L'astronomie populaire |
Camille Flammarion |
L'astronomie populaire de Flammarion, est un livre encore recherché. Paru en 1880, le livre fut réédité en 1890, et eut de nombreuses réimpressions, et formats: en livres dorés sur tranche ( qui faisaient de splendides livres pour les distributions de prix des écoles ) ou brochés, en livrets thématiques, en fascicules. Ce fut un best seller, qui fut traduit en plusieurs langues, et réédité plusieurs fois après la mort de Flammarion, mais en étant tellement retravaillé avec l'aide de plusieurs astronomes que l'ouvrage, certes bien plus d'actualité, n'avait plus grand chose à voir avec l'original. C'est pourquoi, un siècle après sa parution, on a publié des rééditions en fac-similé de l'édition originale, devenue un objet de collection.
Voici l'extrait consacré à Ambroise Paré
|
600 LES COMETES DANS L'HISTOIRE
Cette comète, du reste, ne fait pas exception à la règle générale, car ces astres mystérieux ont eu le don d'exercer sur l'imagination une puissance qui la plongeait dans l'extase ou dans l'effroi. Epées de feu, croix sanglantes, poignards enflammés, lances, dragons, gueules, et autres dénominations du même genre leur sont prodiguées au moyen age et à la renaissance. Des comètes comme celles de 1577 paraissent du reste justifier, par leur forme étrange, les titres dont on les salue généralement. Les écrivains les plus sérieux ne s'affranchirent pas de cette terreur. C'est ainsi que dans un chapitre sur les Monstres célestes,
Fig.259. - Ce qu'on croyait voir dans la comète de 1528 |
le célèbre chirurgien Ambroise Paré décrit sous les couleurs les plus vives et les plus affreuses la comète de 1528: « Cette comète étoit si horrible et si épouvantable et elle engendroit si grande terreur au vulgaire qu'il en mourut aucuns de peur. Les autres tombèrent malades. Elle apparaissoit estre de longueur excessive, et si estoit couleur de sang; à la sommité d'icelle, on voyoit la figure d'un bras courbé tenant une grande épée à la main, comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la pointe il y avoit trois estoiles. Aux deux costés des rayons de cette comète, il se voyoit grand nombre de haches, cousteaux, espées colorées de sang parmi lesquels il y avait grand nombre de fasces humaines hideuses, avec les barbes et les cheveux hérissez.»
On peut, du reste, admirer cette fameuse comète dans la reproduction fidèle que nous en donnons ici
...
On voit que l'imagination a de bons yeux, quand elle s'y met
Plusieurs personnages connus crurent si bien à la fin du monde, en 1528 et en 1577, qu'ils léguèrent leur biens aux monastères, sans réfléchir pourtant suffisamment,... car la catastrophe serait sans doute arrivée pour tout le monde. Les moines se montrèrent meilleurs physiciens, et acceptèrent les biens de la Terre en attendant les volontés du ciel.
Camille Flammarion, L'Astronomie Populaire, Paris, C.Marpon et E.Flammarion, 1880, p 600
|
Le texte attribué à Ambroise Paré est, en fait, le même que celui publié dans les Merveilles célestes, donc avec les mêmes défauts: texte inexact, tronqué sans indication de césure, et n'indiquant pas la source, pourtant clairement indiquée dans le texte de Paré.
Malgré le respect qu'on est tenté d'accorder à Camille Flammarion, pour son immense travail de vulgarisation, on peut s'étonner qu'il écrive ici avec tant de légèreté. Outre la corruption du texte, Flammarion nous ressort la légende de l'obscurantisme médiéval et de la cupidité des moines.
Pour le parodier, on pourrait écrire que Les écrivains les plus sérieux ne s'affranchirent pas de cette erreur, car cette légende eut cours tout au long du XIXème siècle, et inspira même un vulgarisateur de la taille d'Arago, qui fut tellement persuadé de l'obscurantisme papal, qu'il écrivit en 1832:
"Lorsqu'en 1456, on vit paraître l'éclatante comète, qui doit revenir dans le mois de novembre 1835, le Pape Calixte en fut si effrayé, qu'il ordonna, pour un certain temps, des prières publiques, dans lesquelles, au milieu de chaque jour, on excommuniait à la fois la comète et les Turcs" |
Quoiqu'excommunier ne soit pas à prendre au sens ecclésiastique, mais au sens de "vade retro cométa"
Après cela, Camille Flammarion, ne pouvait faire moins que d'écrire:
La comète parut en juin 1456; elle était grande et terrible, disent les historiens du temps;
...
Dans un si grand danger, le Pape Calixte III ordonna que les cloches de toutes les églises fussent sonnées chaque jour à midi, et il invita les fidèles à dire une prière pour conjurer la comète et les Turcs. Cet usage s'en conservé chez tous les peuples catholiques, bien que nous n'ayons plus guère peur des comètes, et encore moins des Turcs; c'est de là que date l'Angélus
Camille Flammarion, L'Astronomie Populaire, Paris, C.Marpon et E.Flammarion, 1880, p 599
|
Dès 1909, plusieurs articles historiques remirent la légende à sa place: Callixte III s'était bien inquiété des turcs, mais n'avait jamais tenté de conjurer la comète, encore moins de l'excommunier. Flammarion consentit alors à écrire une petite note de bas de page, à propos de l'Angélus:
(institution niée par certains ecclésiastiques)
|
Mais il faut nous souvenir que les ecclésiastiques étaient pour lui des gens de mauvaise foi
Quant à la "reproduction fidèle" qu'il donne ce n'est autre que celle de la gravure que Le Magasin Pittoresque avait publié en 1853, en redessinant la gravure que Conrad Lycosthenes avait publié en 1557, donc 22 ans avant Paré. C'est d'autant plus bizarre que dans les Merveilles célestes, Flammarion avait reproduit la gravure publiée par Pouchet, qui, bien que redessinée, était à peu près fidèle à la gravure de Paré. Et il employait exactement la même formule. Comme quoi deux "reproductions fidèles" à une même troisième peuvent néanmoins être différentes...
Camille Flammarion croyait tellement à la légende de la comète d'Ambroise Paré, qu'il la ressortit, en l'exagérant, dans plusieurs de ses livres, notamment Qu'est ce que le ciel, et l'Astronomie des dames
Ne comptons pas sur l'édition de 1955 pour corriger ces erreurs: le texte en est identique. Il faut dire qu'il a été rédigé par Gabrielle Camille Flammarion, c'est à dire cette même Gabrielle Renaudot qui avait réussi à parler de la comète de Paré sans une ligne de vrai
Par contre la gravure de l'édition de 1955 est bien celle du livre d'Ambroise Paré
|