emporter quatre hommes et 1000 livres de dynamite. C'est l'époque de la guerre hispano-américaine, pour libérer Cuba, et Hart envisage froidement qu'avec cet engin, deux ou trois hommes puissent détruire La Havane en 48 heures! Le 25, il explique qu'il ne connait pas le Dr Benjamin, et ignore son rôle exact. On apprendra le lendemain que le Dr. Benjamin a disparu. Le 26, il annonce que si les insurgés cubains offrent 100 millions de dollars à l'Espagne pour leur liberté, l'inventeur de l'airship est prêt à détruire La Havane pour seulement 10 millions! Le 28, il déclare que l'inventeur dispose dispose de trois engins, tout en avouant qu'il n'en a vu personnellement aucun. Il n'a vu que leurs plans. Le 29, il prétend qu'un tel airship destructeur de ville, amènerait la paix dans le monde civilisé! Le 30, il explique que les témoins d'airships n'ont pas révé, qu'il y a à ce moment deux airships en l'air, un grand et un petit, et que si on les voit si haut, c'est que la navigation aérienne est plus facile à haute altitude. Le 2 décembre, il avoue qu'il n'a plus de contact avec son client, mais qu'il croit que celui ci continue de naviguer dans les airs. On n'entendra plus parler du Dr. Catlin, ni de son airship que personne n'aura jamais vu. Pas davantage du projet "pacifiste" d'airship destructeur du "général" Hart, qui voulait ignorer que l'artillerie ayant été inventé avant les ballons, une arme de défense anti-aérienne, le "mousquet à ballons", était déjà apparue en 1870, lors du siège de Paris. W.H.H. Hart, s'est tellement discrédité dans cette affaire, qu'aujourd'hui on ne se souvent guère de lui que comme l'imprudent apologiste de l'airship de 1896. Pire, quelques sites parlent du "général" Hart, comme s'il avait été militaire. Le 28 novembre à Oakland W.H.Warren, un éleveur de poulets, prétend avoir inventé un dirigeable en forme de cigare, qui peut emporter le poids d'un homme, et qu'il a essayé, s'élevant jusqu'à 100 pieds. Il se serait inspiré du vol des mouettes. Bien entendu, on ne verra jamais cet engin. Parallèlement, d'autres inventeurs prétendent améliorer la technique du ballon. A Kansas City, Mortimer Mc Kim prétend pouvoir générer 560 mètres cubes d'hydrogène à l'heure en plaçant dans la nacelle un générateur de moins de 50 kg, utilisant l'électrolyse de l'eau. Mais un rapide calcul montre que pour obtenir un tel volume, il faut décomposer 433 kg d'eau. Et qu'est ce qui fournirait l'énergie nécesaire à son générateur? On commence à soupçonner la planète Vénus.
A Fresno, alors que des témoins croient observer le dirigeable, d'autres reconnaissent la planète Vénus. Surtout, le même soir, à San Francisco, des milliers de gens, assemblès rue du Marché, croient voir le fameux dirigeable. Mais à San Francisco, il y a un observatoire, et son directeur, prévenu, à le temps de braquer son télescope sur le supposé engin, pour constater que c'est tout simplement Vénus Quelque jours après, c'est le directeur de l'observatoire d'Oakland qui donne le même avis: ce que les gens prennent pour le phare d'un dirigeable, c'est soit Mars, soit Vénus. Les mystifications commencent.. Dès le 24 novembre à San Francisco, des farceurs ont compris que: lumière dans les airs = airship, et comme, ballon + lumière = lumière dans les airs, ils eurent tôt fait de faire voir un airship à peu de frais. A 23 heures on signale une lumière volante au dessus de Market Street, mais le ballon ne dépassa pas 100 mètres et l'on compris vite la supercherie.
Mais il ne faudra pas longtemps aux journalistes pour trouver le fin mot de l'histoire, de la bouche même de Mme Horen: John A. Horen était un merveilleux conteur, et cette nuit là il était à la maison et dormait à poings fermés. Ce canular, qui fut relayé par des dizaines de journaux, semble avoir alors donné des idées à d'autres farceurs - ou mythomanes.
Le jeudi 3 décembre, en plein milieu de San Francisco, près des Twin Peaks, on découvre la carcasse d'un airship cylindrique en tole galvanisé. Il fait 40 pieds de long, et le crash l'a mis dans un piteux état, mais les aéronautes sont saufs. L'un deux, qui donne son nom et son adresse va donner des détails sur l'engin et sur le vol. Mais il ne faudra que 24 heures pour qu'on comprenne qu'il s'agissait d'une mystification. Le fabricant de l'engin donne même des détails techniques sur la quantité de tôle et le nombre d'heures nécessaires.
La comparaison de son récit avec celui de John A. Horen montre trop d'éléments identiques pour que l'un ne se soit pas inspiré de l'autre, mais bien que marin, le conteur ne se prend pas pour Simbad et ne prétend pas avoir traversé la moitié du Pacifique à une vitesse stupéfiante. L'engin a sagement respecté les limitations de vitesse pour se contenter de 45 mph. Mais c'est encore trop beau pour un engin de cette époque, et la similitude avec l'histoire de John A. Horen montre bien qu'il s'agit d'un canular. Les plaisantes explications des observations d'airship.
Ici l'apparition de Vénus n'avait rien de nouveau, mais ses apparitions les plus évidentes comme étoile du soir n'ont lieu que tous les huit ans environ, et le citoyen lambda ne s'y intéresse pas. Par contre, en cette année 1896, il s'intéressait à la possibilité du vol d'un dirigeable, et c'est cette hypothèse qui était la base de la dicussion: Etait ce un dirigeable ou autre chose? Mis à part le dirigeable, des autres choses, on en a imaginé. A commencer par l'inévitable hypothèse de la blague, ou celle d'une publicité La plus amusante est probablement l'explication par un pélican muni d'une lanterne... Conclusions La vague d'observations d'airship/dirigeable de 1896 est éminemment intéressante. C'est la première vague d'aéronefs fantômes connus, et nous pouvons y identifier quelques caractéristiques qui se retrouveront lors des vagues suivantes.Les témoins potentiels sont sensibilisés à la possibilité d'incursion dans leur ciel d'engins de type nouveau: Ici, ces fameux dirigeable que divers inventeurs essayaient de construire, en en parlant dans les journaux, mais dont on n'avait pas encore vu la couleur. Ceci est une condition nécessaire, mais non suffisante. Il existe au moins un stimulus céleste, d'apparition fréquente et visible sur tout le territoire: ici, surtout la planète Vénus. Nous pouvons remarquer, qu'à part les observations d'une montgolfière ou d'un éventuel ballon, toutes les observations, les vraies, se ramènent à celles de Vénus, ou de Mars. Qu'on ne dise pas, avec certains ufomânes, que les témoins ne sont pas débiles au point de prendre Vénus pour un engin mystérieux. Nous en avons la preuve le 24 novembre à San Francisco, quand des centaines de témoins voyaient un airship vers 18H dans l'alignement de la rue du Marché, alors que la planète Vénus tronait, pile dans l'axe de la rue, à 17 H 45, et que prévenu, l'astronome Davidson braqua son télescope dessus et vérifia que c'était bien Vénus. Remarquons que ce soir là, c'est dans pas moins de dix villes qu'on vit le même phénomène, à la même heures, et que quelques témoins surent tout de même reconnaitre Vénus. Cette identification avec Vénus est également indubitable, du fait que les témoins qui voyaient l'airship descendre lentement à l'horizon sud-ouest, ne voyaient pas en même temps la planète Vénus dans la même direction. Le même raisonnement vaut pour la planète Mars, visible à l'est une heure après le coucher de Vénus. Comme une image vaut mieux qu'un long discours, répétons l'argument utilisé pour Sacramento.
Une propagande importante a été faite en faveur de l'interprétation par un engin mystérieux. Ici, le lendemain de l'observation de Sacramento, les premiers témoignages ne mentionnaient que l'observation d'une lumière intense, comme celle d'un arc éléctrique. Mais le même jour, le San Francisco Call interprétait l'observation comme celle d'un dirigeable. Des temoignages reçus le même jour, dont la grande majorité ne mentionnaient toujours qu'une vive lumière, le San Francisco Call publia surtout ceux qui confortaient l'observation d'un dirigeable. Sur des centaines de témoin, cinq disaient avoir vu un objet allongé en forme d'oeuf, deux prétendaient avoir vu quatre occupants, un seul aurait vu des hélices en éventail. Cela suffit au San Francisco Call qui illustra son article d'un dessin ou l'engin, vu en gros plan, avait quatre grandes hélices! Et par dessus le marché, le même dessin fut réutilisé pour illustrer l'observation d'Oakland. Si ce n'est pas du bourrage de crane, c'est bien imité. Le nombre de témoins potentiels croit quand le public est sensibilisé au survol d'engins mystérieux par la proximité géographique d'observations précédentes. Ici, après Sacramento, les villes où l'on se croyait survolé n'étaient qu'à une centaine de km. La richesse des témoignages est inversement proportionnelle au nombre de témoins. Ici la grande majorité des témoins ne voyaient que ce qu'ils croyaient être le phare du dirigeable. Quand un témoin disait avoir vu de près le dirigeable complet, il était seul. La crédibilité des témoins est systématiquement avancée par les partisans de l'existence réelle des engins. Les témoins cités sont tous plus "dignes-de-foi", les uns que les autres Une polémique se développe entre ceux qui y croient et ceux qui n'y croient pas. Des personnalités sont invitées à donner leur avis. Certains intervenants se ridiculisent avec des hypothèses absurdes. Des canulars circulent, venant de plaisantins ou de mythomanes. Ici le canular de John Horen attendra des dizaines d'années pour être égalé avec celui d'Adamski. Des mystifications font apparaitre l'épave ou les traces du mystérieux engin. La publicité s'en mèle, et si Noël est proche, le père Noël utilise le dernier engin à la mode: l'airship en 1896, la soucoupe en 1954, le spoutnik en 1957. |
|