CHAPITRE III

VALEUR DE L'ASTROLOGIE

Examen objectif
Les textes du Code pénal contre l'astrologie
Que vaut l'astrologie?
L'opinion des astronomes
L'astrologie, résidu d'antiques illusions
Le coeur du problème
Précession des équinoxes
Vraie nature du rayonnement des planètes, son influence
Le déterminisme
L'horoscope de naissance
Un cas dramatique
Biologie et horoscope de naissance
Déterminisme du sexe
Les jumeaux
Les naissances provoquées
Les systèmes d'interprétation
Ses échecs ne dénoncent-ils pas l'astrologie?
L'échec habituel
1° L'astrologie infaillible et omnipotente
2° L'astrologie par correspondance
3° L'astrologie des journaux. L'astrologie foraine
4° L'astrologie, science occulte, domaine de l'irrationnel
5° L'astrologie dite scientifique
Le Comité Belge
Caractères de la preuve expérimentale
Les astrologues attribuent à la Balance une valeur esthétique
les dates de naissance des savants
Un astrologue français contemporain
Danger des statistiques courtes
Robur, astrobiologiste helvétique

L'astrologie a droit à un examen objectif: on ne peut la rejeter qu'après avoir compris ce qu'elle est, ce que font ses adeptes (il en est de maintes sortes), à quoi ils prétendent.
C'est un fait que l'astrologie a une longue histoire : elle plonge même ses racines dans la préhistoire. Florissante en Mésopotamie mais au service exclusif de l'Etat, elle se vulgarise plus tard en Grèce (entendez: se met au service du vulgaire) et profite du progrès de l'Astronomie: l'astronome Ptolémée lui donne sa forme canonique. Ayant connu une rapide diffusion dans l'empire romain, elle partit à la conquête du Globe. Son influence fut prédominante au Moyen Age auprès des rois et des princes. Des savants éminents l'ont pratiquée jusqu'au XVIIe siècle. Elle constitue donc un phénomène historique des plus intéressants à étudier: nous le ferons brièvement au chapitre IV.
Aujourd'hui encore, elle conserve son emprise sur les esprits populaires dans tous les pays du Globe: elle a ses livres, ses journaux, ses sociétés. Elle draine à elle chaque année des sommes incroyables (en dollars, en livres sterling, en francs, en piastres...). Elle demeure donc un phénomène social de grande importance.
Est-elle une science méconnue par les savants officiels, par les doctes académies, ou la survivance d'une antique superstition?
Avant d'entrer dans le débat, je crois indispensable de faire connaître au lecteur l'aspect légal et juridique de la question. Il est interdit par ]a loi de prédire l'avenir moyennant finances, autrement dit la profession d'astrologue est passible des rigueurs de la loi. La publicité abusive (tracts, réclames ou affiches en faveur de ce métier) est répréhensible; pour extorsion de sommes élevées, le délinquant sera inculpé d'escroquerie.
Voici les textes du Code pénal visant l'astrologie (en même temps que d'autres commerces, auxquels elle s'associe ordinairement)

Les textes du Code pénal contre l'astrologie

ART. 479. - Loi du 28 avril 1832. - Seront punis d'une amende de 1.300 fr. à 1.800 fr. :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7° Les gens qui font métier de deviner, de pronostiquer - ou d'expliquer les songes.

ART. 480. - Seront punis d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq jours:
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

4° Les devins, ou interprètes de songes.

ART. 481. - Seront, de plus, saisis et confisqués :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2° Les instruments, ustensiles et costumes servant, ou destinés, à l'exercice du métier de devin, de pronostiqueur - ou d'interprète de songes.

ART. 482 (ordonnance du 4 octobre 1945). - Une peine d'emprisonnement pendant huit jours pourra être prononcée en cas de récidive contre toutes les personnes mentionnées en l'article 479.

Ainsi les clients de l'astrologue sont bien prévenus qu'en lui apportant leur argent ils se font les complices d'un délit. Il y a tolérance (selon la Préfecture de Police) pour les baraques astrologiques des kermesses et fêtes foraines. Les « centres d'études d'influences astrales» qui n'ont aucun but de lucre ni intention vénale ne sont pas visés par la loi.

Que vaut l'astrologie? - Rien, exactement rien. Les chapitres qui suivent se proposent d'expliquer pourquoi. Puissent-ils arrêter sur la pente d'une vieille superstition ceux qui doutent, ou ceux qui n'ont pas encore d'opinion. Car il serait vain d'espérer convaincre ceux qui ont en elle une foi profonde, ancrée par la peur de l'avenir et le besoin de s'y sentir guidé; foi qui repose aussi parfois sur des concordances que l'intéressé estime avoir été probantes.
A ceux qui en font commerce (malgré les lois), on n'a pas à démontrer qu'il s'agit d'une escroquerie: ils le savent mieux que personne. D'ailleurs, la plupart d'entre eux ne savent même pas la définition de l'horoscope, ni du temps sidéral, et leurs consultations par correspondance sont le plus souvent standardisées et imprimées d'avance.

L'opinion des astronomes

Il n'existe pas, de nos jours, sur toute la Terre, un seul astronome, grand ou petit, qui croie à l'astrologie. Je n'ai pas l'intention d'abriter mes propos derrière le principe d'autorité: mais l'unanimité des gens qui connaissent le ciel est tout de même un fait qui a sa valeur. Au nombre de quelques milliers, munis de puissants moyens d'investigation, avides de trouver du nouveau, et qui en trouvent chaque jour (qui ne connaît l'essor de l'Astronomie contemporaine ?) les astronomes, en pleine connaissance de cause, opposent à l'astrologie une incrédulité complète et, aux charlatans qui s'en servent, une hostilité déclarée. L'importance du fait est si grande que les astrologues cherchent à le minimiser: hostilité de principe, disent-ils; querelle de boutique; esprit de chapelle; « science officielle » jalouse de son monopole. Allons donc ! Qui peut le croire? Qui empêcherait un astronome de publier son accord sur une loi astrologique, s'il la reconnaissait juste et bien fondée, et de s'illustrer d'autant mieux, par cette preuve, qu'elle serait plus inattendue?
Et d'ailleurs, jusqu'au Moyen Age, n'y eut-il pas des astronomes, et non des moindres, à pratiquer l'astrologie? Pourquoi leurs successeurs en ont-ils abandonné le commerce? La réponse est évidente; les progrès de la science les ont convaincus de la fausseté de la doctrine astrologique.
L'une des plus vastes et des plus célèbres sociétés astronomiques du monde, l'A. G. (Astronomische Gesellschaft), de caractère international, a tenu à élever sa voix contre les prétentions de l'astrologie en son congrès de Bonn (1949). Voici quelques passages de sa déclaration:

« De nos jours, ce qui s'intitule Astrologie, Cosmobiologie, etc., n'est qu'un mélange de superstition, de charlatanisme et de commerce.
« Certes, tous les astrologues ne se bornent pas à fournir des imprimés-types, où l'on trouve des analyses de caractère ou des conseils relatifs à toutes les situations de la vie. Il existe des « cercles astrologiques » qui opposent à ces sottises leur propre astrologie, prétendue sérieuse. Mais cette astrologie-là n'a pas pu, non plus, fournir la preuve qu'elle soit une science ni que ses méthodes soient scientifiques. A cela, les prédictions qui, par hasard, se seraient réalisées ne peuvent rien changer.
« L'astrologie n'est qu'un système de règles admises arbitrairement. » (Traduction S. AREND.)

Nous aurons l'occasion de développer la plupart de ces jugements.
Si l'astrologie est fausse, depuis tant de siècles qu'elle exerce ses pouvoirs, comment se fait-il qu'il y ait encore des gens pour croire en elle?
La vérité ou la fausseté de certains phénomènes n'est pas forcément du domaine de l'évidence et un grand nombre de nos contemporains ne sont pas préparés à trancher par eux-mêmes un débat dont, au surplus, ils sont souvent mal informés. Ils s'en rapportent au jugement d'autrui. Si, par malchance, ils ont été élevés dans un milieu irrationaliste, ou s'ils sont tombés sous l'emprise d'un zélateur de l'astrologie, ils pourront demeurer dans l'erreur toute leur vie.
Lorsqu'on met les astrologues en présence de la résistance unanime des savants, ils ont coutume de développer une attaque de diversion. Ils énumèrent les cas où des savants, d'abord hostiles à quelque nouveauté, ont dû plus tard faire amende honorable. Mais l'astrologie est le contraire d'une nouveauté : les hommes de science ont eu tout le temps voulu pour se faire une opinion, ils sont même las de s'y être attardés; ses vains mirages, sa perpétuelle stagnation, ses échecs, n'ont plus rien qui les surprenne. Leur résistance va croissant.
Mais après avoir jeté le doute sur le jugement des aréopages, les astrologues font état des découvertes contemporaines (qui ne doivent rien à leurs rêveries) pour invoquer des découvertes futures qui justifieraient enfin leur art. Radio-activité, rayons X, .. rayons cosmiques, T. S. F., vitamines, tout leur est bon. Ils sont aux aguets de l'actualité scientifique pour en étayer leur doctrine: à les en croire, il n'est neutron ou positon, méson ou écho radar, qui ne parle en leur faveur.
« Puisqu'il est avéré, Messieurs les savants officiels, que vous ignoriez, jusqu'au xxe siècle, tant de choses, aurez-vous l'outrecuidance de prétendre désormais tout savoir du Ciel et de la Terre? Ne découvrira-t-on rien demain qui justifie l'astrologie?
Cette riposte se retourne aisément contre ses auteurs.
Ce ne sont pas les astronomes qui se targuent de tout savoir, ce sont les astrologues. Ce sont eux qui attribuent aux astres mille propriétés stupéfiantes sans avoir jamais, au cours des siècles, apporté la moindre preuve d'un seul de leurs principes.
De nos jours, la science accueille avec faveur les faits nouveaux, pourvu qu'on les lui présente avec netteté et qu'ils soient reproductibles. Il est juste qu'elle ait de la méfiance à l'égard des affirmations sans preuves: trop de charlatans ont essayé de capter ses suffrages - même dans un passé récent.
Au contraire, l'illuminé admet le merveilleux avant toute preuve; il suffit qu'un émotif ignore la Physique pour qu'il introduise partout des radiations aux vertus incomparables et se proclame un martyr si l'Académie ne forme pas le cercle autour de lui.
La hâte à tirer parti des découvertes de l'astronomie sans les avoir comprises conduit souvent les astro]ogues à de risibles bévues. L'un d'eux vient d'apprendre que le mouvement radial (en profondeur) modifie la lumière de l'astre (effet Doppler-Fizeau) mais il comprend mal et croit qu'il s'agit d'une propriété du déplacement transversal.
« L'Astronomie finit par nous donner raison, écrit-il: nous avons toujours affirmé qu'une planète en progression directe n'a pas la même influence que lorsqu'elle est rétrograde. Or les astronomes découvrent maintenant qu'en effet, elle n'a pas le même spectre dans les deux cas ! »

L'astrologie, résidu d'antiques illusions

L'astrologie porte la marque des siècles où la Terre passait pour le centre de l'Univers, où l'homme croyait les astres créés à son intention et disposés pour son usage, où il les tenait pour des Dieux, présidant à sa naissance et préposés à son destin.
Astrologie implique polythéisme. Ces Dieux planètes nombreux, capricieux et changeants, qui luttent d'influence entre eux, sont encore le thème principal de l'astrologie contemporaine.
Les qualités attribuées aux planètes ne sont que les attributs des Dieux du panthéon grec. Du jour où une planète fut nommée Saturne (chronos) et identifiée au Dieu qui dévorait ses enfants, ce bloc de roches et de gaz fut tenu pour maléfique; et parce que des planètes, grosso modo semblables entre elles, reçurent des noms de personnages de conte de fées, il fut admis qu'elles avaient des influences très dissemblables. Ce symbolisme ressemble à celui des cartes à jouer et a la même valeur: on imprime un coeur sur un morceau de carton et ce carton doit désormais nous éclairer sur l'issue des affaires de coeur. (Les croyants de la cartomancie sont souvent les fidèles de l'horoscope.) L'examen des entrailles de poulet, du vol des oiseaux, etc., allaient de pair avec l'astrologie, dans la prédiction du futur. Ces symbioses de superstitions sont encore la règle de nos jours (boule de cristal, tarots, lignes de la main, marc de café, horoscope et pendule) ; elles montrent bien la source et la valeur de ces survivances d'un passé où l'humanité sortait à peine des brumes de son enfance.
A l'époque royale du grand Ptolémée, son législateur, nous voyons l'astrologie s'identifier aux illusions et aux théories de l'époque, à une pauvre pseudo-physique, avec ses quatre qualités, ses quatre éléments, ses quatre humeurs. Pour masquer cette pauvreté, cette absence de base actuellement valable, nos astrologues font appel à des concepts rajeunis mais dénués de signification scientifique et qui ne sauraient faire illusion. La mode veut aujourd'hui que l'astrologie repose sur les vibrations cosmiques. Voici une phrase que je puise, entre mille, dans un gros manuel astrologique édité aux Etats-Unis et dont l'auteur (c'est une femme) a connu une vogue fantastique:
« Les étoiles et les planètes vibraient aux jours de l'ancienne Babylone, tout comme elles avaient vibré aux âges antérieurs, tout comme elles vibrent aujourd'hui, et comme elles vibreront dans le futur. » Propos poétique sans doute, mais opposons-lui un fait: les planètes ne vibrent pas, absolument pas; cette vibration de planètes s'apparente à la musique des sphères, chère aux Pythagoriciens.
Tel autre augure nous dit, ces temps-ci: « L'horoscope spécifie l'état magnétique terrestre. d'un instant et d'un lieu. » Voilà une belle phrase, mais qui n'a aucune signification scientifique.
Pour un de ses brillants confrères « L'horoscope de naissance résume le ciel et les circonstances astrales des neuf mois qui viennent de s'écouler ».
Le contenu de cette phrase est astronomiquement dénué de sens, et, d'ailleurs, contredit la précédente:
L'horoscope résume-t-il neuf mois de ciel, ou bien spécifie-t-il un instant déterminé? et un état terrestre encore! Mettez-vous d'accord, Messieurs!

Le coeur du problème. - La tare essentielle de l'astrologie réside dans une extrapolation abusive des relations entre le Soleil et la Terre, dans une application fallacieuse d'incontestables lois à des thèmes particuliers. Il y a abus de déterminisme. Pour défendre l'astrologie, on vous dira: « Puisque le Soleil engendre les saisons et intéresse ainsi l'humanité entière, comment nier qu'il intéresse M. Durand en particulier? Puisque la Lune entre en jeu dans le phénomène des marées, pourquoi sa présence, ou son absence, dans tel ciel de nativité, n'imprimerait-elle pas à l'âme telle tournure décisive? Si les astres déterminent en quelque manière nos climats, pourquoi Mars ou Saturne ne contrôleraient-ils pas les guerres et les révolutions? Si le cours des planètes est prévisible, pourquoi leurs influences sur l'avenir ne le seraient-elles pas? »
Oui, en effet, pourquoi?
Le tour de passe-passe est grossier: il s'opère dans le glissement du général au particulier, dans l'abandon des relations propres à la physique du Globe (globales comme leur nom le rappelle) pour des spécifications qui n'en découlent nullement, d'une particularité souvent ahurissante et qui n'ont, à aucune époque, été établies.
Oui, le Soleil chauffe la Terre et y entretient la vie : mais il ne s'ensuit pas qu'il s'intéresse à vos affaires de coeur; oui, la Lune participe aux marées, mais elle ne vous conseille pas dans le choix d'un billet gagnant; oui, la planète Mars est rougeâtre, mais ce rouge n'est ni celui du fer rouillé, ni celui du sang: elle porte le nom du Dieu de la guerre, mais ce nom que nous lui avons donné n'implique en rien qu'elle intéresse les vertus guerrières ni qu'elle engendre les conflits; oui, Jupiter est une belle planète, mais sa présence au milieu de votre ciel de nativité ne garantit en rien votre succès au Baccalauréat (il vaut mieux avoir étudié le programme).
Ces phrases, qui vont du coq à l'âne, me semblent caractériser le genre d'erreur propre à l'astrologie dès son origine: d'une influence vraie, elle a passé à d'autres relations imaginaires; elle a érigé en lois des coincidences fortuites, aux âges lointains où l'humanité, livrée à sa soif de merveilleux, à son désir de connaitre l'avenir, n'avait encore aucune règle de contrôle scientifique. Nous verrons l'astrologie associée aux balbutiements de la pensée humaine dans le chapitre consacré à son histoire.
Les liens que Ptolémée, au second siècle de notre ère, établissait entre les planètes et nous, ces qualités de chaud, de froid, de sec, d'humide, ces pseudo-éléments (terre, feu, etc.), ces humeurs, cette métallurgie alchimique, tout cela serait touchant si les conclusions qu'il en a déduites n'étaient encore parole d'Evangile pour les astrologues contemporains.
Impossibles à démontrer, les propriétés astrologiques possèdent, nous dit-on, une base traditionnelle ; elles seraient fondées sur l'observation, pendant des miIlénaires (voire des centaines de millénaires) de corrélations, de coincidences, dont la répétition aurait montré la valeur; l'astrologie serait, en somme, un code empirique des correspondances efficaces. Et, en effet, pour fonder un empirisme vrai, établir des principes universels, il eût fallu passer au crible d'une impitoyable critique d'innombrables registres de corrélations concernant différentes races, différentes nations, différents climats, il eût fallu confronter avec minutie des millions d'horoscopes avec le destin ultérieur des individus.
L'histoire ne nous révèle rien de tel. Les origines chaldéennes de l'astrologie sont bien établies; dans les deux ou trois millénaires qui ont précédé notre ère, nous y voyons fleurir une astrologie, mais elle ne concerne en rien les individus: elle traite uniquement du roi et des affaires de l'Etat. Aucune tradition, aucune allusion même, ne concerne l'essence de l'astrologie grecque ou contemporaine, à savoir: les liens de l'individu quelconque avec le ciel. Cette astrologie généthliaque et horaire est née peu de temps avant notre ère, au milieu des mythes et des superstitions du bassin méditerranéen, à côté des premiers élans de la science rationnelle: elle n'a point de source dans un passé plus lointain, elle porte la marque des illusions et des concepts propres à cette époque.
Un astrologue helvétique contemporain invoque des documents écrits vieux de six cent mille ans. Tout préhistorien peut vous dire que l'homme de Néanderthal, il y a cent mille ans, ne disposait encore que de silex grossièrement taillés et d'un langage articulé rudimentaire.
L'homme néolithique, il y a dix mille ans, s'il pratiquait la culture, l'élevage, le tissage, la poterie, la navigation, ignorait encore les métaux. Invoquer des protocoles d'observation vieux de six cent mille ans est absurde. N'insistons pas. Mais à la grande époque des Grecs, les documents abondent: nous n'avons aucune mention, ni aucune trace, même alors, d'éventuelles statistiques ni d'une étude de corrélations. Il est évident qu'on ne s'en est pas soucié. Les systèmes de vaticination n'ont jamais prétendu déduire le futur d'un inventaire approfondi du présent et de la connaissance des lois naturelles.
En interprétant le vol des oiseaux ou les entrailles des victimes, l'augure ou l'aruspice se donnait pour un simple porte-voix des Dieux. De même, le mage antique se flattait de révéler une correspondance préétablie entre les phénomènes célestes et le cours des affaires humaines.
D'ailleurs, la science des probabilités est récente, délicate à manier. Ceux de nos astrologues qui ont recours à elle ne savent pas s'en servir: ils érigent en loi astrologique tout écart par rapport à la moyenne, même si cet écart est normal, c'est-à-dire probable. Nous verrons cela. Au surplus, il est facile de voir, dans notre temps, comment s'établissent les corrélations de l'astrologie. Une planète n'est pas plus tôt découverte qu'aussitôt ces messieurs publient des listes de propriétés et les appliquent à leurs prédictions. Bien loin d'attendre des contrôles de longue durée, et l'enseignement d'observations assidues, avant même que la trajectoire soit établie, on se rue à l'actualité. A planètes modernes, applications modernes: Uranus, Neptune et Pluton auront en pâture les chemins de fer, les autos, les avions.
Par surenchère, chacun a voulu trouver quelque propriété à. ces nouvelles venues; si bien qu'à considérer l'ensemble, elles se trouvent parmi les planètes les plus importantes. Pauvres astrologues du temps passé, qui vaticinaient sans elles !

Précession des équinoxes. - La foi en l'astrologie a résisté à une bien rude épreuve. La précession des équinoxes a offert aux hommes une belle occasion de renoncer à leurs errements.
Quand les Anciens eurent convenu que les étoiles de la case n° 5 du Zodiaque dessinaient un Lion, cette case fut dotée des qualités (contestables, semble-t-il) que l'on attribuait à l'animal: détermination, courage, générosité, orgueil, esprit dominateur.
Lorsque le Lion domine l'horoscope, l'enfant, par un singulier transfert, hérite ces composantes favorables, dans son corps et dans son esprit.
Nous avons vu (
chap. 1) que la ceinture des signes a glissé d'une case. Le signe du Lion recouvre maintenant la constellation du Cancer. Or, ce n'est pas à la constellation du Lion que l'astrologie ultérieure a conservé les attributs du courage, de la force. etc., c'est au signe, c'est à dire à une étendue vide d'étoiles, à un rectangle dépouillé de contenu
Un enfant, né sous le signe du Lion qui contenait la constellation du lion il y a deux mille ans, devait être courageux. Passons. Mais de nos jours, un enfant né sous le signe du Lion doit être courageux, bien qu'en réalité ce soit l'écrevisse qui se lève: on ne voit plus du tout le rapport. Les intentions des législateurs de l'astrologie sont assurément violées: la tradition de la forme, la lettre du système, l'ont emporté sur le fond. Il est vrai que cette bévue est sans importance, le résultat des opérations astrologiques n'est pas plus mauvais qu'autrefois, ni meilleur, naturellement!
Les astrologues ripostent que c'est bien au signe, et non à la constellation, que s'attachent les vertus: il est fâcheux que les vertus de chaque signe expriment très exactement les qualités supposées de l'animal mythique qui habite aujourd'hui la case précédente du Zodiaque.
Certains astrologues ont tenté d'expliquer que, par une sorte de rémanence, le signe restait imprégné de l'influence qui avait été si longtemps la sienne. Mais, au temps d'Hipparque, n'y avait-il pas rémanence des constellations antérieures? Si vingt-six mille ans nous semblent une longue durée, pour la Terre c'est bien peu: la ceinture des signes, dans le passé, a glissé bien des fois, sur les effigies des animaux; quel mélange d'influences! Cette pauvre riposte montre simplement qu'un astrologue n'est jamais pris de court: il ne s'incline jamais devant l'évidence, il a toujours une excuse. Nous en verrons maints exemples.

Vraie nature du rayonnement des planètes, son influence. - Les planètes sont des corps petits et froids. Leur lumière est surtout de la lumière solaire, qu'elles nous renvoient comme des miroirs; et non seulement cette lumière n'a pas de qualités propres puisqu'elle vient indirectement du Soleil - mais sa quantité est négligeable en regard des variation. incessantes de l'activité solaire. Car le Soleil a des taches, des facules, des protubérances qui modifient d'un instant à l'autre son rayonnement. Ces variations rapides du flux solaire, dont aucun astrologue ne tient compte, sont cependant des millions de fois plus intenses, pour la Terre, que la somme des rayonnements planétaires!
Comme tout corps qui n'est pas à la température du zéro absolu, les planètes ont une émission propre; mais en raison de leur basse température, cette émission est infrarouge. En outre, elle est mille fois moins abondante encore que la lumière visible réfléchie par la planète. C'est merveille d'avoir pu la déceler, récemment, avec les puissants moyens de l'astrophysique.
De cet infrarouge planétaire si infime, l'astrologie peut-elle tirer avantage? Il est arrêté par le moindre obstacle (murs des maisons, vêtements, rideaux) et l'on n'expose nullement le nouveau-nê tout nu à la lumière des planètes. D'ailleurs, les murs de la pièce, les meubles, la lampe, le bec de gaz sous la fenêtre, l'accoucheur même, dêbitent beaucoup plus d'infrarouge et irradient beaucoup mieux l'enfant que ne peut le faire la planète.
Dans une large mesure, les planètes ont des constitutions analogues (roches et gaz). Il est extrêmement improbable (même si nous admettions un mystêrieux mêcanisme de transfert des influences) que des corps semblables aient sur les affaires humaines des actions si différentes, et même contradictoires.
Nous sommes obligés d'admettre que des blocs rocheux entourés d'une atmosphère agissent diffêremment parce qu'ils portent des noms de personnages de conte! de fées.
Au surplus, l'astrologie ne tient aucun compte des magnitudes apparentes; Mars et Vênus ont des distances à la Terre qui varient de 1 à 7 selon l'époque: nul horoscope ne fait intervenir ce facteur distance. (En astronomie, les effets sont généralement à l'inverse du carré des distances: l'action devrait varier de 50 à 1 pour l'horoscope, au cours de la révolution.)
Si, entrant dans le jeu, nous tenons compte des photons planétaires venus jusqu'à la Terre, resterait à dêmontrer leur ahurissante sélectivitê sur le nouveau-né, cependant que, dans les berceaux voisins, les enfants venus au monde trois ou six heures auparavant n'en seraient plus affectés. Pourquoi les astres agiraient-ils à l'instant de la naissance et non pas à d'autres? L'objection a paru si valable que certains astrologues ont remplacé l'instant de la naissance par celui de la conception. A mon avis, ce n'est pas plus mal - ni mieux. Resterait ensuite à prouver l'influence élective de tel astre sur telle faculté mentale; en ce domaine, les biologistes préfèrent vraiment incriminer l'hérédité et le milieu. Resterait encore à prouver le déterminisme à long terme, l'arrivée future des amis, des ennemis, des microbes, répondant à l'appel primitif de ces faibles lueurs céleste!!, éparses parmi les lumières et parmi les calories de la ville ! Je m'arrête; nous n'en finîrions pas.
Vous commencez à voir, j'espère, pourquoi nous sommes rétifs à ces charmes.
Il est d'ailleurs notoire qu'on ne convainct jamais un astrologue. Si vous lui montrez que l'action des planètes ne peut être que dérisoire, il vous répondra qu'une petite cause peut avoir de grands effets, que vous l'oubliez fâcheusement - et il vous fera une conférence sur les vitamines!

Le déterminisme. - En leur principe, les prédictions astrologiques impliquent l'existence d'un déterminisme à longue échéance qui apparait d'emblée comme une singulière outrance, comme une caricature du déterminisme scientifique. Un vieillard de soixante-quinze ans glisse sur une pelure d'orange: il se tue. L'événement et sa cause ont assurément obéi aux lois de la Mécanique. Mais le déterministe le plus convaincu ne prétend pas que la semelle du vieillard et la pelure d'orange avaient déjà leur superposition mortelle inscrite dans les faits soixante-quinze ans d'avance. Nous disons que le malheur est dû au hasard parce qu'une infinité d'événements indépendants ont contribué à en réaliser les conditions. Tant de circonstances fortuites dévient à chaque seconde nos gestes que la prédiction de l'accident, même une minute d'avance, est impossible.
Il est encore plus remarquable, comme le fait l'astrologue, d'associer à la gestation de cette glissade certains corps célestes, par la position où ils se trouvaient soixante-quinze ans auparavant, à l'heure de la naissance du pauvre homme. Un déterminisme à long terme est ainsi attribué à un aspect fugitif et même instantané de la voûte céleste.
Si l'on y réfléchit, quel furieux orgueil, chez tout client de l'astrologie: on fait intervenir dans le détail quotidien de sa petite existence quelques pIanètes, beaucoup d'étoiles, et il ne sourcille point. Les particularités de sa santé et de son caractère, on ne les attribue pas à son hérédité, aux chromosomes ou aux tares de son père ou de son grand-père, ni à l'éducation qu'il a reçue, ni au milieu social où il a vécu: non, ce sont les signes du Zodiaque et les planètes qui, comme des fées, se sont penchés sur son berceau pour en décider.

L 'horoscope de naissance. - Deux heures plus tôt ou deux heures plus tard, tous les signes et toutes les planètes auraient changé de maison: le pronostic serait totalement différent. Si le principe même d'une prédétermination de l'avenir ne vous semble pas absurde, que pensez-vous de la détermination totale donnée en apanage à un unique instant, précis? Les astres sont souverains sur l'enfant à 8 heures et seraient sans effet aucun à 10 heures, ni plus tard? Que valent les horoscopes fondés sur des heures fausses? Et tous ceux du passé, où l'heure était vague?
De nos jours, d'ailleurs, malgré nos annuaires précis, lorsque des astrologues réputés prennent la peine de publier leurs calculs de base, nous n'en trouvons pas beaucoup d'exacts. Ne voyons-nous pas un pontife (directeur de l'Ecole centrale d'Astrologie !) se tromper de dix heures, et insister sur sa bévue?
Je cite : « Domifier la carte du ciel pour une nativité du 10 mai à 6 heures du soir, à Ottawa (heure locale).
« Nous savons en regardant la mappemonde qu'Ottawa est voisin du méridien situé à cinq heures EST (sic) de Greenwich. Ainsi quand il est 18 heures à Ottawa, il n'est encore que 13 heures à Greenwich, puisque Ottawa est situé à l'EST (!) et que le Soleil marche apparemment de l'Est à l'Ouest. »
(Collection des Cahiers de Destins, fasc. no 4, avril 1947, p. 125.)

Horreur! Quand il est 18 heures à Ottawa, il est déjà 23 heures à Greenwich, Monsieur le Directeur; votre domification sera belle!

Un cas dramatique. - Le pôle nord de l'écliptique se trouve à 23°,5 du Pôle nord céleste. Les points de la Terre qui sont situés sur le cercle polaire ont leur zénith à 23°,5 du Pôle céleste. Donc, au cours du mouvement diurne, le pôle de l'écliptique passe chaque jour au zénith de tous ces lieux terrestres. Alors, l'écliptique coincide avec l'horizon et ne traverse plus aucune maison. Il n'y a plus d'horoscope pour les malheureux qui naissent à ce moment-là. Pour ces Alaskiens, Canadiens, Groenlandais, Norvégiens, Suédois, Finlandais, Russes et Sibériens, quel peut être l'avenir, sous d'aussi affreux auspices? Le ciel leur manque, à l'origine.

Biologie et horoscope de naissance

Si nous appelons les biologistes à la rescousse, à propos de l'horoscope de naissance, ils vous diront qu'à l'instant où l'enfant voit le jour, l'œuf et le fœtus ont déjà trois cents jours d'existence, portant en eux la double hérédité, avec ses tares, ses qualités et ses défauts, et amorçant déjà le développement propre de l'individu au sein d'un milieu plus ou moins propice.
D'ailleurs, pourquoi ne pas mettre en concurrence par exemple, l'instant où l'enfant sort pour la première fois à l'air libre, ou celui de son baptême, ou de sa première communion?
Pour répondre à cette objection, un porte-parole de la corporation, Bigarreau (
Ch.5, Les ripostes à prévoir), allègue que la position des astres lors de la naissance est représentative de leur action sur le fœtus pendant les mois de la gestation.
Ce non-sens est flagrant. Dire que le ciel d'un instant résume les ciels des neuf mois antérieurs, est dénué de signification astronomique: il résume aussi bien l'éternité du passé et du futur, ou plutôt, il ne résume rien du tout. Astrologiquement, c'est pire: car l'état du ciel, six heures avant ou sept heures après la naissance, résumerait aussi bien les neuf mois approximatifs de la gestation. Or, le thème astrologique et l'horoscope changent radicalement d'heure en heure. C'est avouer, implicitement, que l'horoscope n'a aucune valeur.

Déterminisme du sexe. - Chacun peut lire, au cours des siècles, toutes les causes que les astrologues ont invoquée! pour expliquer que le nouveau-né fût un garçon plutôt qu'une fille (ou vice versa) : c'était la saison, le jour,la Lune, les conjonctions d'astres.
La science nous apprend, aujourd'hui, que la décision dépend du chromosome Y porté (ou non) par la cellule fécondante.
Tout le reste n'y change rien.

Les jumeaux. - Si l'astrologie était vraie, les jumeaux devraient avoir le même destin, et spécialement les vrais jumeaux, dont les stocks héréditaires sont identiques. Dès l'Antiquité, la dissemblance de leurs destinées avait paru fatale à l'astrologie. On lira, en appendice, les pages que saint Augustin consacre à cette question.
Dans les maternités des grandes villes, de nos jours, viennent au monde à la même heure, des enfants dont la patrie, la race, le milieu sont différents. Le fils du paria naît au voisinage d'un héritier du nabab. Qui ose prétendre que le ciel leur a donné des chances égales?

Les naissances provoquées. - Il est de plus en plus fréquent que le médecin opère l'accouchement à une date souvent très différente du terme naturel. Ainsi serait changé, avec le thème astral, le destin de l'individu, dont la vie entière deviendrait artificielle. Les fanatiques de l'astrologie n'iraient-ils pas jusqu'à demander un accouchement médical à un instant astral propice?
Il est amusant de voir patauger les astrologues pour répondre à ces difficultés.
Un ciel « harmonique », dit l'un, n'est réellement « favorable » que si la naissance a été normale. II y a danger à perturber les influences astrales, dit l'autre. L'enfant attend pour naître un ciel conforme à sa nature, ou conforme au ciel de naissance de ses parents, dit un troisième: à ce compte, l'enfant aurait ses qualités propres et le ciel, au lieu d'être la cause, serait simple témoin, simple indicateur? Ptolémée a dit au IIIe Livre du Tétrabiblos :
« Lorsque le fruit est parfait, la nature le meut en sorte qu'il naisse sous telle figure du ciel qui réponde à cette constitution première où il était au temps de la conception.»

Les systèmes d'interprétation. - Un caractère distinctif de la science c'est d'être universelle: ses conclusions sont acceptées par tout être capable de comprendre ses raisonnements, et elle ne donne pour réels que des phénomènes que chacun peut à volonté reproduire ou observer.
Au contraire, l'astrologie, dans l'essentiel, c'est-à-dire dans ses conclusions, est parfaitement floue et indéterminée.
Après le travail astronomique (plus ou moins rigoureux) de mise en place, on se trouve en présence d'une infinité de systèmes de vaticination. Chaque astrologue a le sien et les règles d'interprétation sont si vagues, les combinaisons et dosages d'influences si nombreux et mal définis, qu'au total, c'est un plongeon dans l'aléatoire et dans le facultatif.
L'expérience a été faite et peut aisément être répétée: si l'on présente un ciel de nativité successivement à plusieurs astrologues, les commentaires diffèrent du tout au tout et peuvent n'avoir rien de commun. La part laissée aux constructions mentales, à l'imagination du prophète est si grande, que l'arbitraire est total. La prédiction peut osciller de la banalité peu compromettante à l'ambigulté propice. Si le devin connaît le consultant et les circonstances de sa vie, il essaiera de pronostiquer le probable, de tomber d'accord avec la solution que le sens commun proposerait.

Ses échecs ne dénoncent-ils pas l'astrologie? - L'astrologie est un exemple des erreurs initiales où l'esprit humain est tombé. Mais l'humanité va de l'erreur vers la vérité: ce qui surprend, c'est que l'erreur subsiste une fois la vérité perçue et à côté d'elle. Il est remarquable que l'astrologie ait maintenu à travers les siècles son existence malgré l'habituelle fausseté de ses prédictions. Pourquoi des échecs éclatants n'ont-ils pas fait la preuve de la vanité de ses prétentions?
Hélas, l'astrologie trouve en nous-mêmes d'incorrigibles complices. Dans leur soif ardente de connaître l'avenir, les hommes reçoivent avec intérêt quiconque prétend le découvrir. « Si une vieille femme disait la bonne aventure dans la pièce à côté, vous ne seriez pas à à m'écouter », disait un astronome désabusé au cours d'une conférence.
L'astrologue n'a pas à faire l'éducation du public pour l'amener à accepter ses chimères; la clientèle préexiste, on brûle d'entendre le magicien et, ce qui est plus favorable encore, on est avide de le croire.
Dans cette ambiance, une seule prédiction réussie fait plus de bien que mille erreurs ne font de tort : on oublie les échecs, le succès unique frappe.
Car, si peu fondées qu'elles soient, il arrive que des prédictions se réalisent - surtout si leur expression est suffisamment vague. C'est une question de probabilité. Voltaire a dit magnifiquement: « Un astrologue ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours! »
Devant un échec avéré, les explications ne manquent pas: « Comme toute science, l'astrologie est encore imparfaite et pour une fois, il y a eu erreur.» Cette feinte humilité laisse entendre que la plupart du temps les prédictions tombent juste.
Quand il s'agit d'un collègue pris en défaut, l'astrologue entre volontiers dans le concert des plaintes: « Oui, écrit l'un d'eux, notre science est discréditée par des charlatans, qui vaticinent à tort et à travers, et pillent le public. Nous sommes les premiers, nous, les vrais astrologues, à protester, avec les vrais savants, contre les aigrefins de l'astrologie, qui sont notre honte ». Malheureusement, on ne nous propose aucun critère pour discerner les vrais astrologues des faux et dans les œuvres de celui qui s'indigne si fort, on ne trouve rien qui le distingue vraiment des autres faiseurs d'horoscope.

L'échec habituel. - De même que la réussite d'une prédiction ne démontre pas la vérité de l'astrologie, un échec ne saurait suffire à la discréditer. D'ailleurs, nos prédiseurs invoquent l'exemple de la médecine: ce n'est pas parce que tel médecin tuerait ses malades que la médecine cesserait d'avoir une valeur et tout médecin connait des échecs. Mais la comparaison ne saurait être poussée bien loin : en astrologie, c'est la réussite qui est l'exception. Nous verrons les paniques que l'astrologie déclencha au cours des âges (chap. IV).
De nos jours, la constance dans l'échec, mise en parallèle avec les prétentions à une rigueur absolue, avec les fanfaronnades démesurées, est tout de même probante.
Bobertag, ayant demandé aux astrologues allemands les plus connus, les horoscopes d'une série de personnes sur qui il avait des renseignements complets, reçut pour chaque individu, des horoscopes tous différents; dans l'ensemble, il ne se trouva pas une seule conclusion que l'on pût considérer comme véridique.
Il est d'ailleurs facile de prendre les hauts dignitaires de l'ordre astrologique en flagrant délit. Prenons par exemple un bulletin du grand collège (janvier-février 1950). Sous la plume du chef, je trouve un texte de six pages serrées sur le thème de la IVe République et qui se conclut ainsi: La 1Ve République ne peut pas vivre plus de trois ans trois quarts; née le 13 octobre 1946, elle s'éteindra au plus tard le 13 juillet 1950 et une poigne vigoureuse s'emparera des leviers pour un régime nouveau. Tiens, tiens: le délai de grâce est écoulé depuis longtemps et les deux phénomènes annoncés n'ont pas encore répondu aux désirs.
Mais ce champion de l'astrologie dite sérieuse, associe, comme ce fut le cas autrefois, sa spéculatoire aux autres superstitions courantes. La mystique des nombres, les tarots, la boule de cristal, la géomancie, le marc de café, l'oniromancie, la théurgie, sont ses fidèles compagnons. Voici un texte tiré du même bulletin (p. 169) et signé par le maitre :
Il m'arrive de rencontrer des astrologiens qui considèrent la Géomancie comme une amusette en marge de l'astrologie ; c'est là une erreur funeste, qui les prive d'un admirable moyen d'éclairer l'astrologie horaire. Si vous voulez des climats généraux, ou des dates d'événements assez vaguement définis, c'est l'astrologie qui vous les donnera; si vous voulez un conseil précis sur un fait précis, épisodique, relevant de ce que l'on appelle « l'astrologie horaire », c'est aux Djinns qu'il faut le demander. L'arithmologie, critère infaillible, affirme la vérité des oracles géomantiques.

Variété des astrologues

1° L'astrologie infaillible et omnipotente. Déterminisme absolu de notre destin sous l'influence exclusive des astres. - Voici des extraits d'un magazine astrologique actuel:

Année, mois, jour et heure de votre naissance décident absolument de l'avenir de vos projets, de vos efforts, de vos espoirs: tous les experts en la matière sont d'accord là-dessus. Des siècles d'études prouvent que les prédictions faites sur ces bases exactes sont d'une exactitude étonnante.

Ainsi, pas de doute: la prédestination est absolue, l'homme n'a aucun libre arbitre. Celui qui croit être maitre de son âme, avoir sa chance en ce bas monde est dans l'erreur; inutile de chercher à s'élever, à conquérir par le travail une situation meileure : les astres, une fois pour toutes, ont décidé. Mais poursuivons la citation du même magazine:

Quels que soient vos problèmes - amour, argent, mariage, métier, santé, vocation, éducation des enfants, logement, placements, embauchage, recherche d'emploi, débuts dans le commerce, opérations de bourse - en bref, tout problème de votre vie quotidienne, quel qu'il soit, l'astrologie scientifique peut le résoudre et vous conduire à son heureuse solution.

D'ailleurs, la couverture colorée des périodiques astrologiques offre à tous, en surimpression au Zodiaque, d'alléchantes perspectives.

Comment gagner de l'argent.
Comment attirer l'amour.
Comment trouver un bon métier.
Comment faire un beau mariage.

Le célèbre Lilly écrivait déjà (en 1651) :

Si une question vous préoccupe sérieusement, notez l'heure et la minute où la question, pour la première fois, s'est posée à vous; faites l'horoscope et les doutes seront instantanément levés. En cinq minutes, on saura ainsi, infailliblement, si l'affaire réussira ou non; s'il est prudent, ou non, d'accepter l'offre faite.

Voilà qui donne à l'astrologue professionnel ses meilleures chances de recolter une clientèle permanente; car des problèmes se posent à chacun sans cesse et il faudra souvent revenir à la consultation.
Mais qui ne voit, ici, une flagrante contradiction, dont ces astrologues commerçants se soucient fort peu: si le destin est vraiment déterminé, en quoi le fait de le connaitre peut-il être utile? Les astres fourniraient-ils le moyen à la fois de connaitre leurs propres décisions et de les rendre fausses? S'il suffit d'aller chez le magicien pour déformer l'avenir, et transformer le malheur en bonheur, pour 500 fr., c'est que l'avenir n'est pas si bien déterminé ni le pouvoir des astres bien certain ?

2° L'astrologie par correspondance. - Les horoscopes individuels que l'on peut obtenir en écrivant à une firme astrologique, moyennant adjonction d'un billet de 100 fr. (ou davantage) dans l'enveloppe, sont des polycopies d'un petit nombre d'horoscopes passe-partout établis une fois pour toutes, en formules bien vagues et peu compromettantes. Est-il besoin de dire qu'à ces prétendus horoscopes, les astres n'ont pas collaboré? Leur rédaction est l'œuvre de spécialistes dans l'art d'attirer les dupes, qui, le plus souvent, sont ignares sur les rudiments même de l'étude du ciel. La preuve en a été faite maintes fois devant les tribunaux.

3° L'astrologie des journaux. L'astrologie foraine. - Notre grande Presse, « au service de la vérité et du progrès» et la plupart des hebdomadaires (surtout féminins) publient des horoscopes, quotidiens ou hebdomadaires, qui insultent aux lecteurs, tant ils montrent qu'on les tient pour des imbéciles.
« Les enfants nés en ce jour seront des poètes ». Comme si, le jour où Musset naquit, étaient apparus des poètes à la pelle!
« Mauvaise journée pour traiter une affaire. » Mais le jour où vous vous faites rouler n'est-il pas excellent pour l'antagoniste? Et que dire du minutage des pronostics?
« Ce lundi, de 10 h. 37 à 10 h. 48, évitez de vous trouver en taxi; de 10 h. 48 à Il h. 17, moment favorable à vos achats; de Il h. 17 à Il h. 39, méfiez-vous de vos amis; de Il h. 39 à 12 h. 15, ne vous engagez par aucune promesse; de 12 h. 15 à 13 h. 53, réussite dans vos affaires de cœur, etc. .
Nous rejoignons ici la bouffonnerie de l'astrologie foraine, qui, entre le tir à la carabine et le lutteur, débite ses petits papiers (roses pour les garçons, bleus pour les filles) où le mariage, le bonheur et les voyages sont garantis ; les jeunes gens s'esclaffent et il parait qu'on doit être indulgent pour ces formes parodiques de la vénérable astromancie.
Dans le cas des journaux, le quotidien rabâchage de telles pauvretés peut finir par émousser le désir naturel de distinguer la vérité du mensonge. Les directeurs de feuilles, sollicités de renoncer à ces rubriques ridicules, ont répondu: « Ces rubriques amusent notre public; leur publication a accru notre tirage; leur suppression diminuerait notre vente en faveur de nos concurrents. Au surplus, elles ne font de tort à personne. »
Les psychiatres sont d'accord pour penser le contraire: ces articles sont nuisibles et conduisent les esprits faibles, crédules, chez l'astrologue professionnel, se faire escroquer. La réponse passe sous silence les fructueux contrats de publicité astrologique qui sont le corollaire de la rubrique. L'éducation du peuple et ses intérêts sont sacrifiés à l'argent.

4° L'astrologie, science occulte, domaine de l'irrationnel. - Voici la lettre d'un astrologue «occultiste» :
« L'astrologie appartient au domaine des sciences occultes et ne peut être étudiée séparément. Elle est intimement liée à la Kabbale qui lui donne la vie et la clef permettant de déchiffrer les oracles. L'astrologie contemporaine, dite scientifique, a perdu tout contact avec la véritable astrologie. Elle n'est qu'un jeu mathématique, un squelette sans corps et sans âme. Elle est le produit de notre siècle, une science sèche, matérielle, une science morte. Ses oracles ont perdu toute force de révélation et ses adeptes ne détiennent plus l'autorité divine qui caractérisait les anciens mages en possession de l'enseignement sacré. »
Nous cherchons si l'astrologie est une science: nous lui laissons la liberté de se définir elle-même comme une magie.
Mais l'occultiste soulève la colère d'un astrologue mathématicien, qui riposte:
« Ces déclamations mystico-occultes ne nous apportent aucune lumière; on aurait beau les développer en trois cents pages sur le même ton que cela ne nous apprendrait rien; une vérité démontrable, si petite fût-elle, énoncée en trois lignes, serait bien préférable. Mais que peut-on faire valoir à ceux qui opposent à la logique une doctrine, et à des faits, des discours? Il est vain de chercher la lumière avec ceux qui préfèrent l'obscurité. »
On ne saurait mieux dire (quitte pour nous à discuter plus tard des prétendus faits apportés par le logicien).
En résumé, on ne peut pas davantage discuter avec un prophète qu'avec un clairon. L'attitude de certains astrologues irrationalistes, pour être moins extrême que la précédente, n'en rend pas moins la discussion impossible: les mots n'ont pas le même sens pour eux et pour nous. Voici quelques phrases d'une lettre que m'écrivit en 1949 un ancien président du Cercle internationam d'Astrologie, licencié es lettres (la lettre est signée et fort courtoise)
« Pour moi, je ne pense pas que la raison humaine puisse absorber le monde; je fais la plus large part à l'intuition; cette intuition me dit que les êtres ne sont pas reliés entre eux par le principe simple de causalité efficiente, qui serait aveugle, mais par des correspondances et des analogies, qui donnent à une causalité très générale des sens très étendus. Il existe bien une correspondance singulière entre l'homme et les astres, qui dépasse la raison humaine mais que notre intuition contrôlée saisit; il existe un rapport fondamental entre la vie des hommes et le Zodiaque, source de la vie physique, ce que suggère la racine du mot: Zôè, vie. Mais la liberté de l'homme, qui entre en jeu dans la mesure où il consent à un effort personnel, interdit à l'astrologue le droit de dire l'avenir: ce pouvoir, je le lui dénie. »

Passons sur le verbiage. Notons plusieurs aveux:
1° L'astrologie ne saurait prédire;
2° Elle échappe à la raison, elle n'a pas de lois causales, mais l'intuition contrôlée (contrôlée par quoi? par la raison peut-être?) la gouverne;
3° Entre le nom du Zodiaque et le pouvoir qu'on lui reconnaît, il y a connexion.
Nous l'avons déjà souligné: on a donné le nom de Mars à un caillou, on le tient ensuite pour fauteur des guerres et il confère une nature martiale à ses sujets. Mais si le caillou s'appelle Jupiter, il donne une nature joviale, etc.

5° L'astrologie dite scientifique. - La seule forme d'astrologie à laquelle il soit possible d'accorder quelque attention est donc celle dont les prétentions sont a priori les plus modestes, qui ne prétend point prédire l'avenir, ni mêler le ciel aux puérilités de la vie courante. Par cette modération, elle ne saurait intéresser un vaste public, encore moins satisfaire sa soif de connaître le futur; cette astrologie décente n'a aucune chance d'être commercialement exploitable, elle n'attire pas les gogos. En revanche, elle mérite d'être examinée par les savants, elle l'a été, elle l'est encore. Car si, comme elle le soutient, les astres étaient un facteur non négligeable pour la personnalité de chaque homme, entraient pour une part, même faible, dans la formation de ses caractères corporels ou spirituels, en coopération avec
mille autres facteurs de son destin (hérédité, milieu, hasards...) ce serait une propriété d'une valeur incalculable. On pourrait essayer d'en tirer parti pour le bonheur de l'humanité.
Le moins qu'on puisse dire, pour le passé, est que plusieurs millénaires d'astrologie ont été stériles en ce sens; au contraire, il faut porter à leur débit de fameuses erreurs, des paniques, et une exploitation éhontée de la crédulité humaine.
Mais considérons le temps présent. L'astrologie contemporaine qui se dit scientifique propose-t-elle des lois vérifiables? Et les savants sont-ils prêts à les vérifier? Depuis longtemps, une Commission scientifique permanente, fondée par l'Association américaine des Sociétés scientifiques, se charge d'étudier les lois astrologiques qu'on lui propose: elle compte en son sein des astronomes, des mathématiciens, des physiciens, des philosophes, des médecins, des psychologues. Elle a fait de vastes enquêtes et publié leurs résultats dans des rapports précis.
Elle existe encore: son président est Bart J. Bok, éminent astronome de Harvard (U. S. A.). Elle est prête à examiner toute proposition concernant l'influence sur les individus des planètes ou des signes.
Malheureusement, cette Commission manque de travail: elle a eu beaucoup de peine à trouver, dans les tonnes de papier consacré à l'astrologie, un petit nombre de propositions précises, capables de servir de tests.
Les résultats ont été entièrement négatifs: aucune des influentes alléguées par les astrologues dits sérieux ne se vérifie.

Le Comité Belge. - Un Comité Belge pour l'investigation des phénomènes réputés paranormaux groupant trente savants de toutes disciplines s'est fondé en 1948. Il a proposé à toute personne de bonne foi, se croyant douée de pouvoir « paranormal » (les astrologues sont visés, en première ligne) de présenter Il un programme précis d'expériences simples et contrôlables» de nature à mettre en évidence ce pouvoir. Le Comité a reçu un premier lot de trente-quatre dossiers. J'extrais du rapport du secrétaire, le Dr Hougardy, les conclusions suivantes:
1° Pas un seul dossier ne propose une expérience digne du nom de scientifique: on ignore ce qu'est une expérience scientifique, ou bien on la redoute et on s'y dérobe;
2° Les auteurs révèlent une mentalité prélogique : ils affirment sans preuves, prennent des coincidences pour des relations de cause à effet, extrapolent de façon injustifiée. Leurs propos relèvent parfois de la psychiatrie...
Je me tiens à la disposition des astrologues pour transmettre au comité américain ou au comité belge aux fins d'examen tout énoncé précis de loi astrologique qu'ils voudraient bien signer et faire suivre de leurs nom et adresse véritables.
Il serait bon d'ailleurs que la proposition de loi fut authentifiée par un groupe d'astrologues ou par des autorités astrologiques reconnues. Car nous connaissons la méthode: l'astro logue isolé qui aura été assez maladroit pour se laisser prendre en flagrant délit d'erreur ne doit pas compter sur la solidarité des confrères, qui feront chorus avec les savants et le renieront sans hésiter.« Mais oui : la règle est idiote, celui qui l'a proposée est un sot, indigne du nom d'astrologue, ou un fou, etc.»
Avant de fournir quelques exemples, rappelons le mécanisme des preuves expérimentales, les seules auxquelles puissent faire appel les propositions qui ne sont pas susceptibles d'une démonstration logique.

Caractères de la preuve expérimentale. - 1° Un succès isolé ne prouve rien. - Un astrologue ne saurait se tromper toujours. Une prédiction faite au hasard peut tomber juste; surtout si la probabilité de l'événement était, a priori, assez grande: prédire du soleil pour le 14 juillet, sous nos climats, n'est pas déraisonnable, ni très méritoire. Notre esprit oublie les échecs et retient le cas favorable. Voir une auto dont le numéro est celui de votre téléphone vous surprend. Mais vous avez lu, consciemment ou non, des milliers de numéros d'auto quelconques. Le fait est dénué de signification.
Une influence ne peut être vérifiée que par une statistique loyale. - Il faut recenser tous les cas, qui se présentent, et en grand nombre, évaluer le pourcentage de réussites que le hasard à lui seul engendre, et calculer aussi l'écart probable, naturel, par rapport à ce pourcentage.
C'est après ce travail préliminaire qu'on pourrait voir ai l'influence de tel astre accroit les réussites au-delà des limites naturelles du fortuit.
Prenons le jeu de pile ou face, où la probabilité de tirer face est de 0,5 (50 %, ou une chance sur deux).
Dans une partie de cent jets de la pièce de monnaie, on s'attend à voir survenir environ cinquante fois face; on ne s'étonne pas si face apparait quarante-neuf fois, ou cinquante et une fois. Un écart de un est très normal. De même, les résultats quarante-huit faces ou cinquante-deux faces ne surprendront personne: si l'on fait de nombreuses séries de cent parties, on peut même prédire que les résultats quarante-huit, quarante-neuf, cinquante, cinquante et une, cinquante-deux faces seront aussi fréquents (à peu près) les uns que les autres. Où donc commence l'exceptionnel? Le calcul des probabilités nous l'apprend .
(Consulter par exemple: Probabilités, Erreurs, par E. BOREL et R. DELTHEIL, collection Armand Colin.)

Un écart de sept unités (en plus ou en moins) ne sera dépassé que dans 16 % des cas. Un écart de quatorze (par rapport à la moyenne cinquante) sera plus rare: on ne doit s'attendre à le voir dépassé que dans cinq parties sur mille. Un écart de vingt ne serait dêpassé que dans huit parties sur cent mille (cf. en appendice la loi des écarts).
Supposons qu'un astrologue dise que la planète Jupiter dans le Lion favorise l'apparition de face.
Lorsque Jupiter occupera le Lion, nous ferons des séries de cent coups, en notant le résultat de chaque série. Nous verrons bien si, après un grand nombre de parties (ou séries de cent coups) (mille par exemple) les mille écarts sont normaux. Pour que la loi astrologique proposée fût vraie. il faudrait (en supposant la pièce de monnaie non truquée) que les écarts positifs fussent nettement plus nombreux que les négatifs (qu'on ait plus souvent cinquante et une. cinquante-deux, cinquante-trois faces que quarante-neuf, quarante-huit, quarante-sept, etc.). De même si la première partie faite donnait quatre-vingts faces, l'intérêt devrait être en éveil, car il y a moins d'une chance sur vingt-cinq mille pour qu'il en soit ainsi. On aurait des chances d'être en face ou bien d'un tmquage de la pièce ou bien d'une loi astrologique. (Dans des essais de ce genre, la présence d'un prestidigitateur serait utile, car la fraude est plus probable que la loi.)
Quand un astrologue convaincu annonce une loi et dit qu'il l'a vérifiée, son illusion réside en général dans son ignorance de la loi des écarts. Par exemple, il se sera tenu pour édifié si une première et unique série de cecnt coups lui a donné soixante faces. Or, sur cent parties, on en trouve toujours plusieurs (deux ou trois) qui offrent soixante faces au moins: Jupiter est étranger à l'affaire.
Une statistique n'est pas d'une interprétation immédiate: les matériaux doivent être copieux et il faut savoir leur appliquer le calcul des probabilités. Les astrologues ne le savent pal et leurs conclusions (même sincères) sont fausses.
D'ailleurs, il cet bien difficile d'être impartial quand on est convaincu d'être dans le vrai et d'avoir découvert une loi précieuse: plus ou moins consciemment, l'astrologue opère une sélection parmi les faits bruts qu'il recueille; il élimine ceux qui sont défavorables à sa thèse (pour des raisons où il peut lui-même se duper) il accumule ceux qui étayeront sa loi.
Certains résultats frappants, publiés à grand son de trompe, n'ont pas d'autre origine (j'admets que le coup de pouce fut involontaire). Dès que la statistique est refaite par un comité impartial, qui ne triche pas sur les données, son résultat est tout autre: le phénomène invoqué s'évanouit.
Quand les astrologues ne sont pas sincères, ils comptent sur l'incapacité de la foule à aller au fond des choses et sur l'indifférence des savants capables d'un contrôle mais que rebute un long travail de statistique (dont les conclusions, à en juger par les échecs antérieurs, ont les plus grandes chances d'être négatives).

Quelques exemples de fausses lois - Les astrologues attribuent à la Balance une valeur esthétique. Les enfants nés avec la Balance à l'ascendant, auraient des qualités artistiques supérieures à la moyenne. Famsworth a eu la patience d'étudier la naissance de plus de deux mille musiciens et peintres célèbres: la Balance n'a pas présidé davantage que tout autre signe à la naissance de ces artistes. La corrélation prétendue n'existe pas (1),
(1) Le hasard a voulu que l'écart fut, pour elle, négatif: autrement dit la Balance n'a pas eu tout à fait sa part . d'artistes.
Ces artistes ne sont pas nés, non plus, en plus grand nombre dans le mois où le Soleil occupe la Balance (c'est-à-dire entre le 21 septembre et le 21 octobre).
Ayant cité cette statistique à la Radio, j'ai reçu une riposte qui est typique des positions de repli chères aux astrologues: il y aurait malentendu, me dit-on, sur la propriété de la Balance: elle donnerait bien le goût des arts, mais pas le pouvoir créateur; elle favoriserait la réceptivité, la contemplation, mais non pas l'expansion; le test ne pouvait rien donner! Et voilà!
Il est dommage qu'on n'ait pas pris soin de formuler le distinguo en affirmant le pouvoir artistique de la Balance. On eût évité bien des peines inutiles à Farnsworth. Mais la valeur de l'échec demeure: la relation avait été garantie sans restriction préalable. L'explication après coup aggrave même le diagnostic qu'on peut porter contre l'astrologie: non seulement l'astrologie est fausse, mais ses fidèles (ceux qui sont sincères) ne veulent pas être désintoxiqués. Rien ne les fera changer d'avis. C'est à ceux qui n'ont pas encore le virus que mon livre s'adresse.

2° Bart J. BOK, président de la Commission d'études, a étudié de façon semblable les dates de naissance des savants inscrits au répertoire des American Men of Science (Savants américains). Deux conclusions sont frappantes:
a) La distribution de ces dates présente les caractères d'une distribution au hasard, au cours de l'année
b) Les variations saisonnières de la fréquence des naissances sont identiques à celles de l'ensemble de la population.
HUNTINGTON a publié en 1938 une statistique remarquable, montrant que le total des naissances en (janvier + février + septembre) dépasse de 15 % le nombre des naissances en (mai + juin + novembre). Les naissances de savants obéissent aussi à cette règle.
Bok a détaillé la statistique et montré que le rapport reste le même pour telles ou telles professions : ingénieurs, industriels, prêtres, banquiers, physiciens, littérateurs, marins, etc. Il a montré encore qu'au lieu des mois de Huntington on peut considérer les signes du Zodiaque (21 mars- 21 avril, etc.), les résultats demeurent inchangés. Si une influence quelconque des signes était réelle, nous devrions trouver des abondances différentes pour les différentes professions et non pas la corrélation typique de Huntington (par exemple, les marins devraient abonder sous les signes humides, être favorisés par les Poissons, le Crabe ou le Verseau? ou les prêtres par le signe de la Vierge? Que sais-je? ).
Le fait est qu'il n'en est rien. Que devient alors, par exemple, une affirmation astrologique classique telle que la suivante: « la triplicité d'air, à l'ascendant, fait les esprits créateurs » ? Elle se réduit à néant, comme toute affirmation semblable.
Les astrologues à la page, qui détournent hâtivement vers le moulin de l'astrologie le flot des découvertes de l'astronomie, invoquent maintenant en faveur de leur marotte des phénomènes biologiques généraux. La longévité humaine, le nombre des naissances, par exemple, seraient fonction du cycle solaire de onze années. Je doute que ces corrélations soient bien établies, mais ces illuminés ne se rendent même pas compte que, si elles l'étaient, elles ruineraient complètement leur pseudo-science. Car elles rentreraient dans le cadre des influences du Soleil sur la Terre entière (influences astronomiques et non astrologiques). S'appliquant à l'humanité tout entière, ces lois seraient la négation du principe astrologique, qui concerne l'individuel, qui particularise; et elles nieraient l'intervention du facteur temps sidéral, essentiel dans l'astrologie: il serait utile de naitre dans l'année du maximum ou du minimum de taches solaires, mais non pas à 8 h. 1/4 ou à 19 h. 30, ni quand le Scorpion se couche. Cette loi moderne montrerait, au surplus, la fausseté de tous les critères de longévité ou de fécondité que, dans le passé, l'astrologie mit en application (cf. Cardan, p. 100).

3° Un astrologue français contemporain (ancien élève de l'Ecole Polytechnique) donne pour établies par ses propres statistiques plusieurs influences planétaires. Les Astrologues de moins haute lignée, qui admirent sa science sans prétendre y atteindre, le prennent souvent comme référence d'ordre supérieur, comme rempart contre les assauts des savants. Voilà donc le phœnix de l'astrologie scientifique: on n'a pas le droit d'élever la voix contre elle, si l'on n'a pas examiné de près son monument. J'ai donc procédé à l'examen.
Avant de commencer, signalons que cet auteur considère comme dénués de toute valeur les horoscopes d'objets inanimés, de villes et de pays. Il renie les fondateurs de l'astrologie, car les Chaldéens ne faisaient rien d'autre.
Pour l'horoscope des animaux, l'auteur est moins affirmatif. « Les charlatans qui tirent l'horoscope d'un veau avec la même gravité et autant de détails que l'horoscope d'un homme commettent des abus.»
Parmi ses propositions, ses lois, la plus simple à vérifier m'a paru la suivante: Le passage de Mars sur le Soleil de naissance est un facteur de mort.
Cette loi ne suppose pas que l'on connaisse l'heure exacte de la naissance toujours sujette à caution et difficile à obtenir.
La néfaste planète Mars, qui décrit le Zodiaque entier en vingt-trois mois environ, repasse, avec cette périodicité, sur la position qu'occupait, dans le Zodiaque, le Soleil lors de votre naissance. Chacun de ces passages comporte des dangers pour votre santé, et, en définitive, votre mort aura lieu probablement lors de l'un de ces passages. On fixe à 9° la distance maximum où l'action de Mars se fait sentir.
Loi: On trouvera Mars à moins de du Soleil de naissance beaucoup plus souvent que ne le voudrait le hasard, lors du décès des humains.
Voilà qui est précis et facilement contrôlable. Relevons dans une mairie de Paris la date du décès d'un grand nombre de gens, en même temps que la date de leur naissance. Faisons ce relevé sur les registres de deux années environ (période de Mars) pour éviter le reproche de dissymétrie.
La date de naissance fixe la position du Soleil, sans calcul. La date de la mort fixe la position de Mars (cf. un annuaire quelconque).
La probabilité pour que Mars occupe un arc de 18° chevauchant le Soleil natal est de 1/20 (5 %) (puisque l'écliptique compte 360°). Soient quatre mille décès relevés. Si le hasard joue seul, nous devons trouver Mars en conjonction dans deux cents cas sur quatre mille, aux écarts probables près. Dans notre cas, l'unité d'écart est vingt (j'arrondis: on trouve 19,5).
Cela étant, il peut arriver que l'on trouve moins de deux cents conjonctions: la confusion de l'astrologie serait grande, car Mars (selon ses principes) devrait alors être tenu comme favorable à la longévité.
Mais je suppose que la statistique donne un peu plus de deux cents conjonctions. Faut-il pour autant chanter victoire? Pas encore; car le hasard, seul, fournira:

Plus de 220 conjonctions dans 8 % des statistiques semblables.
Plus de 230 conjonctions dans 2 % des statistiques semblables.
Plus de 240 conjonctions dans 2 ou 3 /1000 des statistiques.
Plus de 250 conjonctions dans 1 /1000 des statistiques.
Plus de 270 conjonctions dans 1 pour 2 millions de statistiques.

On voit à partir de quel écart il devient raisonnable de suspecter une autre cause que le hasard (
cf. appendice IV). Avec les nombres ci-dessus, on n'a pas lieu de s'émouvoir tant que le résultat ne dépasse pas, disons deux cent trente.
Tout cela suppose qu'on n'a pas sélectionné les décès aux fins de prouver la loi: l'opération doit être honnête, la statistique non truquée. C'est pourquoi on ne peut se fier aux affirmations des intéressés, qui, plus ou moins consciemment, sont amenés à choisir les cas favorables. Si on recommence sans eux, le résultat favorable ne se retrouve pas.
Contrairement aux affirmations répétées et véhémentes de l'astrologue précité, je puis garantir que les statistiques ont un résultat conforme aux lois du hasard: l'action morbide de Mars est absolument inexistante.

Danger des statistiques courtes. - Dans l'exemple précédent, un résultat deux cent cinquante, sans truquage, sans être décisif (puisque le hasard l'engendre une fois sur mille) mettrait l'esprit en alerte et pousserait à multiplier les recensements analogues. Cet écart cinquante, par excès, représente 25 % de supplément par rapport à la moyenne deux cents. Donc 25 % d'écart, ici, doit surprendre. Il en est tout autrement dans une statistique courte. Avec cent décès seulement, la moyenne des conjonctions est 5, et l'unité d'écart est trois (voir appendice IV).
Un résultat de huit, représentant 60 % d'écart en sus de la moyenne, n'aurait ici aucune signifieation, ne serait pas signal d'alerte, puisque le hasard seul se charge de le fournir dans 8 % des cas.
Sans être difficile, le calcul des probabilités implique quelque étude préalable. Tous les résultats dont se targuent les astrologues, et dont j'ai pu avoir connaissance, reposent sur des statistiques courtes et sur une ignorance profonde des lois du hasard. Si on examine de près les statistiques sincères qu'ils ont eu la nalveté de publier, on voit qu'elles démontrent exactement le contraire de ce qu'ils disent: à savoir, le jeu du hasard pur et le néant des influences invoquées.
Avec des séries courtes, très rapides à établir, il est amusant de constater que les écarts sont aussi souvent négatifs que positifs: dans ces séries, Mars serait alternativement favorable ou défavorable, si l'on imitait les conclusions hâtives de ces messieurs!

4° Les deux mille huit cent dix-sept musiciens de Robur, astrobiologiste helvétique. - Robur est un astrologue éminemment scientifique que ses collègues nous accusent souvent de méconnaître. Il a horreur des charlatans; il les vitupère, il les dénonce cruellement. Il convient, lui aussi, que seul le calcul des probabilités peut fournir la preuve des liens cachés qui associent les signes du Zodiaque aux facultés des hommes. Foin de l'astrologie du passé, des grossières erreurs de ses fidèles les plus éminents. Tout cela ne tenait pas debout et Robur va fonder une astrobiologie aussi irréfutable que scientifique.
Il a publié depuis Vingt-cinq ans maints ouvrages de masse croissante où les preuves s'accumulent, se superposent, se diversifient, s'intensifient. J'ai entre les mains un énorme livre, son dernier enfant. Par une surprenante inconséquence, pour lui qui fustige les balivernes antiques, j'y trouve une référence à six cent mille ans d'observations contrôlées. Il y est dit aussi (p. 342) que les antiques peuplades Mayas. d'Amérique Centrale, connaissaient les planètes Uranus et Neptune (!). Voilà qui, a priori, rend suspect l'esprit critique de M. Robur.
Pourtant j'ai analysé (sur demande) l'une de ses relations astrobiologiques, fondée sur une statistique de deux mille huit cent dix-sept musiciens: l'aptitude à la musique dépendrait notablement du point du Zodiaque où brillait le Soleil au jour de la naissance. Le Soleil avance d'environ 1 degré par jour dans le Zodiaque: connaissant le jour de naissance d'un musicien célèbre, Robur inscrit l'artiste à l'actif de tel degré dans tel signe.
Acceptons sa statistique telle qu'il nous la présente. (Il serait imprudent d'être toujours aussi confiant car beaucoup de fanatiques savent éliminer les documents nuisibles à leur idée.)
Les documents Robur démontrent, contrairement aux conclusions de leur auteur, que la position du Soleil n'a rigoureusement aucune efficacité musicale.
Les musiciens naissent au hasard tout au long de l'année. Nul signe, nulle fraction de signe du Zodiaque, ne les favorise ni ne les contrarie.
La répartition degré par degré que ROBUR met sous nos yeux est remarquablement conforme à ce que donnerait l'attribution par tirage au sort des deux mille huit cent dix-sept musiciens aux 360° de l'écliptique.
Mais Robur ne s'en doute pas; il a beau faire étalage de science probabiliste, son savoir ne va pas jusqu'à reconnaître une loi de Poisson, ni une loi de Laplace-Gauss, quand il s'en présente; il n'ignore pas qu'il existe des fluctuations par rapport à une moyenne; il cite même des formules d'écarts probables: mais nous devons constater qu'il n'a pas été capable de les appliquer à son propre travail. Car leur application suffit à montrer l'inanité de son astrobiologie.
Répartir deux mille huit cent dix-sept musiciens entre 360° donne environ huit musiciens par degré, en moyenne. Mais si l'on tire, au hasard, leur affectation à chacun des 360° (urne contenant trois cent soixante numéros, par exemple) nous aurons une distribution théorique de Poisson (parce que le nombre moyen, huit, est petit). La figure (10) représente. arrondis. les résultats de mon calcul.

Fig. 10 - Comment le hasard distribue deux mille huit cent dix-sept musiciens dans l'année

En abscisse x, le nombre de musiciens nés le même jour.
En ordonnée y, le nombre de fois où x musiciens naîtront le même jour. Ainsi, cinquante et une fois on trouvera sept naissances et cinquante fois huit naissances, etc.
Cette distribution théorique est fournie par la loi de Poisson (on a arrondi à l'entier le plus voisin).
Les résultats publiés par Robur concordent remarquablement avec ces prévisions: donc, le hasard seul et non pas les signes du Zodiaque, distribue les naissances des musiciens.


Autrement dit, le hasard pur fait prévoir, environ:

50 et 50 jours à 7 et à 8 musiciens
45 et 45 jours 6 et à 9 musiciens
35 et 35 jours 5 et à 10 musiciens
24 et 24 jours 4 et à 11 musiciens-
etc. (examiner le graphique)
1 seul jour avec 1 et avec 17 musiciens
aucun jour sans musicien ou avec plus de 17.


Quand on les examine degré par degré, les résultats de Robur vérifient de façon frappante, inespérée, ces résultats probables. Voici d'ailleurs (fig. 11) sa récolte pour le Taureau et il en tire les conclusions suivantes « le 19e et le 20e degrés du Taureau sont spécialement musicaux, tandis que les 24e, 25e et 26e degrés s'avèrent stérilisants, ainsi que le 29e et le 30e». Faut-il en rire ou en pleurer?
Fig. 11. - Nombres quotidiens des naissances de musiciens quand le Soleil occupe le Taureau (du 21 avril au 21 mai)
En haut, nombre des naissances quotidiennes (ou par degré)
Puis, total par 5 jours

L'auteur, enfin, groupe ses naissances 5° par 5°, et les présente sous l'originale forme suivante (fig. 12).


Fig. 12. - Naissances des deux mille huit cent dix-sept musiciens groupées par 5° de Zodiaque
La moyenne des naissances, pour cinq jours environ, est de quarante. La distance d'un cercle plein à l'autre représente cette moyenne quarante. Les écarts n'ont aucun caractère systématique et n'atteignent nuile part :!: 20 : le hasard pur engendre ces fluctuations (loi de Gauss).
La ligne pointillée (selon Robur) tient compte de la variation saisonnière des naissances.

La distribution des écarts par rapport à la moyenne, 40, suit une loi de Gauss typique (avec 9 pour unité d'écart). Le hasard pur offrirait une chance sur trois de trouver, une fois dans l'ensemble du pourtour, un nombre de musiciens groupés, supérieur à cinquante-huit ou inférieur à vingt-deux.
Sur le « cercle de Robur », on ne trouve pas un seul de ces cas, pourtant bien permis. Le Zodiaque n'a même pas utilisé à plein les latitudes de fluctuation licites: il s'en tient aux écarts modérés, proclamant ainsi l'inexistence de la moindre influence locale. Cela n'empêche pas Robur de faire remarquer que le milieu des Poissons et du Taureau sont générateurs d'aptitude musicale, tandis que la fin du Taureau et le début des Gémeaux sont vraiment inféconds, et la région opposée aussi!

Concluons: le bilan de l'astrologie scientifique est égal à zéro, comme celui de l'astrologie commerciale: C'est peut-être dommage, mais c'est un fait.

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