1994 OVNI Présence met les choses au point

OP53
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  Il a fallu attendre l'année 1994, pour voir enfin - à défaut d'un livre - un numéro d'une revue consacré en grande partie, au cas de Lyon et de la Magonie.
  Et pas pour reprendre, et embellir la légende, non! Pour remettre les choses à leur place, et démystifier cette affaire, qui, avec Jacques Vallée, était devenue un symbole.
  D'entrée de jeu, la couverture nous en met plein la vue: à l'avant plan le personnage représenté est manifestement un de ces "tempestaires", peut-être descendant des "fulgurators" étrusques, pendant qu'à l'arrière plan, d'autres personnages en cercles sont en train d'invoquer la foudre issue d'un mystérieux objet.
  Quant au titre, il fleure bon la tôle et le boulon: "Des soucoupes au moyen age?"
  En fait, on ne vas pas jusqu'à reprendre la thématique des années cinquante, on va démystifier la présentation méta-ufologique qu'en avait fait Jacques Vallée.
  Non, des magoniens ne sont pas tombés à Lyon. Non, le livre de Montfaucon de Villars n'était pas un ouvrage hermétique. Oui, le livre d'Agobard était bien un traité dénonçant la superstition. Oui, Jacques Vallée a bien dénaturé le récit d'Agobard en en sélectionnant ce qui l'arrangeait.


La Magonie n'est plus ce qu'elle était
* Par Jean Louis Brodu


Cette image, due à Benoït Roux, est à peu près la seule à illustrer l'affaire des quatres accusés Lyonnais, et a donc été reproduite des dizaines de fois sur internet. On y voit bien à gauche, les malheureux enchainés, et à droite, un navire magonien et les récoltes qui montent vers lui. Mais on y voit aussi un moine qui semble dénoncer les agissements des tempestaires, alors qu'on devrait y voir un évêque, mettant sur le gril les accusateurs des prisonniers. Cette image s'inscrit donc malheureusement dans une longue tradition de dénaturation du récit d'Agobard.

1 - Un traité contre les superstitions
(nous extrayons les passages les plus significatifs)
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L‘un des textes qui fit l'objet de cette périlleuse relecture est le fameux « Liber contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitruis » (Livre contre les opinions fausses concernant la grêle et le tonnerre). Un traitè attribué à Agobard, un fin lettré hispani (2), qui était devenu archevêque de Lyon vers 8l3, puis fut canonisé après sa mort. Ce texte. rédigè en latin a la forme d'un sermon. Agobard y fournit des exemples des méthodes (citations bibliques, critiques du témoignage, démonstrations rationnelles, comparaisons entre divers émois populaires) qu'il employa lui-même pour réfuter des croyances « superstitieuses - fort courantes à son époque. ll est possible que ce traité ait été destiné aux membres du haut clergé confrontés à la lourde tâche d'orienter vers le christianisme les croyances des divers peuples qui composaient l'Empire chancelant de Louis, dit le Pieux (3). On ignore s'il fut écrit avant ou après le concile de Paris de 829 où de nombreux sages dènoncèrent la croyance a ces maléfices qui pouvaient. dit-on troubler l'air, envoyer la grêle, enlever les fruits et le lait pour les donner a d'autres, et faire des prodiges innombrables - (4)

(2) Ces hispani avaient fui l'Espagne sous domination musulmane pour se réfugier dans l'Empire carolingien
(3) Paul (Jacques), L'Eglise et la culture en Occident, tome 2, Paris, PUF, 1986, p. 649.
(4) Thiers (Jean-Baptiste), Traité des superstitions, Paris, Le Sycomore, 1984, p. 57.
Note: Corrigeons quelques petites erreurs. C'est en 814 qu'Agobard a succédé à l'archevêque Leidrade, qui avait attendu la mort de son protecteur Charlemagne pour se retirer dans un monastère. Il ne fut jamais canonisé, mais seulement vénéré localement comme saint. Ce texte n'a pas la forme d'un sermon, mais était destiné au clergé, et fut écrit peu d'années après la grande epizootie bovine de 810, donc bien avant le synode de Paris en 829. Et dans ce synode, les participants dénoncèrent la pratique de la sorcellerie et non la croyance en cette pratique, preuve qu'ils ignorèrent le traité d'Agobard.

2 - Des Magoniens tombent dans Lyon!
Dès les années 60, chez de nombreux auteurs qui cherchaient une voie autre que l'hypothèse extraterrestre au premier degré, avait surgi le concept que les ovnis n'auraient dû avoir aucun mal a se manifester au Moyen Age sous la forme de navires voguant sur les nuages, puisqu’ils empruntaient les atours de l'engin de Robur le conquérant dans les affaires d'aéronefs fantômes du XIX° siècle. et qu'ils apparaissaient aussi flamboyants qu'une couverture d'Astounding Stories dans les témoignages des années 50. Le passage suivant du traité d'Agobard fut ainsi inséré par d'innombrables auteurs dans la casuistique ufologique:
Note: Ici le passage clé du traité d'Agobard, dans la traduction de Péricaud, ch.II.
J‘ai renoncé à dresser un bêtisier même succinct des versions de ce passage proposées dans les livres et les articles d'ufologues les plus divers. Dans certaines d'entre elles, les quatre personnes accusées par la foule avaient bel et bien été lapidées sous les yeux d'Agobard ou bien les « Magoniens » étaient venus piller les cultures et enlever des paysans en se posant avec leur étrange vaisseau ; les dits paysans se retrouvant ensuite au beau milieu de Lyon en proie à une amnésie totale, ou bien encore, c’était du pays de « Matagonie » que provenait le vaisseau des nuages ! Le charlatanisme et la passion soucoupique n'expliquent pas uniquement ces versions « améliorées » si éloignées du texte d'origine. Des emprunts successifs sans vérification et des glissements de sens à répétition dcms la traduction a partir du latin, ainsi que des coquilles dans les traductions modernes expliquent aussi ces versions personnalisées.
Note: On peut justement découvrir ces "versions personnalisées" en parcourant notre organigramme

⤋ Exemple d'interprétation ufologique des prodiges relatés dans certains texte anciens. Ici dans Lob et Gigi

Note: Cette interprétation est d'autant plus cocasse que ce cas est un canular moderne
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3 - Réinterprétation du texte avant les ufologues.
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Il est d'ailleurs fort instructif que les ufologues n'aient pas été les premiers chercheurs passionnés à combler les détails manquants d'un récit si frustrant par sa brièveté. Le traité d'Agobard fut ainsi récupéré au XVII° siècle par l'abbé Montfaucon de Villars dans son ouvrage « Le comte de Gabalis : entretien sur les sciences secrètes » dans lequel il mentionnait certains êtres élémentaires, tels que les Sylphes ou « Esprits de l‘Air ». C’est a de Villars que nous devons l'ajout à l‘histoire du thème de l‘enlèvement. Voici ce qu"il écrivit à ce propos:
Note: Ici le début de la version de Montfaucon de Villars
Montfaucon de Villars mélange entre elles les différentes parties du traité d'Agobard qu'il semble avoir lu en diagonale. La suite de son texte démontre qu'il cherchait plus à laisser libre cours à son imagination qu'à expliquer les « faits » rapportés par Agobard:
Note: Ici la suite de la version de Montfaucon de Villars
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Comme pour les versions produites par les ufologues, on voit encore à l'oeuvre chez de Villars cette nécessité de combler les détails manquants d'un récit éminemment « troué » dans le but de conforter un enjeu personnel. Mais dans son cas, il s'agissait de produire une satire des croyances de certains de ses contemporains. Pourtant, de nombreux historiens de l'occultisme et des utologues a leur suite se tromperont fondamentalement en prenant de Villars pour un « philosophe hermétique » qui croyait aux êtres élémentaires qu‘il mettait en scène (10). Ainsi, en remaniant l‘histoire a leur façon, les ufologues ne se doutaient pas qu'ils succombaient, eux aussi, à une tradition bien ancrée.

(10) - L'introduction de l'édition Nizet (Paris, 1963) du « Comte de Gabalis » rédigée par Roger Laufer explique comment de Villars se servit de bribes de traités patristiques et des théories de Paracelse pour traiter avec ironie du merveilleux chrétien et des idées Rose-Croix. Ses intentions seront mal comprises et il sera placé dans le panthéon hermétiste par nombre d'amateurs d'occultisme pour lesquels, il a été obligé de cacher sous une apparence irivole de très profonds secrets cabalistiques.

4 - Evolution de la croyance aux conducteurs d'intempéries
Les folkloristes enquêtant dans la France rurale a partir du XIXe siècle recueilleront bon nombre de croyances aux meneurs d'orage, aux comportements interdits sous peine d’attirer la grêle et aux rites permettant de la conjurer. Cependant, comme Paul Sébillot pourra le constater : « à propos de cette fabuleuse contrée de l‘air appelée Magonia, quelques centaines d‘années après, on ne connaissait plus cette région aérienne, mais le vulgaire accordait encore aux tempestaires un grand pouvoir sur les phénomènes célestes » (ll). La dénonciation des maléfices des tempestaires est en effet attestée en Europe au moins dès le VI° siècle comme l'a montré Norman Cohn (12). Rappelons que l'Eglise saura adapter certains rites pré-chrétiens de protection des récoltes et en rejettera d'autres dans le domaine de la « superstition » (13). Dans la région lyonnaise au IXe siècle, les croyances à la possibilité de diriger les orages servaient aussi les intérêts de ceux qui vendaient leurs services aux paysans afin d‘empêcher que la grêle ne ravage les cultures. Agobard parle ainsi de ces « défenseurs » qui dévient la grêle envoyée par les tempestaires. Il dévoile à cette occasion le motif plus terre à terre pour lequel il condamne ces pratiques
Note: Ici le chapitre XV de la traduction de Péricaud
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Dans son traité, Agobard nous fournit des informations sur le mode d'opération supposé de ces individus qui savaient dévier la grêle:
Note: Ici le chapitre VII de la traduction de Péricaud, à pattir de la septième ligne.
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Son dernier argument pour démontrer la non-existence des dits pouvoirs sera que ces soi-disant tempestaires sont bien incapables de faire tomber la pluie lors des périodes de sécheresse. Les « défenseurs » et les « tempestaires » survivront au cours des siècles suivants dans les croyances aux grêleux et aux curés conjureurs de tempêtes. Puis, les magnétiseurs prendront le relais à partir du XVIIe siècle en tentant eux aussi de disperser les nuées orageuses. On pourrait supposer qu'aujourd'hui ces pratiques ont à jamais disparu. Pourtant, lors d'un stage d'ethnologie rurale auquel j'ai participé en février 94 dans un village du Lot-et-Garonne, j'ai eu l'extrême surprise de rencontrer l'un des derniers magnétiseurs empiriques qui s'essaye à détoumer les orages de grêle grâce à des gestes dictés par son inspiration personnelle.
Note: Voir aussi la note 22

(11) - Sébillot (Paul), Le Folklore de France, Tome I, Le Ciel et la Terre, Paris, Maisonneuve et Larose, 1968, p. 99.
(12) - Cohn (Norman), Europe's inner demons, St Albans, Paladin, 1976, p. 152-153.
(13) - Ginzburg (Carlo), Les batailles nocturnes - Sorcellerie et rituels agraires au XVI: et XVII: siècles, Paris, Flammarion, 1984.


5 - De nouvelles hypothèses sur la signification du mot « Magonie »
On en était là de l'interprétation du traité jusqu'aux travaux de l'historien Jean-Claude Schmitt. Il a lui aussi cherché sans résultat dans des textes de cette époque d'autres références à la Magonie en tant que région aérienne. Sa conclusion est qu'il s'agissait d'une croyance locale circonscrite à la région lyonnaise. Il suppose que le nom latin « Magonia » signifie le pays des « magi » : mages ou magiciens. Cependant, il a retrouvé le terme « magonia » mentionné sous une autre acception au XIVe siècle dans le sermon d'un autre saint dénonciateur de « superstitions » : Bemardin de Sienne. Il s'agit là encore d'une pratique « superstitieuse » associée aux orages, mais cette fois-ci, c'est une croyance maritime et non plus agricole:
« ... magonia est selon lui le nom que « certains » donnent à un nuage annonciateur de l'ouragan qui détruit les navires ; en tirant leur épée et en la faisant vibrer, ils font semblant de couper ce nuage afin d'écarter le danger. » (15)
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Il reste à essayer de comprendre également comment le terme « magonia » a pu se retrouver chez des paysans du lyonnais et chez les marins indéterminés qui l'employaient au XIVe siècle. Ces deux groupes professionnels, du fait de l'importance des aléas atmosphériques pour leur activité, sont ceux dans lesquels on trouve le plus de croyances relatives aux intempéries et aux moyens de les déployer ou de les empêcher. On peut supposer également que la croyance aux vents levatices et aux vaisseaux des nuages ait été étayée par l'existence de phénomènes météorologiques et optiques réels (trajet fantasque des trombes, mirages de bateaux apparaissant dans le ciel). La piste tendant à rapprocher les nautes de Magonie des peuples à réputation monstrueuse du Moyen Age peut aussi sembler digne d'intérêt (18). Pourtant, les nautes de Magonie n'ont rien de comparable avec ces sortes d'extra-terrestres que les « races de monstres » médiévales préfiguraient (Géants, Nains, Hommes sans tête, Hommes à un seul pied, etc.). Et l'on chercherait également en vain une caractéristique monstrueuse à ce vaisseau aérien qu'Agobard ne décrit pas. Remarquons enfin que rien n'indique dans le traité d'Agobard que les nautes de Magonie soient considérés eux-mêmes comme des sorciers.
Note: On peut donc penser qu'il s'agit d'un simple hasard euphonique.
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Agobard nous a donc légué le souvenir de plusieurs croyances et pratiques différentes : le bateau aérien des nautes de Magonie, les vents levatices soulevés par les tempestaires, leur racket auprès des paysans contré par le « service » des « défenseurs », et enfin des formes de conjurations populaires de l'orage proches de celles recueillies depuis par les folkloristes. Il aurait sans doute été abasourdi de constater la pérennité des « superstitions » qu'il dénonçait. À son époque, il s'agissait de lutter contre ce que l'Eglise considérait comme des vestiges du paganisme en affirmant que des hommes ne pouvaient pas disposer d'un pouvoir réservé à Dieu. Au cours des siècles suivants et sous la pression populaire, l'Eglise devra récupérer certaines de ces croyances en les transformant à son profit, par exemple, avec le rituel de Lyon de 1542 qui permettait aux prêtres de conjurer les tempêtes (20).
Note: ou encore le Pontifical de Toul de 1420. Voir le le site USUARIUM qui recense 75 sources analogues, de 826 à 1772.
Bien loin de disparaître, les accusations de maléfices climatiques, effectués avec la complicité grandissante du diable, devaient servir à alimenter les bûchers lors des grandes chasses aux sorcières du XVe au XVIIe siècle ; alors que les processions et sonneries de cloche contre les démons de l'orage permettront au clergé de répondre à la demande populaire de conjuration des chutes de grêle. A la fin du XVIIIe siècle, la laïcisation fera également du chemin dans ce domaine lorsque la canonnade des nuages viendra remplacer les sonneries de cloches. Puis, les canons paragrêles feront eux-mêmes place aux tirs de fusées et de bombes contre l'orage (21). Depuis 1946, c'est l'ensemencement des nuages à l'iodure d'argent par divers procédés qui est utilisé avec des résultats mitigés. Cette dernière technique a connu son heure de gloire, puis un net déclin. Elle est la cause d'une « rumeur » explicative de la sécheresse qui a été repérée ces dernières années dans certaines régions agricoles en Amérique du Nord et en Europe du Sud. Les « victimes » de la sécheresse dénoncent la présence d'un avion mystérieux à la solde de grandes exploitations qui, en effectuant des opérations de lutte anti-grêle clandestines, empêcherait la pluie de tomber en chassant les nuages ; d'autres procédés d'ensemencement à l'iodure d'argent étant par ailleurs accusés de provoquer des « trombes d'eau » ou d'accroître les chutes de grêle au lieu de les résoudre en pluie (22). Issues des controverses entre les promoteurs des différentes techniques anti-grêle et des polémiques locales que leur utilisation ont entraînées, ces « rumeurs » perdurent même dans des endroits où la lutte anti-grêle a cessé d'être pratiquée depuis des décennies.
Note: On peut d'ailleurs faire le rapprochement avec la croyance paranoïaque aux "chemtrails".
Comme à l'époque d'Agobard, la croyance à la possibilité de « bavures climatiques » est donc toujours présente.

(15) - Schmitt, (Jean-Claude), « Les “superstitions” », dans Jacques Le Goff et René Rémond, dir. Histoire de la France religieuse, tome 1. Des dieux de la Gaule à la Papauté d'Avignon (des origines au XIV: siècle), Paris, Seuil, 1888, P. 180 et p. 464-467.
(18) - Platelle (Henri), « Agobard, Evéque de Lyon, Les soucoupes volantes, les convulsionnaires », in Apparitions et Miracles, sous la direction de Alain Dierkens, Editions de l'Université de Bruxelles, 1991, p. 87.
(20) - Delumeau (Jean), Rassurer et protéger : le sentiment de sécurité dans l'Occident d'autrefois, Paris, Fayard, 1989, p. 76.
(21) - Eberhart (George), « Witchcraft and Weather Modification », Pursuit, vol. 11, n°2, p. 55 et n°3, p. 101, 1978. Ces deux articles proposent une chronologie, de l'Antiquité jusqu'aux années 1970, des pratiques magiques, puis technologiques de manipulation de l'atmosphère.
(22) - Brodu (Jean-Louis), « Une rumeur de sécheresse », Communications, n° 52, 1990, p. 85.

Ovnis, manipulateurs du temps, lynchage et pluie de sorciers
* Par Frédéric Dumerchat
Dans le texte que l'on vient de lire, Jean-Louis Brodu montre bien à quel point certains partisans de l'ovni se sont livrés à une lecture sélective et non-historique du texte d'Agobard : ils ne se reportent pas à la source écrite, ou pas complètement, ne procèdent ni à son étude, ni à sa mise en perspective et à sa contextualisation qui sont pourtant le B.A.-Ba du travail d'historien.
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Il s'agit-là de caricatures de ce que peut être une intervention historique sur un document comme celui-ci.

La littérature ufologique a surtout cité cette affaire à partir du Comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences secrètes de l'abbé Montfaucon de Villars paru en 1670. L'ennui pour ceux qui l'ont lu au premier degré, est qu'il s'agit d'un ouvrage sceptique, peut-être une mystification, où Montfaucon de Villars a amalgamé le texte d'Agobard avec des passages inventés de toute pièce, notamment en rajoutant un imaginaire « cabaliste Zédéchias » au IXe siècle - les premiers écrits de la Kabbale ne datant que du XIIe - et des sylphes (qui sont des esprits de la nature dans la lignée de théories alchimiques et magiques qui apparaissent au XVIe, elles sont particulièrement illustrées à cette époque par H. Corneille Agrippa et Paracelse avec son Livre sur les Nymphes, Sylphes, Pygmées, Salamandres et autres Esprits).
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En ufologie, il semble que c'est Desmond Leslie, en 1953, dans son livre écrit avec le contacté George Adamski, qui introduisit le comte de Gabalis dans l'histoire des ovnis (6). Ce qui n'est pas surprenant pour quelqu'un proche de nombre de spéculations occultistes », citant en abondance des théosophes et faisant appel aux continents disparus. W. Raymond Drake paraît être le premier, en 1964, à mentionner Agobard, mais tout en conservant Montfaucon de Villars (7), chose courante après lui.
Note: En fait, ce serait plutôt Arthur Constance, en 1956.
J.-L. Brodu se refuse à faire un bêtisier dans la jungle de ces citations. S'il existait, j'avoue que je placerais dans les premières places Guy Breton pour son livre cosigné avec Louis Pauwels (8).
Note: Et comment! Qu'on en juge... Mais les âneries de Facteur X, n° 88, ne sont pas mal non plus.
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Du vivant d'Agobard, les tempestaires sont visés par le concile de Paris en 829 : « On dit aussi qu'ils peuvent troubler l'air par leurs maléfices, envoyer des grêles. » (10). Et de fait, leurs actions sont condamnées et, de même qu'à travers l'argumentation d'Agobard, leurs pouvoirs ne sont pas considérés comme réels, mais comme illusoires : c'est avant tout le fait d'y croire qui est diabolique, dans le sens de « suscité par le diable ».
Note: Pour Agobard, c'est indéniable, ces pouvoirs étaient illusoires, mais pour les évêques du synode de Paris, ces pouvoirs semblaient réels, mais diaboliques. C'est d'ailleurs contre cette croyance des ecclésiastiques de son temps qu'Agobard écrivit son traité.
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En 1832, une épidémie de choléra sévit à Paris. Là encore, plusieurs fois, de véritables boucs émissaires seront lynchés par des foules. Le 4 avril, par exemple, près de Vaugirard : « La foule les malmène. Ils ont eu le tort d'avoir sur eux une sorte de poudre blanche. » Ils sont protégés par la police mais « la populace enragée les en arrache de vive force. Clarignon est massacré sur le seuil du porche. Gauthier va subir le même sort. » (12). Qu'est-ce-qui est important dans ce récit ? La présence réelle d'une poudre et sa composition ? Oui, pour ceux qui traquent l'extraordinaire et qui peuvent parfois se montrer terribles quand ils ont le pouvoir. Ou une vraie réflexion sur ce fait divers auquel répondent beaucoup d'autres à toutes les époques et dans toutes les cultures où des boucs émissaires sont tués ? J'ai déplacé le propos des traqueurs d'ovnis, mais je suis resté dans leur optique qui est uniquement la recherche du merveilleux. Dans le traité d'Agobard, seuls les navires aériens et la Magonie les ont obnubilés, le reste semble être de l'ordre du détail.
Cette histoire de Magonie, terme que l'on peut rapprocher, sans grand risque, de magie, est très isolée comme le stipule J.-L. Brodu.
Note: Le premier a rapprocher Magonia, de magus, semble avoir été Jacob Grimm, en 1835. Beaucoup l'ont suivi, d'autres ont vu un rapport avec le dieu gaulois Magounus, mais on peut aussi imaginer que Magonia soit tout simplement "le pays de Magon", ce qui ne nous avance guère, bien que Jean-Claude Bologne ait prétendu en inférer que Magonia soit Minorque.
Les vaisseaux aériens sont également peu fréquents.
Note: Il suffit de constater que dans le monumental recueil de prodiges, compilé jusqu'à l'an 1557, par Conrad Lycosthènes, la gravure avec des vaisseaux aériens n'est utilisée que deux fois, pour des prodiges des années 214 et 156 avant notre ère. Lycosthènes ne mentionne pas d'apparitions médiévales. Il y eut cependant, au moins une apparition en Irlande du Nord, vers l'an 749, suivie de récits légendaires (avec une ancre accrochée au sol), semblant se recopier les uns les autres. Mais l'apparition de 749 est probablement restée inconnue des Lyonnais. N'en déduisons pas trop vite qu'ils n'avaient jamais entendu parler de vaisseaux volants. Ils nous suffit de remarquer que pour les observations de soucoupes volantes de 1954, 20% des observation seulement furent publiées par les journaux, et 3% seulement par les ufologues de l'époque. En tenant compte que beaucoup d'écrits de l'époque carolingienne nous sont perdus, il n'est pas impossible que les lyonnais aient entendu parler d'une rumeur d'observation de vaisseaux aériens, d'ailleurs explicables par un simple banc de nuages. Il n'en reste pas moins que ces observations furent très rares.
Pour Agobard, il n'y a pas de preuve que ces quatre personnes soient « tombées » d'un de ces bateaux, comme il n'y a pas de témoignages directs attestant l'existence des tempestaires et de leurs pouvoirs alors qu'il en a cherchés.
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Pour les ufologues, leur capture crédibilise la Magonie et ses vaisseaux. Alors que feraient-ils (ou feront-ils !) de nombreux récits collectés par les folkloristes au XIXe où il est question de tempestaires vus dans le ciel en chair et en os.
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Deux femmes, « raconte-t-on à Rupt », travaillent un jour aux champs de Broche-le-Prêtre. Elles sont surprises par un orage et des pluies diluviennes. « Le ciel ne commença pas plus tôt à redevenir bleu qu'elles virent une nuée épaisse descendre à terre, tout près d'elles, et au milieu de cette nuée sortit une fermière des environs qu'elles reconnurent parfaitement. » (14)
...
Alors sommes-nous en présence d'extraterrestres ou d'autres entités ? Ou, à l'instar de nos tempestaires et nos bateaux magoniens - et de manière bien plus complexe - de récits qui mettent en scène des thèmes et des personnages de l'imaginaire collectif ? La version extraterrestre-recherche du merveilleux » se réduit finalement à un point de vue très rationaliste et très occidental du XXe siècle. Des documents du passé témoigneraient d'engins et d'une technologie hypothétiques attestés dès la fin des années quarante. Très limitée, cette interprétation nous sert aussi peu à comprendre ces documents que celles qui y voient des superstitions, des naïvetés ou des hallucinations.
Note: Il faudrait plutôt parler d'une interprétation scientiste et technicisante que rationaliste. Dans les années 50, les hypothèses étaient, des engins réels, des affabulations et des hallucinations. Ce sont des "rationalistes" comme Donald Menzel ou Evryu Shatzman qui introduisirent la notion d'illusion.

(6) Les soucoupes volantes ont atterri, Paris, La Colombe, 1954 (1ère éd. française), pp. 125-126.
(7) Gods or Spacemen ?, dans une réédition de 1977, Londres, Sphere, cf. dans la bibliographie p. 228 et 231. Dans Astronautes de l’ancien Orient, Paris, Albin Michel, 1976, on peut lire : « Agobard, en 840, écrivait que des sorciers venus des cieux avaient été lapidés à Lyon. » Il a donc dû lire son traité très vite ! « Au XVII siècle, Montfaucon de Villars, dans le Comte de Gabalis, parla avec beaucoup d'autorité des sylphides, des salamandres... » p. 214.
(8) Histoires extraordinaires, Paris, Albin Michel, 1980, pp. 185-191.
(10) P. Riché, La Vie quotidienne dans l'Empire caroligien, Paris, Hachette, 1973, p. 218.
(12) A.-P.Leca. Et le choléra s'abattit sur Paris, 1832, Paris, Albin Michel, 1982, p. 96
(14) L. F. Sauvé, Le Folk-Lore des Hautes-Vosges, Paris, Maisonneuve et Leclerc, 1889, pp. 185-186.(6)


SOURCE: OVNI Présence n° 53, juillet 1994, p. 4-16

Remarques:

Après une telle débauche d'explications, on pourrait imaginer que la cause soit entendue, et tant l'affaire de Lyon que la Magonie soient définitivement rangées au rayon de l'imaginaire.
Hé bien non! Des ouvrages, comme ceux Jean Sider, et surtout Wonders in the sky, de Jacques Vallée, montrent que le mythe perdure encore, preuve que certains auteurs se préoccupent plus de vendre du papier, que de la réalité historique.

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Dernière mise à jour: 12/01/2019