1887. Paul Stroobant, renvoie le satellite aux oubliettes.

Stroobant
Paul Stroobant
Paul Stroobant (1868-1936), né à Ixelles (Belgique), et fils du peintre François Stroobant, travaillait comme simple assistant à l'observatoire royal de Belgique, sous l'autorité de François Folie, quand il publia ( à l'age de 19 ans! ), une étude systématique de toutes les observations connues du prétendu satellite de Vénus, qui concluait qu'elles concernaient, pour la plupart, des méprises avec des étoiles. Son étude fut bien acceptée dans le petit monde de l'astronomie, et beaucoup d'astronomes pensèrent qu'il avait résolu le problème.
Il obtint un doctorat es sciences en 1889, puis partit continuer ses études à Paris. En 1896 il revint en Belgique pour y être professeur d'astronomie à l'université libre de Bruxelles. Il devint en 1925, directeur de l'Observatoire royal de Belgique. Il s'intéressa aux petites plsnètes, fit de nombreuses communications et fut un membre actif de l'union astronomique internationale.

Pourquoi s'intéressa-t-il au satellite de Vénus? Il s'en explique:

Dans un discours prononcé à l'Académie, il y aura bientôt dix ans, M. Houzeau signalait, parmi les phénomènes énigmatiques de l'astronomie, la question du satellite de Vénus. Peu d’apparitions, en effet, paraissent aussi singulières que celles de cet astre, visible rarement près de Vénus et toujours d’une façon éphémère.
...
Un intéressant article de M. Houzeau, publié en mai 1884, nous suggéra l’idée d'étudier la question; c’est le résultat de nos recherches que nous avons l'honneur de présenter à l'Académie.


Paul Stroobant, Étude sur le satellite énigmatique de Vénus, Mémoires couronnés et memoire des savants étrangers publiés par l'académie royale des sciences des lettres et des beaux arts de Belgique, tome XLIX, 1888, (Présenté à la Classe des sciences, dans la séance du 10 mai 1887)

Le Tableau
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Puis il attaque son sujet en présentant un grand tableau de toutes les observations connues en 35 lignes et 10 colonnes. Curieusement il groupe 3 observations en une seule, en sorte qu'il n'y a donc que 33 numéros. De plus il ne compte pas deux observations récentes, au motif qu'elles ne sont visiblement pas des observations d'un satellite: l'une n'est qu'une tache sur Vénus, l'autre une nébulosité à coté de Vénus. Mais à ce compte là, les 4 premières lignes qui concernent les prétendues observations de Fontana auraient du être éliminées aussi: Fontana n'a jamais prétendu voir un satellite de Vénus, il n'a vu que des points noirâtres dues au défaut de sa lunette.

Revue des hypothèses.

L'auteur passe ensuite en revue les différentes hypothèses explicatives:

Première hypothèse: un vrai satellite, dont la rareté des observations restait inexplicable. Lambert ayant calculé une orbite, il s'en déduit une masse de Vénus près de 10 fois supérieure à la masse réelle. Stroobant conclut: "L'existence d'un satellite véritable est donc absolument condamnée". En fait, c'est inexact: c'est l'orbite de Lambert qui est absolument condamnée. Le satellite serait plutôt condamné à cause de son invisibilité habituelle.

Deuxième hypothèse: celle des reflets dans les lentilles. Elles pourraient s'appliquer dans plusieurs cas, mais ne tient pas pour les observations de Mayer, de Montaigne ou de Rœdkiœr.

Troisième hypothèse: celle d'Uranus, ne serait valable que pour l'observation du 4 mars 1764.

Quatrième hypothèse: celle émise par Von Ende d'une des quatre petites planètes, étendue par Bertrand à l'ensemble des astéroïdes connus. Mais l'éclat de l'astéroïde dans la direction de Vénus serait inférieur d'au moins deux magnitudes à celui observé lors de l'opposition, en sorte qu'il n'y a guère que Vesta, le plus brillant de tous, qui pourrait être soupçonné.

Cinquième hypothèse: celle émise par Haase, d'une planète non encore découverte. Les éléments donnés par Haas ne corespondent pas aux observations.

Sixième hypothèse: celle émise par Webb d'un mirage. Mais un mirage ne rapetisserait pas l'image et serait toujours à la verticale de Vénus, ce qui n'est pas le cas.

Septième hypothèse: celle émise par Houzeau d'une planète intramercurielle. Mais Houzeau lui même s'est rendu compte que les élongations de Vénus au moment des observations rendaient l'hypothèse intenable.

Huiième hypothèse: celle émise par Houzeau d'un pseudo satellite légèrement extérieur à Vénus. Mais Houzeau ne tenait pas compte de toutes les observations. Non seulement certaines onservations ne correspondent plus pour ce qui est de la période, mais l'hypothèse du pseudo satellite est incompatible avec le fait que les observations de 1761 s'étalent sur plusieur semaines. Néanmois, en tentant de refaire les calculs, Stroobant découvrit le role d'une étoile dans l'observation du 5 aout 1761 (et le pot aux roses).

Puisqu'il fallait alors connaitre exactement la position de Vénus au moment des observations, l'auteur donne alors trois tableaux contenant tous les paramètres nécessaires, calculés pour l'équinoxe de l'époque de chaque observation d'après les tables de Leverrier. Tables qau'il n'est pas vraiment utile de reproduire ici.

l'examen détaillé des observations.

Ici, la vraie étude commence, cas par cas. Curieusement les cas ne sont pas rangés par ordre chronologique, mais probablement dans l'ordre ou l'auteur les a étudié.

4 aout 1761. Observation de Rœdkiœr et Böserup (c'est le cas qui mit la puce à l'oreille de l'auteur). En convertissant les coordonnées de Vénus, puis du satellite pour l'équinoxe 1855, afin de pouvoir les comparer aux donneées du Bonner Durchmunsterung, l'auteur trouve que l'étoile d'abord prise pour le satellite était l'étoile χ3 Orionis, puis que le prétendu satellite devait être l'étoils χ4 Orionis, dont les coordonnées diffèrent très peu.

Cette observation ayant mis l'auteur sur la piste, il va chercher si d'autres cas s'expliqueraient par des étoiles, mais d'abord il va nous prouver qu'il est parfaitement possible d'observer des étoiles faibles à coté de la brillante Vénus. Aussi cite il quelques observations d'étoiles de 8e grandeur qu'il fit en mars et avril 1887. Notamment l'étoile DM. + 10°257 vue à 5 ou 6' de Vénus, malgré un fort crépuscule.

2 novembre 1740. Observation de Short. L'auteur trouve que l'étoile DM + 2°2493 se trouve à 7 ' de Vénus et pense que la différence de 3' avec l'angle mesuré par Short s'explique par une incertitude sur l'heure. Mais l'heure est clairement indiqué dans la source: 7 h 15 à 8 h 15. A cette heure là l'étoile était à moins de 3' de Vénus, et d'ailleurs l'observation eut lieu en plein jour, et l'étoile n'était probablement pas visible pour Short. Une hypothèse qui parait meilleure est celle du reflet de la lumière solaire dans le télescope, comme expliqué par W. F. Denning.

10, 11 et 12 février 1761. Observation de La Grange. L'auteur regrette que nous ne connaissions pas la position du satellite par rapport à Vénus, mais indique la position de trois étoiles qui pourraient convenir.

3, 4, 7 et 11 mai 1761. Observations de Montaigne. L'auteur relève les positions de 3 étoiles, dont la première, DM 27 806 (HIP 26291), lui parait avoir été observée le 3 et la 4 mai, avec une position erronée le 3. En fait, pour le 4, l'étoile est la bonne, mais le 3, c'est une autre étoile qui se trouvait à la position indiquée. Les deux autres étoiles, DM 27 839 (HIP 26852) et DM 27 849 (HIP 27063) ne correspondent pas du tout comme on peut s'en rendre compte sur la figure montrant la position des étoiles par rapport à Vénus, en bas de la page concernant Montaigne. Finalement, Stroobant à raison sur le fond: c'était bien des étoiles, mais malheureusement, il n'en a trouvé qu'une de bonne.

6 juin 1761. Observation de Scheuten, etc. L'auteur signale que si Scheuten dit avoir vu le satellite traverser le disque solaire, et en sortir à 15 h, un observateur anonyme l'a vu sortie 5 ½ heures plus tôt. Puis il cite 5 observateurs (et non des moindres) qui n'ont rien vu de ce satellite, et en déduit que les prétendus observateursz du satellite n'ont vu que des taches solaires. Pourtant la vitesse de déplacement alléguée sur le disque solaire n'a rien à voit avec celle d'une tache solaire qui met une douzaine de jours à le traverser. L'observateur anonyme parait avoir inventé son observation, quand à Scheuten il parait bien avoir menti en disant avoir noté l'observation dans son journal, puisque les renseignements sont faux.

18 juillet 1761.Observation de Rœdkiœr. L'auteur montre que l'estimation des distances exprimées en diamètres de la planète conduit à des sous estimations d'un facteur 3, et en déduit que le supposé satellite était en réalité l'étoile m Tauri.

7 août 1761. Observation de Rœdkiœr. L'auteur pense que le supposé satellite était l'étoile 71 Orionis, la différence de 12s en ascension droite s'expliquant par l'incertitude sur l'heure (notre étude le confirme).

11 août 1761. Observation de Rœdkiœr. L'auteur remarque que Rœdkiœr ne donne pas la distance du satellite à Vénus, et pense qu'il s'agissait de ν Géminorum, ce qui est bien probable.

12 août 1761. Observation de Rœdkiœr. De la même façon l'auteur pense qu'il s'agissait de l'étoile DM +19 1391.

15, 28 et 29 mars 1764. Observations de Montbarron. L'observateur n'indiquant pas les distances, mais seulement les directions, l'auteur pense que les étoiles responsables sont DM +11 262 pour le 15, et DM +17 471 pour le 28. Pour le 29 mars il ne trouve pas d'étoile dans la direction indiquée (44° ouest), mais pense que ce pourrait être l'étoile BD +17 493. Cette supposition devient très probable si l'on admet qu'il fallait lire 4° ouest. Or l'auteur lui même a fait ce genre d'erreur en écrivant BD +170°493. Enfin l'auteur réfute facilement l'objection que l'astre ne scintillait pas comme une étoile, car c'est souvent le cas dans les instruments.

3 janvier 1768. Observation de Horrebow. D'après l'auteur, les coordonnées du satellite seraient identiques à celles de l'étoile θ Librae, et (notre étude le confirme).

11 et 15 novembre, 25 décembre 1645 et 22 janvier 1646. Observations de Fontana. L'auteur met ces observations à la poubelle en montrant que Fontana prétend avoir vu Vénus en croissant, alors qu'elle ne l'était pas, mais dessine le satellite avec une forme circulaire. Il cite l'opinion de Littrow que la lunette de Fontana était bien mauvaise. Remarquons tout de même que Fontana a parlé de globules et non de satellite, et que c'est par convention qu'il represente ces globules ronds. En réalité, il ne voyait qu'un simple point.

Les observations difficiles à expliquer.

1e 1672. Observation de Cassini. L'auteur ne trouve pas d'étoiles mais remarque qu'il n'y a pas de carte détaillée de la région du ciel où se trouvait Vénus. Ceci parait étonnant puisque 40 ans auparavant, Galle avait découvert Neptune grace à une carte céleste. Et par ailleurs, on pourrait soupçonner un artefact d'origine optique.

2e 1686. Observation de Cassini, et 3e 1759. Observation de Mayer. Cette fois, ne trouvant toujours pas d'étoile, l'auteur soupçonne une erreur de date. Il nous semble que c'est bien facile, et qu'on pourrait expliquer toutes les observations par des étoiles avec cette méthode. L'hypothèse d'un artefact optique nous semble mériter d'être examinée d'abord.

4e juin 1761. Observation de Rœdkiœr. l'auteur affirme que cette observation est douteuse, car les autres observateurs ne virent rien, et que cette observation ne figure pas dans le tapport de Horrevow et Rœdkiœr. (notre étude le confirme).

5e mars 1764. Observation de Rœdkiœr. L'auteur remarque qu'Uranus se trouvait à 16' de Vénus, mais que selon Rœdkiœr, le satellite n'était qu'à 0.5'. L'auteur ne remarque pas que pour deux observations, le supposé satellite disparut en plein ciel.

L'auteur n'analyse pas les deux observations de 1884, qu'il a éliminé d'entrée de jeu, ni l'observation de Webb, en 1823, qu'il connaisait pourtant par l'article de Nature, et qui concernait aussi une étoile.

Les textes originaux.

A la page 35, débute la citation des textex originaux dans leur langue, c'est à dire latin, français, anglais et allemand. Certains textes, comme ceux de Fontana n'étaient pas disponibles en Belgique, et tout le monde peut remercier l'auteur de las avoir rassemblé. Sont ainsi cités:
1645-1646 Observations de Fontana.
1672 Observation de Cassini.
1686 Observation de Cassini.
1740 Observation de Short.
1759 Observation de Mayer.
1761 Observations de La Grange.
1761 Observations de Montaigne.
1761 Observation de Scheuten.
1761 Observation faite à St Neost (Huntingdonshire.)
1761 Observations de Rœdkiœr.
1764 Observations des astronomes de Copenhague.
1764 Observations de Montbarron.
1768 Observations de Horrebow.

A la suite viennent les cartes célestes, malheureusement pas très lidibles, montrant l'emplacement des étoiles incriminées.

L'accueil de l'étude de Stroobant.

Le travail de Stroobant reçut un accueil très favorable dans le monde savant, en commençant par l'observatoire royal de Bruxelles, bien qu'il ait légèrement égratigné le travail de Houzeau, son ancien directeur. Celui ci écrit, dans la revue éditée par l'observatoire:

La question du satellite énigmatique de Vénus me semble avoir fait un pas important par les recherches de M. Stroobant, dont j'ai l'honneur de rendre compte à la classe.
...
Mais le point vraiment intéressant du travail de M. Stroobant, c’est que, dans sept cas ou séries, il a pu identifier le prétendu satellite avec de petites étoiles dans le voisinage desquelles passait Vénus. Ce résultat jette un jour inattendu sur la question. On n'avait pas supposé que des astronomes, habitués à l’observation, auraient parlé d’un satellite avant de s'assurer qu'il n’existait pas, dans cette région du ciel, d'étoile fixe. Tel a été pourtant le cas, dans un certain nombre au moins de circonstances ; et dans l'observation de Horrebow, en 1768, l'étoile n'était autre que 0 Libræ, qui est de quatrième grandeur.
...
Le résultat auquel arrive l’auteur du mémoire n'en a pas moins un intérêt marqué: l'explication, au moins partielle, qu'il présente d’une énigme longtemps restée sans solution, possède d’autant plus de valeur qu’elle a une grande simplicité et qu’elle repose sur une circonstance toute naturelle.
J. C. HOUZEAU.
Ciel et Terre, 1887, p.332

Le Bulletin Astronomique renchérit:

  Ce qu'on trouve de vraiment nouveau dans le travail de M. Stroobant, c'est que, dans un certain nombre de cas, il a réussi à identifier le prétendu satellite avec de petites étoiles dont la planète se trouvait voisine. Ainsi, le 4 août 1761, Rœdkiær a évidemment pris pour le satellite une étoile de 5° grandeur (χ4 d'Orion), dont la position concorde, à 4’ ou 5' près, avec celle que lui assignent ses mesures: il avait commencé par fixer son attention sur une autre étoile, plus voisine de la planète (χ3 d'Orion), et qui se retrouve aussi à la place indiquée.
  Le 7 août de la même année, il a probablement observé une étoile de 6° grandeur (71 Orion); le 11, une étoile de 4e,5 grandeur (ν Gémeaux); le 12, l'étoile DM. + 19°,1391 (7e grandeur). Le 2 novembre 1740, l'opticien Short avait, dans le champ de son télescope, l'étoile DM. + 2°,2493 (8e,5). Dans l'observation de Horrebow (3 janvier 1768), l'étoile était θ Balance (4e,5 grandeur);
...
Il ne paraît donc pas douteux qu'une bonne partie des observations en question puisse s'expliquer d’une manière très naturelle par la présence d'étoiles assez brillantes que les observateurs ont négligé d'identifier par la suite.
Bulletin Astronomique, 1887, p.473

L'Astronomie lui ouvre ses colonnes et lui permet de conclure:

  Pour les observations de Cassini (1672 et 1686), de Mayer (1759) de Roedkier et des autres astronomes de Copenhague (28-30 juin 1761 et 3 au 11 mars 1764) on ne trouve pas d'étoile.
  Il n’est pas impossible que Cassini ait été trompé par une illusion d'optique, car, à son époque, les astronomes n'étaient pas encore mis en garde contre de semblables erreurs. Pour expliquer l'observation de Mayer, on pourrait supposer que la date de cette observation ne nous à pas été transmise exactement, parce que, en l’avançant de quelques jours, on arrive à l'étoile ε des Gémeaux.
  Enfin les apparitions des 28, 29 et 30 juin 1761 sont douteuses, car il est noté que les autres astronomes de l'observatoire de Copenhague n'ont rien vu. Les Seules observations qui, d'après nous, paraissent inexplicables, sont celles du 3 au 11 mars 1764; peut-être, comme l'a fait remarquer M. Houzeau, serait-il opportun de rechercher si aucune des petites planètes les plus brillantes ne s'est trouvée près de Vénus à cette époque.
  En résumé, nous pouvons dire que le satellite de Vénus n'existe pas, et que lorsqu'il n’y a pas eu fausse image ou illusion d'optique, on trouve pour les observations les mieux faites une étoile fixe correspondant presque exactement aux diverses positions observées.
PAUL STROOBANT.
L'Astronomie, décembre 1887, p.457

Enfin Camille Flammarion est catégorique:

La question du satellite énigmatique de Vénus a été enfin résolue par M. Stroobant. Lorsqu'il n’y a pas eu fausse image ou illusion d'optique, on trouve, pour les 33 observations les mieux faites, une étoile fixe correspondant presque exactement aux diverses positions notées.
Camille Flammarion Les Progrès de L'Astronomie Pendant L'Année 1887, L'Astronomie, mai 1888, p.169.

Donc, si nous avons vu que Stroobant échoue à expliquer certaines observations, et s'est parfois trompé dans l'identification des étoiles, pour les savants, c'est clair, il n'y a jamais eu de satellite de Vénus, et le dit satellite part aux oubliettes de la science, et au musée des idées fausses.

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Dernière mise à jour: 09/11/2020