les origines de la légende d'Agobard


  Ce que nous appelons ici, légende d'Agobard, c'est la légende qui s'est construite par déformations successives, à partir de son récit initial de l'arrestation et de la disculpation de quatre personnes, accusées d'être tombées d'un vaisseau aérien. Cette légende est, en fait, un corpus de plusieurs, dans la mesure où tous ceux qui ont raconté l'histoire à leur façon, l'ont déformé dans le sens qu'ils voulaient, en sélectionnant ce qui les arrangeait, oubliant ce qui les génait et inventant ce qui manquait. Il sont arrivés ainsi à démontrer que des extraterrestres nous visitaient au moyen-age, ou encore qu'on avait déjà inventé la montgolfière du temps de Charlemagne.

  Mais tout ceci s'est construit sur un fait: DevantAgobard, on avait accusé quatre personnes d'être tombés d'un navire aérien. Un deuxième fait, le lynchage de prétendus empoisonneurs de boeufs, a aussi été récupéré pour enrichir la légende. Or, ces accusations reposaient sur des croyances de l'époque, et ces croyances avaient des origines elles aussi.

  Nous avons ainsi un faisceau convergent de croyances qui aboutissent à un fait: la tentative de lynchage de quatre prisonniers sauvés par Agobard. Ce fait entraine l'écriture d'un livre, qui a d'ailleurs failli être perdu. Ensuite viennent huit siècles d'oubli.
Puis, huit siècles plus tard l'ouvrage est redécouvert, réinterprété, et bientôt son récit va exploser en multiples versions, comme dans un kaléidoscope: c'est la légende d'Agobard.

  Le détail qui a le plus intéressé les ufologues, c'était la mention de navires aériens. Aujourd'hui, on sait qu'un bateau à voiles, ça ne vole pas, mais ceux auxquels croyaient les ouailles d'Agobard étaient censés voguer dans les nuages. Les ufologues en ont déduits qu'ils s'agissait de machines volantes que les paysans de l'époque prirent pour des navires aériens, sans se préoccuper que ni Agobard, ni les compilateurs de prodiges médiévaux ne mentionne une seule observation d'un tel navire. De plus, si de telles machines avaient été observés, elles auraient été comparées aux objets de forme similaire, écuelle, chaudron, lampe, coffre, tonneaux, voire à des fruits ou légumes, mais pas à des navires à voiles. De fait, de telles observations furent très rares: On en connait deux cas dans l'antiquité, et un cas en Irlande, et bien qu'il faille tenir compte des documents disparus, les observations auraient du pouvoir se compter sur les doigts. Cela a pu suffire néanmoins pour que la rumeur ait pu en courir chez les paysans du haut moyen-age, mais on peut penser aussi qu'il s'agissait d'une simple croyance, venue du fond des ages. Car il y a effectivement des objets volants dans les vieux mythes. Charles Dollfus, dans son Histoire de l'aéronautique, écrivait même "En Europe, toutes les légendes sont purement mythiques". Dans ce cas, ce ne sont plus les observations effectivement effectuées (et très rares), qui expliquent la croyance, mais la croyance qui explique les quelques observations.
Une dernière possibilité est que ces navires aient été inventées pour rendre compte de leur élusivité: Personne n'avait jamais vu des convois de chariots Magoniens emportant les récoltes perdues. La croyance aux Magoniens emportant les récoltes imposaient donc qu'ils utilisent un moyen de transport plus discret: des navires voguant dans les nuages (et cachés par eux) expliquaient pourquoi on les voyaient si peu.

  Un autre détail qui a fait fantasmer est le pays d'origine de ces navires,la Magonie. On était censé en venir à travers les nuages, mais il n'a jamais été dit qu'elle se trouvait dans les nuages. Surnaturel, ou pas, c'était simplement un pays au delà du monde connu. Et comme on a rarement supposé qu'il n'y avait rien au delà du monde connu, c'est seulement l'origine du mot pose problème. Quant à l'existence réelle du pays qui serait à l'origine de cette légende, elle n'est même pas nécessaire.

  Le détail sociologiquement le plus important, est la croyance à la possibilité d'agir sur le temps, voire sur la santé des animaux. Il faut bien se rendre compte de l'importance des intempéries, ou des épizooties, à une époque ou l'agriculture et l'élévage tenaient une place si importante dans l'économie. Or une simple coincidence suffisant à créer une association d'idées, on avait vite fait d'associer une comète à une épidémie, où une sécheresse à une malédiction. Comme l'agriculture existait avant que l'écriture n'exista, on comprend que, comme la magie, l'origine des superstitions liées à l'agriculture, et à l'élévage, se perde dans la nuit des temps. On peut donc trouver des exemples d'envoutement de malédictions et de sortilèges, en remontant dans l'histoire, bien en deça d'Agobard, comme avec la loi des douze tables ou du temps de Sénèque. Il est vrai qu'on en trouve tout aussi bien en redescendant jusqu'à notre époque.

  Comme le livre d'Agobard est centré sur les superstitions conçernant la grèle, intéressons nous à ces croyances:

  Il faut bien se rendre compte qu'elle sont corrélées à l'inquiétude des dégats que la grèle provoquait. Et ces dégats étaient parfois très importants, voire catastrophiques. Sans aller jusqu'à récupérer la grêle meurtrière envoyée par Yahvé contre les ennemis d'Israel, lors de la bataille de Gabaon, on peut signaler les violentes grêles d'orages de l'an 344 avant notre ère, à Rome, ou celle de l'an 47 avant notre ère, en Tunisie, mentionnée par l'auteur de Bellum africum. Une grêle du même genre, où les grélons sont comparés à des pierres, est mentionnée par Eginhard, du temps d'Agobard, mais pour l'an 823, donc après la rédaction de son livre:
Grando devastavit fruges et cum grandine cadebat veri lapides magni terreni.
la grêle devasta les recoltes et avec la grêle tombaient de vraies grandes pierres terrestres.

Pour ce qui est des dégats eux-même, et sachant que les phénomènes météorologiques sont les mêmes à toutes les époques, un exemple percutant nous est donné par tous les bons livres de météorologie, avec l'épouvantable orage du 13 juillet 1788, tellement mémorable que certains registres paroissiaux le mentionnent. La carte de son passage en a été dressée par Buache sur ordre du roi Louis XVI. Quant aux dégats, on peut les lire dans le Mercure de France de l'époque:
Depuis le matin, écrit-on de Cateau-Cambrésis, il faisoit une chaleur excessive; vers les onze heures & demie, le ciel se couvrit de nuages épais, qui présageoient une pluie des plus abondantes. Des éclairs continuels faisoient appréhender un orage affreux. A onze heures trois quart, il s'éleva un vent de sud-ouest très impétueux. Un instant après, le tonnerre se fit entendre avec plus de violence; à une pluie qui dura peu, succéda une grêle affreuse qui, en moins de vingt minutes, ravagea toutes la campagne & occasionna en cette ville un dommage très considérable. Toutes les vitres exposées au midi & au couchant, furent fracassées en un moment. Les maisons souffrirent beaucoup de l'ouragan, les toits furent à moitié découverts, plusieurs mêmes percés. Les grélons étoient très-gros, plusieurs pesoient jusqu'à cinq ou six onces.( de 140 à 170 grammes )
... les fourrages sont perdus.
... A Douay, le dégât causé par la grêle, dont les pierres pesoient trois quarterons ( 375 grammes ) & plus, est évalué à près de cent mille écus, en vitres cassées seulement.
...les bleds, les tabacs, tout a été broyé jusque dans les racines. Des arbres d'une grosseur énorme ont été brisés, & d'autres déracinés; des maisons détruites; les troupeaux, le gibier, les poulets, les poules, les pigeons, tués ou blessés; quelques personnes ont aussi été blessées très grièvement, & il en est même, dit-on, qui ont perdu la vie.

(Mercure de France, 1788, N° 31, p.26-28)
Cet orage est exceptionnel par son étendue, la taille de ses grélons, et ses dégats, et certains voient dans la misère qu'il a engendré une des causes de la révolution.
Mais au cours de l'histoire, de nombreux orages, moins étendus, mais non moins violents, n'en ont pas moins ruiné beaucoup de récoltes et blessé beaucoup d'animaux. Un exemple immédiat en est l'orage moins connu qui, le 10 juillet de la même année, ravagea les environs d'Ardes en Auvergne, sur une étendue de deux lieues sur douze, avec les mêmes dégats.
Camille Flammarion, dans sa Météorologie populaire, mentionnne plusieurs orages prodigieux: Le 3 aout 1813, près d'Angoulème, vers 18 H, le ciel s'obscurcit, et une cataracte de grêle tomba qui s'amoncela dans les chemins sur plusieurs dizaines de cm. Des personnes furent blessés, un enfant tué, des animaux mutilés, les arbres effeuillés, les moissons écrasées et les vignes hachées au point qu'on dut les arracher. Le 17 juillet 1852, un orage, parti de la haute Marne, parcourut 24 lieues de long sur deux de large, et arriva dans l'Aisne, détruisant les récoltes, déracinant les arbres, renversant des chaumières et tuant plusieurs personnes. Le 9 mai 1865, à Le Catelet, dans l'Aisne, la chute de 600 000 m3 de grélons, forma un lit tellement épais qu'il subsista plusieurs jours.

  A l'échelon de la France, ces orages se produisent plusieurs fois par siècles. On comprend la crainte qu'ils inspiraient, et le désir qu'on avait de s'en prémunir. Au moyen age, époque où on n'avait pas la moindre idée du processus de formation de la grêle, mais où on croyaient à la possibilité d'agir sur le temps, par des incantations, où des procédés magiques basés sur l'analogie, il était bien normal qu'on paye une redevance en nature à ceux dont on pensait qu'ils étaient capables d'écarter ce danger.

Arago, recopié par Sestier, Figuier, et beaucoup d'autres, nous donne une idée du procédé employé:
Au siècle de Charlemagne, on élevait de longues perches dans les champs pour écarter la grêle et les orages. Hâtons-nous d'ajouter, car sans cela les admirateurs fanatiques de l'antiquité trouveraient dans cette citation une preuve manifeste de l'ancienneté des paratonnerres de Franklin, hâtons-nous d'ajouter que les perches restaient inefficaces, à moins qu'elles ne fussent surmontées de morceaux de papier. Ces papiers ou parchemins étaient sans doute couverts de caractères magiques, puisque Charlemagne, en proscrivant cet usage par un capîtulaire de l'an 789, le qualifiait de superstitieux.
(Francois Arago, Sur le tonnerre, Annuaire pour l'an 1838 présenté au roi par le bureau des longitudes, Paris, 1837, p. 529)
Arago ne donne pas sa source, mais on retrouve cette information en 1829, dans Des sciences occultes, d'Eusèbe Salverte, qui lui même prétend la tirer d'un capitulaire de 789. Mais il semble que, Salverte la tirait d'un mémoire de M. de Laboissière, lu à l'académie du Gard en novembre 1811, qui lui aussi prétendait citer ce capitulaire, sans donner la référence exacte:
L'art dégradé des augures fut proscrit dans un capîtulaire de l'an 789. L'empereur y proscrit, comme superstitieux, l'usage d'élever des morceaux de papier sur de longues perches pour écarter la grêle et les orages.
Il existe pour ce capitulaire, une référence plus ancienne, et en français, avec l'histoire de l'église Gallicane, parue en 1730:
XVIII. Défenses de baptiser les cloches, (b) & de pendre des papiers à des perches pour détourner la grêle.
(b) Il se mêloit sans doute alors, quelque superstition dans ce qu'on nommoit le Baptême des cloches qu'on défend. L'Eglise y a pourvu en prescrivant les prieres & les cérémonies pour la bénédiction des nouvelles cloches. Le peuple a continué de nommer cette bénédiction Baptême, parce qu'on y donne un nom aux cloches, qu'on les lave avec de l'eau benite, & qu'on y fait des onctions avec le saint Chrême.

Source: Jacques Longueval, HISTOIRE DE L'EGLISE GALLICANE, Paris, 1730, p. 534
Nous pouvons voir que dans le capitulaire d'Aix la Chapelle de 789, Charlemagne se contente de condamner les "tempestaires" et autres magiciens, ainsi que les auteurs de phylactères. Mais il existe un autre capitulaire de 789, ou Charlemagne proscrit effectivement cette pratique:
XVIII. Ut clocas non baptizent, nec chartas per perticas appendant propter grandinem.
18 Qu'ils ne baptisent pas les choches, ni ne suspendent des lettres à des perches à cause de la grêle.
Source: Stephanus Baluzius, CAPITULARIA REGUM FRANCORUM, Paris, 1780, col. 244

  Cependant, on peut comprendre la haine que les paysans pouvaient vouer à ceux qui étaient censé provoquer de telles catastrophes, ces "tempestaires" qu'on ne voyait jamais, mais dont personne ne doutaient qu'ils existassent, puisque l'orage existait. Dès lors, il était logique qu'on en veuille aussi à leurs complices, ceux dont on croyait qu'ils emportaient les récoltes perdues.
Et voila pourquoi, du temps d'Agobard, quatre personnes furent menacées d'être lapidées, parce qu'on les croyaient tombés d'un navire aérien: S'ils en étaient tombés, c'est qu'il s'agissait de ces Magoniens, qui viennent acheter nos récoltes aux tempestaires dont les agissements nous ruinent, et ces gens méritaient bien d'être exécutés.

  Remarquons que, si Agobard dit bien qu'il put confondre ceux qui les avaient capturés, il ne dit pas qu'il put convaincre le peuple de l'inexistence des tempestaires et des Magoniens. Et quand on voit qu'il ne put même pas convaincre les autres évêques de la fatuité des pouvoirs des sorciers du temps, on devine qu'il n'en fut rien.


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Dernière mise à jour: 03/07/2019